En 2016 en Ukraine, sur l’autoroute Kiev-Odessa, une touriste française passagère d’un taxi est victime d’un accident de la voie publique. Très gravement accidentée, elle subit un polytraumatisme et un traumatisme crânien grave, et est rapatriée en France. En raison de son état de santé, une mesure de tutelle fut ordonnée et elle fut représentée par un tuteur d’État.
En 2018, le tuteur d’État fit appel à un avocat spécialisé en droit du dommage corporel afin de pouvoir enfin obtenir une indemnisation pour sa protégée. Le dossier était en effet très délicat, il s’agissait d’un accident de la circulation à l’étranger, commis par un conducteur étranger, titulaire d’une assurance étrangère et de surcroît la procédure pénale d’enquête était inconnue. Devant le désarroi de la victime et son atteinte corporelle très grave, l’avocat spécialisé décida tout de même de prendre en charge le dossier.
Il fallait obtenir en urgence le procès-verbal d’enquête, le faire traduire en français pour envisager si une quelconque procédure d’indemnisation était possible, et la lancer avant la prescription. L’avocat spécialisé fit le nécessaire pour obtenir en urgence toute la procédure pénale d’enquête traduite par un expert assermenté. Ces demandes ont été des plus difficiles, surtout en Ukraine, et ce d’autant plus que l’enquête préliminaire n’était pas terminée. Finalement, l’avocat spécialisé obtenait cette procédure pénale qui lui permit d’établir que le dossier était indemnisable en France.
L’avocat spécialisé, après avoir constitué son entier dossier médical, social et administratif, décida de saisir la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions de Paris (CIVI) à l’effet de solliciter une première provision ainsi que la désignation d’un expert judiciaire à fin d’expertise. En juillet 2018, le Président de la CIVI de Paris donnait gain de cause à la victime, lui allouait une provision de 100.000€ à la charge du Fonds de garantie (FGTI) et désignait un expert judiciaire neurologue pour évaluer le dommage corporel de la victime.
La victime accidentée en Ukraine a été transférée dans un hôpital parisien peu de jours après l’accident, puis transférée quelques mois plus tard dans un autre hôpital pour sa rééducation, où elle demeura pendant près d’une année. Faute de prise en charge financière, lors de sa sortie de l’hôpital, seule son admission en Maison d’Accueil Spécialisé fut acceptée. Heureusement, in extremis, la provision de 100.000€ réglée par le FGTI permit à la tutrice de négocier une prise en charge dans un établissement privé et d’éviter la MAS.
Les opérations d’expertises judiciaires ont été mises en place, la victime a été à chaque fois assistée par son avocat spécialisé, son médecin conseil de victimes et sa tutrice. Deux rendez-vous d’expertises ont eu lieu, l’avocat spécialisé adressa 3 dires à l’expert judiciaire en réponse aux dires du FGTI. En juin 2019, l’Expert judiciaire déposait son rapport de consolidation, retenant un taux de déficit fonctionnel permanent de 90%, une impossibilité de reprendre une quelconque activité professionnelle, des besoins en tierce personne 24 heures sur 24.
L’avocat spécialisé saisit immédiatement la CIVI car le temps était compté, il fallait permettre à la victime de continuer à payer l’établissement privé dans lequel elle se trouvait pour éviter sa mise en MAS et obtenir rapidement la liquidation de son dommage corporel. C’est ainsi que parallèlement à la procédure, l’avocat spécialisé saisissait le Président de la CIVI de Paris et obtenait une provision complémentaire de 150.000€ par ordonnance de décembre 2019.
Le procès devant la CIVI de Paris fut long, de nombreuses conclusions furent échangées entre l’avocat spécialisé de la victime et le FGTI qui contestait pratiquement toutes les demandes indemnitaires de la victime. Mais surtout, le fonds de garantie (FGTI) opposait à la victime des sursis à statuer multiples et variés sous prétexte que la victime n’avait pas communiqué tous les éléments de réponse de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie concernant l’absence de versement de la pension d’invalidité de 3e catégorie et de la majoration de tierce personne, et aussi le non-paiement de la Prestation de Compensation du Handicap, le non-paiement d’une prévoyance versée par son employeur, et enfin l’absence de contrat Garantie Accident de la Vie (GAV) et de mutuelle à son profit. Bref, toutes les excuses possibles étaient invoquées par le FGTI pour que la CIVI ne puisse pas statuer sur la demande en liquidation.
La victime a dû prendre plusieurs jeux de conclusions et verser aux débats plus de 60 pièces pour se défendre contre l’argumentation du FGTI et préserver ses droits. Il ne faut pas croire que le FGTI, sous prétexte que la solidarité nationale est en cause, ne fait pas tout pour défendre ses droits et ne payer que le minimum à la victime, qui doit se défendre bec et ongles surtout lorsque son dommage est important, donc qu’il coûtera cher au FGTI. Après une longue plaidoirie, la CIVI de Paris rendit en mars 2021 un premier jugement statuant essentiellement sur les préjudices extrapatrimoniaux et renvoyait l’affaire à une date ultérieure afin que la victime puisse justifier d’un grand nombre de pièces qui étaient sollicitées notamment par le FGTI sur les postes de préjudices patrimoniaux (Tierce personne, Préjudice professionnel, Incidence Professionnelle, DFP), bref tous les postes indemnitaires élevés.
L’avocat de la victime prit donc de nouvelles conclusions et communiqua de nouvelles pièces. L’affaire fut ensuite de nouveau plaidée. Par un jugement de septembre 2021, la CIVI de Paris liquida partiellement pour la deuxième fois l’indemnisation de la victime et refusa de statuer sur la liquidation du préjudice professionnel et du déficit fonctionnel permanent, faisant ainsi droit à la demande de sursis à statuer du FGTI. Cependant, la CIVI avait fait droit à la demande d’indemnisation de la victime au titre de sa tierce personne 24h/24h et lui allouait une rente annuelle de 101.300€, mais elle déduisait une somme mensuelle de 1.500€ par mois qui correspondait selon elle aux frais quotidiens de la victime pour son hébergement, alimentation et entretien, conforme aux demandes du FGTI.
C’est dans ces conditions que l’avocat spécialisé fit appel partiel du jugement de la CIVI afin qu’il soit statué notamment sur le préjudice professionnel, le DFP et la réduction des frais quotidiens au titre de la tierce personne. Devant la Cour d’Appel de Paris, l’avocat spécialisé déposait 4 jeux de conclusions en réponse aux conclusions du FGTI et communiquait de nouvelles pièces. En janvier 2023, après une longue plaidoirie un arrêt fut rendu par la Cour d’Appel de Paris qui donna enfin gain de cause à la victime et débouta le FGTI de toutes ses demandes et demandes de sursis à statuer.
La Cour d’Appel de Paris retenait en outre le barème de capitalisation de la Gazette du palais 2018 au taux de 0,5%, très favorable à la victime et meilleur que celui sollicité par le FGTI. Enfin, la réduction de 1.500€ par mois sur la tierce personne sollicitée par le FGTI correspondant selon lui au coût du loyer et dépenses courantes de la victime avant son accident fut ramenée à la somme de 610€ par mois, soit moins de 21€ par jour. C’est ainsi qu’au terme de cet arrêt, le montant total de l’indemnisation s’est élevé à plus de 6.100.000€, comprenant une somme en capital de plus de 1.800.000€ et une rente annuelle au titre de la tierce personne de 111.808€ représentant une somme capitalisée de plus de 4.300.000€.
Ce dossier a été long et compliqué mais il a été rendu possible grâce à la victime et à sa tutrice d’état qui l’a assistée sans relâche. Ils ont fait confiance à l’avocat spécialisé qui a été très satisfait des résultats obtenus. Une indemnisation en Ukraine dans de pareilles circonstances et avec un FGTI qui défend sans relâche les droits de la solidarité nationale n’était pas une bataille facile. Certes, le FGTI indemnise les victimes des infractions, c’est la loi, mais il met aussi toutes ses compétences pour invoquer des sursis à statuer, retarder les indemnisations et les bloquer tandis que les victimes, elles, se battent pour leur santé, pour leur vie dans des conditions inacceptables. N’oublions pas que sans le recours à la justice, la victime aurait été placée en MAS.
L’avocat spécialisé est satisfait de savoir que la justice a été rendue pour sa cliente, lui permettant de vivre en toute dignité et sérénité. Sa vie ne sera, hélas, jamais la même, mais elle pourra vivre en toute sécurité et comme elle le souhaitait. La justice pour les victimes, on en parle beaucoup sur les plateaux de télévision, souvent par des novices qui, hélas, faute d’expérience ne font avancer ni l’information ni la cause des personnes handicapées. Nous avons la chance d’avoir en France, des hôpitaux et centres de rééducation fonctionnelle qui fonctionnent bien grâce à la compétence et à l’altruisme des médecins et paramédicaux, qui sont pourtant sous-payés et non reconnus. Il faut espérer que notre système de santé sera préservé et défendu pour pouvoir se maintenir dans l’intérêt de tous.
Catherine Meimon Nisenbaum, Avocat à la Cour, septembre 2023