I – Sur les faits :
Mme AB, substitut au parquet près le Tribunal de Grande Instance de Paris du 3 mars 2003 au 29 août 2016 a été victime d’une situation d’harcèlement moral. A partir de 2016, elle a été nommée substitut général près la Cour d’Appel de Paris. Cependant, à partir du 17 juin 2008 elle a été reconnue travailleur handicapé par une décision de la commission des droits et de l’autonomie des travailleurs handicapés.
Mme AB a alors demandé l’annulation de plusieurs décisions du 25 mai 2021 fixant le taux de sa prime modulable à 7 % pour l’année 2014, à 8% pour l’année 2015, 9% pour l’année 2016, 10,25% pour l’année 2018, 10,50% pour l’année 2019.
II – Sur les textes applicables à certains magistrats de l’ordre judiciaire :
Il se trouve en effet qu’au terme de l’article 1er d’un décret du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l’ordre judiciaire, ces derniers peuvent avoir droit à une prime modulable attribuée en fonction de l’article 3 du même décret en fonction de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de l’institution judiciaire. Quant à l’article 7 du même décret, il précise que cette prime est calculée en pourcentage du traitement indiciaire brut et que le montant des crédits disponibles au titre de la prime modulable pour les magistrats du siège, d’une part, et du parquet, d’autre part, est déterminé par l’application d’un taux moyen à la masse des traitements indiciaires des magistrats concernés.
Le taux d’attribution individuelle est en tout état de cause fixé pour les magistrats exerçant en juridiction respectivement par le premier président de la cour d’appel pour chaque magistrat du siège de leur ressort et par le procureur général près la Cour d’Appel pour chaque magistrat du parquet du ressort sur proposition du chef de juridiction sous l’autorité duquel est placé le magistrat pour ceux qui sont affectés dans une juridiction du premier degré.
S’agissant de l’article 2 de l’arrêté du 3 mars 2010 pris pour l’application de ce décret, il prévoit que les taux moyen et maximal d’attribution individuelle de cette prime sont fixés respectivement, à compter du 1er janvier 2013, à 12 et 18 %. C’est ainsi que si les taux sont limités, il appartient tout de même à l’administration pour fixer le taux individuel de prime d’un magistrat de prendre en considération son handicap tant pour déterminer le volume et la nature des tâches assignées que pour apprécier au vu des objectifs définis par rapport à ses capacités, la contribution de l’intéressé au bon fonctionnement de l’institution judiciaire.
III – Sur la procédure :
- Par première requête du 30 juillet 2021, Mme AB a demandé à la Cour d’appel de Paris de revoir son taux de prime modulable à 12% ou de réexaminer sa situation pour fixer un nouveau taux sur l’exercice 2014 ;
- Par seconde requête du 30 juillet 2021, Mme AB a demandé l’annulation de la décision du 25 mai 2021 au gré de laquelle sa prime modulable a été fixé à 8% pour l’exercice 2015. Elle demande de nouveau la révision de sa situation ou la fixation de son taux de prime modulable à 12 % ;
- Par troisième requête du 30 juillet 2021, Mme AB a demandé l’annulation de la décision du 25 mai 2021 au gré de laquelle sa prime modulable a été fixé à 8% pour l’exercice 2016 ;
- Par quatrième requête du 30 juillet 2021, Mme AB a demandé l’annulation du taux de sa prime modulable au taux de 10,25 % au bénéfice du même argumentaire, à savoir réexamen de sa situation ou fixation du taux à 12 % sur l’exercice 2018 ;
- Par cinquième requête du 30 juillet 2021, Mme AB a demandé l’annulation du taux de sa prime modulable au taux de 10,50 % au bénéfice du même argumentaire, à savoir réexamen de sa situation ou fixation du taux à 12 % sur l’exercice 2019 ;
- Par requête du 15 décembre 2021, Mme AB demande l’annulation de la décision implicite de rejet de sa demande préalable indemnitaire du 7 juin 2021 et l’état de lui verser la somme de 44.530,76€ assortie d’intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts en raison des préjudices qu’elle estime avoir subis en raison d’une discrimination dont elle a été victime de 2014 à 2019 outre le harcèlement moral qu’il convient d’indemniser à hauteur de 8.284,76€.
IV – Sur la portée du jugement :
- Réexamen de la situation de Mme AB sur les exercices 2014, 2015, 2016, 2018 et 2019 :
Les compétences et mérites professionnels de Mme AB ne sont pas remis en cause. Elle n’exerce pas de sujétions particulières telle que la gestion de missions lourdes d’action publique. Cependant, les aménagements de son poste excluent ce type de sujétions. La péréquation entre ce type de sujétions et les compétences et mérites professionnels de Mme B n’a donc pas à avoir lieu. Cependant, le taux de Mme AB est bien en deçà du taux moyen fixé par l’arrêté : 2% en 2009, 0% en 2010, 3,40% en 2011, 4% en 2012 et 2013, 9% de 2014 à 2016, 10% de 2018 à 2019.
Or, le défenseur des droits saisi également par Mme AB avait conclu dès 2017 que depuis 2009, elle subissait une discrimination indirecte. C’est pourquoi, les décisions prises par le premier président et le parquet ont dû être annulées. Cependant, Mme AB avait déjà été indemnisée par la Cour administrative de Paris dans son arrêt du 9 novembre 2021 et que le motif de l’annulation n’impliquait pas qu’elle se voit octroyer un taux moyen de 12%.
- Sur le traitement discriminatoire de Mme AB durant plusieurs années :
Il a été jugé que le préjudice moral de Mme AB avait été effectivement subi. Il lui a ainsi été alloué la somme de 30.000€.
- Même un fonctionnaire souffrant d’un handicap n’est pas à l’abri d’une discrimination fut-elle indirecte. C’est dire combien il est important de veiller aux salariés.
Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (Cimeda), mai 2024.