Les faits
Durant l’été 2015, en Tunisie, un homme d’une cinquantaine d’années, conducteur d’une motocyclette, est victime d’un très grave accident de la circulation. La victime traumatisée crânienne grave fut transportée dans le coma et hospitalisée en Tunisie. Elle a été intubée, ventilée et sédatée, puis transférée dans un hôpital parisien et séjourna ensuite dans un service de rééducation fonctionnelle qui lui prodigua les meilleurs soins spécifiques au traumatisme crânien jusqu’en août 2016, date de son retour à domicile avec suivi psychologique.
La procédure
En octobre 2015, sa famille fit appel à un avocat spécialisé en droit du Dommage corporel pour assurer sa défense en France afin de tenter d’obtenir une indemnisation, son dossier était complexe. L’avocat spécialisé, mit en place son dossier, rassembla les pièces nécessaires, médicales, administratives et sociales pour assurer la défense des intérêts de la victime et obtenir le procès-verbal d’accident établi par les autorités tunisiennes ainsi que les pièces médicales en Tunisie.
En février 2016, l’avocat spécialisé décidait de saisir la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infraction (CIVI) de Pontoise (Val d’Oise), à l’effet de solliciter une expertise médicale et de voir condamner le Fonds de Garantie des Victimes (FGTI) au paiement d’une première provision. D’emblée, le Fonds de Garantie opposa une faute de la victime, en l’espèce selon lui le non-port de casque et demandait de limiter à 50 % son droit à indemnisation. L’avocat spécialisé contestait énergiquement par voie de conclusions l’avis erroné du FGTI.
En mars 2017, après de nombreux échanges d’écritures et de plaidoirie, la CIVI de Pontoise par jugement avant dire droit a alloué une provision de 20.000€ à la victime et désignait un expert judiciaire neurologue pour évaluer les séquelles. Plusieurs réunions d’expertise médicale eurent lieu, au cours desquelles la victime était toujours assistée de son avocat spécialisé et de son médecin conseil. Un premier rapport d’expertise de non-consolidation préconisait une aide humaine de 24 heures sur 24 avec un taux de déficit fonctionnel permanent (DFP) pas inférieur à 55%.
L’avocat spécialisé saisissait à nouveau la CIVI de Pontoise et après échange de conclusions et plaidoiries, obtenait une deuxième provision de 120.000€. En avril et juin 2018, parallèlement à ces procédures, l’avocat spécialisé saisissait, la CIVI de Pontoise pour voir trancher la responsabilité et obtenir la reprise des opérations d’expertise. En février 2019, la CIVI de Pontoise désignait à nouveau l’expert judiciaire avec mission de donner son avis sur le défaut de port éventuel du casque et ses conséquences.
En octobre 2019, l’expert judiciaire après avoir organisé à nouveau une réunion d’expertise en juillet 2019 très mouvementée, déposait son rapport de consolidation retenant un besoin en tierce personne de 24 heures sur 24 avec 16 heures actives, un taux de DFP de 65% et une incapacité de reprendre une activité professionnelle. Sur la responsabilité, l’expert judiciaire conclut que la violence du choc et l’absence de fracture de la boite crânienne serait plutôt en faveur d’un port du casque qui aurait joué en l’espèce un rôle « d’atténuateur » du choc mais n’aurait pas empêché « la mobilisation intracrânienne de la masse cérébrale et ses lésions. » L’avocat spécialisé saisissait à nouveau la CIVI de Pontoise pour faire trancher la responsabilité et liquider le dommage corporel de la victime. Le rapport de consolidation était déposé.
Cependant, contre toute attente alors que le Fonds de Garantie avait sollicité l’avis de l’expert judiciaire sur le port du casque, il contestait énergiquement devant la CIVI le rapport expertal qui lui donnait tort sur ce point. Cette position obligea l’avocat spécialisé à répliquer plusieurs fois par conclusions, ce qui entraînait aussi le report de la liquidation du dommage corporel de la victime.
L’indemnisation obtenue pour la victime d’accident de la circulation
Finalement, après une longue plaidoirie par jugement de mai 2021, la CIVI de Pontoise reconnut le droit à indemnisation intégrale de la victime, liquidait certains postes de préjudice et ordonnait un sursis à statuer sur les principaux postes d’indemnisation à la demande du Fonds de Garantie en l’attente d’une attestation en bonne et due forme de la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH) sur le non versement d’une Prestation de Compensation du Handicap (PCH) à la victime, prestation qui est déductible de l’indemnisation devant la CIVI. La CIVI statuait également sur les demandes indemnitaires de la famille et leur donnait satisfaction.
En octobre 2022, après demande auprès de la MDPH, nouvelles conclusions et plaidoiries, un second jugement fut rendu liquidant l’entier préjudice de la victime et lui donnant toute satisfaction. Cependant, en raison d’une erreur dans le jugement sur un poste de préjudice, le Fonds de Garantie fit appel du jugement. Mais sur ce point les parties ont pu trouver un accord amiable qui fut homologué par arrêt de la Cour d’Appel de Paris le 23 novembre 2023.
Par conséquent, la victime a pu être indemnisée au total à plus de 3.800.000€ sans aucune faute retenue à son encontre, comprenant d’une part, une somme en capital de plus de 1.200.000€ et d’autre part, une rente annuelle au titre de la tierce personne de plus de 122.000€ représentant une somme capitalisée de plus de 2.600.000€.
Ainsi, ce procès a pu trouver une fin heureuse, malgré les multiples difficultés présentées par le Fonds de Garantie pour diminuer les droits de la victime en prétextant d’un défaut de port de casque inexistant, et donc d’un partage de responsabilité des plus infondés, retardant ainsi la réparation du dommage de la victime et espérant injustement diminuer de moitié son indemnisation.
Les conditions d’indemnisation du fonds de garantie
Le FGTI indemnise les victimes d’une agression en France ou à l’étranger sous certaines conditions, cependant dans de nombreuses décisions, il est le régleur le plus difficile, celui qui défend le plus durement ses propres intérêts, ses propres fonds au détriment des victimes. Dans l’affaire présentée, le Fonds de Garantie a continué à soutenir que les pièces médicales mentionnaient un défaut de port de casque alors même que le chef de service de l’hôpital reconnaissait par écrit que ses services avaient commis une erreur sur ce point dans la rédaction de leur rapport.
Il est inadmissible, de faire peser sur une victime une erreur de plume pour demander une imputation sur l’indemnisation finale et un partage de responsabilité indu à hauteur de 50% et retarder son dossier indemnitaire par des procédures compliquées. Dans de nombreux dossiers, le Fonds de Garantie est très virulent à l’encontre des victimes et oppose des indemnisations très faibles, des moyens juridiques, des partages de responsabilité et des évaluations médicales infondées.
Dans un arrêt du 19 janvier 2023 de la Cour d’Appel de Paris commenté par l’Avocat spécialisé dans son article « Accident de la circulation en Ukraine, indemnisation en France à plus de 6.000.000€ », le Fonds de Garantie a été notamment débouté de ses demandes multiples de réduction du droit à indemnisation et de sursis à statuer pour faire échec et retarder l’indemnisation de la victime. La Cour d’appel a également débouté le Fonds de Garantie qui sollicitait une réduction exorbitante de 1.500€ par mois de la tierce personne pour couvrir les besoins quotidiens de la victime restant à sa charge ; la Cour a ramené cette déduction à la somme de 610 euros par mois. La victime a obtenu après un procès délicat une belle victoire et indemnisation.
Par arrêt du 21 septembre 2023 (n° 21-25.187), la Cour de Cassation a débouté le Fonds de Garantie qui avait exigé de subordonner la rente tierce personne à la production annuelle pour la victime d’une attestation justifiant qu’elle ne perçoit pas la PCH. Dans un arrêt du 16 décembre 2021, la Cour de Cassation a cassé l’arrêt qui a validé le sursis à statuer sur la tierce personne sollicité par le Fonds de Garantie en l’attente de la production des attestations relatives à la PCH. Les victimes ont tendance hélas à considérer le Fonds de Garantie comme « la Sécurité Sociale » estimant que sa fonction est d’indemniser les victimes sans discussion, alors que le Fonds de Garantie invoque très souvent les argumentaires les plus virulents contre les victimes pour limiter et/ou retarder leur droit à indemnisation.
Hélas, dans notre société rien n’est un droit automatique, même l’évidence, un droit cela se défend, je parle souvent du « parcours du combattant » pour l’indemnisation des dommages corporels graves, ce n’est pas une expression, c’est une réalité. Dès que les dommages sont graves, que les montants à payer sont importants, tout un arsenal juridique est déployé par les régleurs pour voir limiter et/ou retarder l’indemnisation des victimes qui attendent la juste réparation de leurs droits.
La nécessité d’être assisté par un avocat spécialisé lorsque les dommages corporels sont importants est essentielle pour obtenir une bonne réparation des préjudices des victimes qui ne connaissant pas leurs droits et qui doivent toujours être défendues. La justice, les Tribunaux sont le garant de nos institutions et de l’application de nos droits, mais encore faut-il les saisir et présenter des moyens de droits pertinents, encore faut-il cesser de croire au père Noël.
J’ai eu la chance au cours de ma longue carrière d’avocat de défendre les victimes, d’obtenir de très belles victoires pour leur indemnisation car elles m’ont toujours fait confiance et je les en remercie. Elles ont refusé de croire au père Noël, et ont accepté de se battre pour un meilleur avenir et pour leur sécurité.
Catherine Meimon Nisenbaum, Avocat à la Cour, janvier 2024