L’article L1235-3 du code du travail révisé en 3 actes ! I validation des Ordonnances Macron par l’article 45 de la Constitution de 1958 II validation des Ordonnances Macron par le Conseil Constitutionnel en 2018 III validation par la Cour de Cassation le 11 mai 2022 : le coup de théâtre ! Et un épilogue...
L’évolution de l’indemnité de licenciement telle qu’ordonnée par le Conseil de Prud’hommes a beaucoup varié ces dernières années.
Acte I : l’ancêtre du barème Macron
Avant 2017, les salariés pouvaient se réclamer d’autant de dommages intérêts qu’ils le souhaitaient devant les juridictions sociales, à savoir le Conseil de Prud’hommes, la Chambre sociale des Cours d’appel et la chambre sociale de la Cour de Cassation.
Réclamer n’est pourtant pas obtenir. Cependant, grâce à leur serviteur avocat et aux juridictions sociales, pour peu que leur dossier fût bien garni de pièces justificatives – la preuve écrite est reine en droit – un licenciement sans cause réelle et sérieuse leur permettait de remplir leurs bourses. Il suffisait quasiment en effet d’avoir deux ans d’ancienneté pour obtenir en particulier du Conseil de Prud’hommes, une somme correspondant à l’équivalent de 6 mois de salaire brut sous forme de dommages intérêts, fondé évidemment sur la rémunération du salarié.
L’article L1235-3 du Code du Travail en vigueur jusqu’au 24 septembre 2017 prévoyait en effet :
« Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. »
C’est ainsi qu’il suffisait également de justifier d’un préjudice dit spécial, tenant par exemple à l’âge où l’on se retrouvait licencié, pour obtenir en plus de l’équivalent de 6 mois de salaire sous la forme de dommages-intérêts dont on doit rappeler qu’ils ne sont assujettis qu’aux prélèvements de la CSG et de la CRDS, pour obtenir davantage de dommages-intérêts conformément aux anciens articles 1382 (applicable jusqu’au 1er octobre 2016), 1148 et 1153 du code civil.
Des sommes très importantes pouvaient ainsi placer l’employeur dans une situation des plus difficiles, pouvant aller jusqu’à son dépôt de bilan, la déconfiture en un mot comme en cent. Certains ont donc décrété qu’il faut interrompre la destruction du tissu économique. D’autres, que les juridictions sont surchargées.
Acte II : le barème Macron validé par le Conseil Constitutionnel
Par ordonnances (dites Macron du fait qu’elles ont été établies au début du premier mandat présidentiel d’Emmanuel Macron) en date du 24 septembre 2017 prises en application de l’article 38 de la constitution du 4 octobre 1958, le système de l’allocation de dommages-intérêts au cas de licenciement abusif a été réformé de manière profonde. On n’avait jamais vu une refonte si importante du Code du Travail réalisée en moins de 7 mois que ces ordonnances, il suffit pour s’en convaincre de savoir que :
- Du 4 au 17 juillet 2017 : Présentation du projet de loi d’habilitation à la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée nationale, puis débat à l’Assemblée nationale ;
- Du 18 au 27 juillet : Examen du projet de loi d’habilitation au Sénat ;
- Le 2 août 2017 : Adoption de la loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ;
- Le 31 août 2017 : annonce du contenu des ordonnances : quel été !
- Le 7 septembre 2017 : Décision du Conseil Constitutionnel jugeant la loi d’habilitation conforme à la Constitution ;
- Le 15 septembre 2017 : Promulgation de la loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ;
- Le 22 septembre 2017 : Promulgation des ordonnances avec entrée en vigueur immédiate au 24 septembre 2017 (lendemain de la publication au Journal Officiel) ;
- Le 25 septembre 2017 : Décret n° 2017-1398 portant revalorisation de l’indemnité légale de licenciement ;
- Octobre 2017 : Publication des décrets et présentation au Parlement du projet de loi pour ratifier les ordonnances.
A titre de simple information, le délai moyen de promulgation des lois prend en moyenne 13 mois. Vous apprécierez donc… mais beaucoup indiquent que ces ordonnances Macron ont été passées en force : les articles 45 et 49-3 de la constitution de la Ve République le permettent.
Quoiqu’il en soit, les montants minimaux et maximaux de l’indemnité prud’homale varient à compter de septembre 2017, selon :
- l’ancienneté du salarié ;
- la taille de l’entreprise.
Un simple tableur permet dorénavant en cas même de moins d’une année d’ancienneté, d’obtenir 1 mois de l’équivalent de son salaire brut mensuel, si l’entreprise avait plus de 11 salariés. Si on dispose évidemment de 30 ans d’ancienneté ou au-delà, c’était un minimum de 3 à 20 mois de salaire, les chiffres grimpaient mais pas suffisamment aux yeux de certains. Il n’en demeure pas moins que seule la seconde partie de l’article L1235-3 du Code du Travail a été modifié pour devenir :
« Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous. »
Cependant, le barème (tableau) a été remis en cause pour plusieurs raisons, à commencer par la substitution de l’exécutif (Président de la République et Gouvernement) au pouvoir législatif (Assemblée nationale et Sénat), jugés tous deux par le pouvoir judiciaire. C’est l’équilibre cher à Montesquieu dans son « Esprit des lois » qui peut en effet être considéré comme menacé.
C’est ainsi que depuis septembre 2018, à plusieurs reprises, des Conseils de Prud’hommes (CPH) ont censuré le barème d’indemnité pour licenciement injustifié estimant que ce dernier viole la charte sociale européenne et la convention N° 158 de l’OIT (Organisation internationale du travail). Les juges estimaient en effet que le plafonnement des indemnités prud’homales ne permettait pas d’apprécier dans leur globalité les situations individuelles des salariés injustement licenciés et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi. Ils déploraient aussi que ces barèmes ne soient pas assez dissuasifs pour les employeurs.
Ainsi, une fronde des juridictions s’est clairement élevée contre les Ordonnances Macron, le CPH d’Amiens (Somme) a accordé à un salarié 3 mois de salaire (au lieu d’un mois en application du barème). Le CPH d’Angers (Maine-et-Loire) a indemnisé un salarié ayant 12 ans et 9 mois d’ancienneté à hauteur de 12 mois de salaire (le barème applicable prévoyait entre 3 et 11 mois). La liste est longue : la question était en réalité de savoir si les salariés pouvaient obtenir en sus du barème Macron des compléments d’indemnisation (préjudice spécial indépendant des indemnités de licenciement).
La réponse est oui et doit être prise sous deux angles : une réponse de normand ! Tout d’abord, les textes prévoient que le barème peut être mis à l’écart dans certains cas : par exemple, les juges peuvent prononcer la nullité du licenciement si les faits reprochés sont liés à un harcèlement moral ou sexuel. D’autre part, si le licenciement est discriminatoire, c’est-à-dire lorsqu’il a été motivé par un critère d’âge, de sexe, d’origine, etc., ou si les ruptures de contrat portent atteinte aux libertés fondamentales, telles que la liberté d’expression du salarié, le droit au respect de la vie privée ; le juge peut dans ces cas octroyer des indemnités au-delà des plafonds. Ensuite, certains préjudices ne sont pas compris dans le barème : c’est le cas notamment si le salarié démontre un préjudice moral distinct du licenciement injustifié. A titre de simple exemple, le CPH de Troyes (Aube) a ainsi octroyé une indemnité pour préjudice moral en raison des circonstances brutales et vexatoires ayant entouré la rupture (appauvrissement de ses missions, « mise au placard »).
Par ailleurs, un salarié peut demander des dommages-intérêts liés au retard ou au non-paiement de salaire, à la non-communication des critères de licenciement. Il peut aussi obtenir des sommes liées à l’exécution même du contrat de travail : rappel de salaire, clause de non-concurrence, remboursement de frais…
Les CPH de Louviers (Eure) et de Toulouse (Haute-Garonne) ont alors saisi la Cour de Cassation dans le cadre de la procédure d’avis. En effet, il arrive qu’au cours d’une procédure contentieuse, le juge soit confronté à une question de droit nouvelle qui pose une difficulté d’interprétation particulière. Il peut alors, avant de rendre sa décision, demander à la juridiction suprême de lui apporter un éclairage. C’est ce qui s’est passé.
Pour mémoire, on rappellera que :
- Le Conseil Constitutionnel a validé ce dispositif dans le cadre du recours formé contre la loi de ratification de l’ordonnance (Décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018). Toutefois, on sait que le Conseil constitutionnel ne se prononce que sur la conformité d’une loi à la Constitution et non, à l’égard des textes internationaux. Il n’en demeure pas moins que l’article L1235-1 du code du travail a ainsi été modifié de nouveau à compter du 1er avril 2018.
- Le Conseil d’État a rejeté le 7 décembre 2017 une argumentation en tous points identique à celle qui était invoquée devant les conseil de prud’hommes pour invalider le barème (CE Réf. Ord. 7 décembre 2017, n°415.243).
Ne restait donc que la Cour de Cassation dont une première décision a été rendue le 17 juillet 2019. D’une part, la Cour de cassation a accepté, pour la première fois et revenant sur sa jurisprudence, de prendre position sur la conventionnalité d’un texte dans le cadre d’une procédure d’avis et, d’autre part, elle valide le barème.
Acte III : l’arrêt de la Cour de Cassation du 11 mai 2022
La Cour de Cassation a donc estimé dans sa décision du 11 mai 2022 que les juges étaient tenus d’appliquer le barème limitant les indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, introduit par la réforme du Code du travail de 2017.La Cour indique que le barème n’était « pas contraire » à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail et a écarté la possibilité de déroger « même au cas par cas » à l’application du barème, selon un communiqué de la cour explicitant son arrêt.
La Cour considère aussi que le barème Macron permet une indemnisation « adéquate » et qui est suffisamment « dissuasive » en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. On rappellera que le Juge dispose en outre d’une marge d’appréciation puisque le barème fixe un plancher d’indemnisation, ainsi qu’un maximum.
Quid de l’acte IV ? Le dernier ?
Le prochain toilettage : la constitution de la Ve République, si chère à feu Charles-de-Gaulle ? Un prochain arrêt de la Cour de Cassation ?
Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (Cimeda), juin 2022.