I – Sur la primauté du droit européen aux droits nationaux de ses États membres
Le principe a mis du temps à s’immiscer dans la jurisprudence et les traités européens, la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national est aujourd’hui reconnue par toutes les juridictions. Selon ce principe, le droit européen, primaire (traités et protocoles associés tels que la Charte européenne des droits fondamentaux) comme dérivé (règlements, directives et décisions), bénéficie d’une supériorité sur le droit des États membres. A titre d’exemple, si une loi nationale va à l’encontre d’un règlement européen, c’est ce dernier que l’État membre devra appliquer et que les citoyens européens pourront faire valoir en cas de litige.
Sa reconnaissance formelle intervient le 15 juillet 1964 à l’occasion d’un arrêt fondateur de la Cour de justice des communautés européennes (ancêtre de la Cour de justice de l’UE), l’arrêt Costa c./ENEL. Dans les États membres également, le principe est peu à peu reconnu. En France, l’article 55 de la Constitution prévoit dès 1958 les dispositions permettant d’établir la primauté du droit de l’Union européenne. Le texte dispose ainsi que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Le Conseil d’État le consacrera en 1989, à l’occasion de l’arrêt Nicolo, qui précise qu’il revient aux juridictions administratives de vérifier que les dispositions des lois sont conformes aux traités internationaux.
Pourtant, le droit européen est parfois obligé de rappeler à l’ordre certains états. C’est ainsi que par exemple, la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, dans son article 7, a imposé à tous les États membres de prendre « les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ».
La Cour de Justice de l’Union Européenne, le 24 janvier 2012 (CJUE, 24 janv. 2012, Aff. C 282/10), avait déjà sanctionné l’État français en raison de la non-conformité de notre droit national à la directive européenne en matière de congés payés (V. actualité Ogletree du 25 août 2023). Il se trouve en effet que l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne intitulé « Conditions de travail justes et équitables » prévoit que :
1. Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. 2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.
II – Sur les règles principales du droit français en matière de congés payés et arrêts-maladies
Les périodes d’absence du salarié ne sont pas retenues pour le calcul des congés payés, sauf dispositions conventionnelles contraires ou assimilation par le Code du travail ou la jurisprudence à du travail effectif. S’agissant des absences pour maladie ou accident, seules les périodes de suspension du contrat de travail à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle sont assimilées à du travail effectif dans la limite d’une durée d’un an par l’article L 3141-5 du Code du travail.
Cet article prévoit de manière expresse que :
Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : 1° Les périodes de congé payé ; 2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant et d'adoption ; 3° Les contreparties obligatoires en repos prévues par l'article L. 3121-11 du présent code et l'article L. 713-9 du code rural et de la pêche maritime ; 4° Les jours de repos accordés au titre de l'accord collectif conclu en application de l'article L. 3122-2 ; 5° Les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle ; 6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque.
Quid des arrêts-maladie pour des maladies non-professionnelles ? Quid des accidents du travail ou de maladies professionnelles ? La réponse pour le juge français était jusqu’au 13 septembre 2023 tout simple, son absence ne pouvait être assimilée à une période de nature à lui faire acquérir ses congés payés. Une autre tout aussi simple : une limitation à une année. Pourtant, combien d’arrêts-maladies ont été pris pour des raisons notamment de harcèlement, de périodes de négociation voire de procédure en cas de syndrome réactionnel (burn out/bore out), etc. ? Et ce n’est pas toujours la réponse du berger à la bergère ! Libres sont les employeurs de faire contrôler les salariés pendant leurs arrêts-maladies dont il est certes difficile de rapporter le lien avec la faute de l’employeur, mais pas toujours !
III – Sur les faits et les procédures
Plusieurs salariés ont contracté une maladie non professionnelle qui les a empêchés de travailler. Ils ont calculé leur droit à congé payé en incluant la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler et ce, en application du droit de l’Union européenne. La cour d’appel leur a donné raison. L’employeur a évidemment formé un pourvoi en cassation, qui doit-on le rappeler est la seule et unique juridiction à juger de la bonne application de la loi. Or, en application de l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur le droit au repos, la Cour de Cassation a écarté dans 5 décisions rendues le 13 septembre dernier les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne (lire les décisions au bas de cette page).
Ainsi, elle juge que les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non professionnelle) ont le droit de réclamer des droits à congé payé en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler. C’est l’un des apports majeurs de cette série d’arrêts
Un salarié a été victime d’un accident du travail. Il a calculé ses droits à congé payé en incluant toute la période au cours de laquelle il se trouvait en arrêt de travail, et ce, en application du droit de l’Union européenne. En application du droit français, la cour d’appel a considéré que ce calcul ne pouvait pas prendre en compte plus d’un an d’arrêt de travail. Le salarié a formé un pourvoi en cassation qui lui a donné raison car selon le droit de l’Union européenne, un salarié victime d’un accident de travail peut bénéficier d’un droit à congé payé couvrant l’intégralité de son arrêt de travail et ce, de nouveau en application de l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur le droit au repos. C’est le second apport majeur de cette série d’arrêts de la Cour de Cassation.
Une enseignante a obtenu une requalification de ses prestations de travail pendant 10 ans auprès d’un institut de formation, en contrat de travail. Cette salariée a de façon tout à fait naturelle alors demandé à être indemnisée des congés payés qu’elle n’a jamais pu prendre pendant ces 10 années. La cour d’appel a considéré que l’enseignante devait être indemnisée uniquement sur la base des trois années ayant précédé la reconnaissance par la justice de son contrat de travail, le reste de ses droits à congé payé étant prescrit. Or, pendant 10 ans l’enseignante n’avait pas pris de congé. L’enseignante et l’institut de formation ont chacun formé un pourvoi en cassation.
En application du droit de l’Union, la Cour de Cassation juge que le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payés. C’est le troisième apport majeur de cette série d’arrêts.
IV – Sur la portée des arrêts de la Cour de Cassation
Les ordonnances Macron (lire cette analyse) ont entendu permettre aux employeurs de mieux supporter les condamnations parfois prononcées par les juridictions, et donc aux salariés de voir limiter leurs prétentions. Elles sont déjà battues en brèche par les juridictions, estimant au cas par cas que certains salariés pouvaient bénéficier de réparations, au-delà du barème selon l’ancienneté et le nombre de salariés ainsi érigé ; le droit aux congés payés des salariés aujourd’hui étendu va rendre justice à ces derniers.
La maladie qu’elle soit professionnelle ou non, l’arrêt de l’emploi qu’il soit causé par un accident ou non donne enfin droit à l’acquisition de congés payés. Au départ, le législateur pensait en effet que la prise en charge du salarié par le versement d’indemnités journalières suffisait à couvrir sa peine. Cependant, l’Union européenne prône le droit au repos de ces derniers et ses états-membres doivent s’y conformer.
La réaction des employeurs n’a pour autant pas tardé ! C’est ainsi par exemple que Marc Sanchez, Secrétaire Général du Syndicat des Indépendants et TPE, alerte : « Les petites entreprises sont souvent confrontées à des ressources limitées, à des budgets serrés et à des équipes réduites. Cette nouvelle règle induit des charges financières supplémentaires parfois insupportables et probablement un taux d’absentéisme plus élevé, absentéisme de plus en plus décrié par de nombreuses entreprises, qu’elles soient des TPE ou non. Cette décision pèse comme une épée de Damoclès sur les chefs d’entreprise ayant pourtant respecté les règles de droit applicables sur les trois dernières années et créé un frein à l’embauche parmi les TPE. Nous avons officiellement interpellé le gouvernement et le Parlement en vue de la mise en place rapide d’une solution législative ou réglementaire. » La Délégation aux entreprises du Sénat a également réagi, intégrant les décisions de la Cour de Cassation dans son communiqué du 10 novembre sur la « Dégradation des perspectives des entreprises pour 2024 ».
C’est ainsi un appel au législateur, clairement, comme au Gouvernement, mais la justice la plus proche de la réalité a toujours été la jurisprudence. Or, celle de la Cour de Cassation invite clairement toutes les juridictions qui lui sont inférieures à appliquer sa jurisprudence. Et de son côté, l’État français doit se conformer au Droit Européen.
Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (Cimeda), novembre 2023.