Sur les faits
Courant 2018, une étudiante de 28 ans a sollicité une société allemande spécialisée dans l’assistance et le conseil de personnes handicapées pour qu’elle recrute pour son compte une assistante personnelle en vue de l’aider dans tous les aspects de sa vie quotidienne. Cette étudiante avait insisté sur une préférence, celle consistant à recruter une assistante personnelle âgée entre 18 et 30 ans.
La candidature d’une assistante personnelle n’appartenant pas à cette tranche d’âge n’a pas été retenue. Cette candidate alors âgée de 50 ans s’est ainsi estimée discriminée et a réclamé une indemnité à titre de sanction de la société qui recrutait. Elle a donc saisi la Cour fédérale du travail allemande de son différend avec la société de recrutement.
Sur la procédure
La Cour fédérale du travail allemande a alors saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne. Il se trouve en effet qu’il existe une procédure permettant à une juridiction d’un État membre d’interroger cette CJUE sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union dans le cadre d’un litige dont elle est saisie. C’est ce qu’on appelle un renvoi préjudiciel.
C’est ainsi que l’Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz (loi générale sur l’égalité de traitement ou AGG), du 14 août 2006 se révélait potentiellement en discordance avec l’article 2 § 5, l’article 4 § 1, de l’article 6 § 1, et de l’article 7 de la directive 2000/78/CE du conseil du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lus à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, ainsi que de la Convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées qui a été approuvée au nom de l’Union Européenne par la décision 2010/48/CE du conseil du 26 novembre 2009.
Sur l’opposition éventuelle entre le droit allemand et le droit des communautés européennes
Rappel sur la hiérarchie des normes légales. Le droit international et le droit européen sont supérieurs aux lois nationales. C’est ainsi que la Cour de Justice de l’Union Européenne a dû examiner les normes supranationales afin de déterminer si la discrimination à l’embauche était ou non justifiée au regard de la condition d’âge du recrutement d’une assistante personnelle pour une femme handicapée de 28 ans devant l’accompagner dans les actes de sa vie quotidienne.
Sur le droit allemand
L’article 2 de la Loi fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949 énonce : « Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel ou la loi morale. »
Toutefois l’article 8 de l’AGG admet une différence de traitement en vertu de son article 1er « lorsque la nature de l’activité à exercer ou les conditions de son exercice constituent une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée. »
Sur le droit international
Le préambule de la Convention de l’ONU reconnaît « l’importance pour les personnes handicapées de leur autonomie et de leur indépendance individuelles, y compris la liberté de faire leurs propres choix ». Son article 5 prévoit : « Les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas une discrimination au sens de la présente Convention ».
Sur le droit de l’Union Européenne
La directive 2000/78 annonce : « Dans des circonstances très limitées, une différence de traitement peut être justifiée lorsqu’une caractéristique liée à la religion ou aux convictions, à un handicap, à l’âge ou à l’orientation sexuelle constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée. »
Et « L’interdiction des discriminations liées à l’âge constitue un élément essentiel pour atteindre les objectifs établis par les lignes directrices sur l’emploi et encourager la diversité dans l’emploi. Néanmoins, des différences de traitement liées à l’âge peuvent être justifiées dans certaines circonstances et appellent donc des dispositions spécifiques qui peuvent varier selon la situation des États membres. »
La question de la légitimité et de la proportionnalité était évidemment au coeur des débats. C’est ainsi que la CJUE a décidé d’interpréter les dispositions allemandes en vertu des textes qui lui sont supérieurs, à savoir les textes européens et le droit international. Et dans le sens qu’on ne peut s’opposer à une condition d’âge pour le recrutement d’une personne fournissant une assistance personnelle en application d’une législation nationale prévoyant la prise en compte des souhaits individuels des personnes ayant droit, en raison de leur handicap, à des prestations de services d’assistance personnelle, alors qu’une telle condition d’âge est « une mesure nécessaire à la protection des droits et des libertés d’autrui. »
Sur la portée de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne
La CJUE a, dans cet arrêt du 7 décembre 2023, jugé que la préférence pour des assistantes personnelles d’une certaine tranche d’âge exprimée par la personne handicapée est susceptible de promouvoir le respect du droit à son autodétermination. En conséquence, le recrutement de l’assistance personnelle peut être subordonné à des conditions d’âge, si la mesure est nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui dans tous les pays membres de l’Union Européenne.
Mais la liberté d’autrui peut-elle conduire à subordonner un recrutement de l’assistance personnelle à des raisons sexuelles, ethniques, religieuses… En un mot comme en cent, la boîte de Pandore est ouverte !
Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (Cimeda), février 2024.