Question : Quel bilan dresse Simplon.co de l’accessibilité numérique en France ?
Frédéric Bardeau : Ce bilan n’est pas bon du tout, parce qu’il existe des réglementations sur l’accessibilité numérique au moins depuis la loi du 11 février 2005. Un Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité a été créé mais, sur le terrain, la situation n’a pas évolué pour autant. Même si le nouveau décret de juillet 2019 oblige les administrations et les entreprises importantes à s’y mettre, en fait elle ne le font pas. Le moins mauvais élève, c’est l’État qui est à 26% des démarches administratives accessibles en ligne, ce qui n’est pas un score glorieux.
Question : Le dernier chiffre n’est pas 26% mais 15% des 250 démarches incluses dans un Observatoire, soit 2 points de plus en un an…
Frédéric Bardeau : C’est la haute-fonctionnaire à l’accessibilité, Marine Boudeau, qui, lors d’un salon handicap a évoqué le chiffre de 26%. Elle évoquait peut-être un autre périmètre. Je lui redemanderai parce que je me sers de ce chiffre-là comme une base, s’il n’est pas bon il veut mieux que je corrige mes sources [au 1er septembre, l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne comptabilisait 244 formalités, dont 27 accessibles aux administrés handicapés (14%), 86 « partiellement » (35%) sans garantie de pouvoir achever la procédure et 84 inaccessibles (34%) NDLR].
Question : Justement, dans ce domaine on manque d’évaluation, on ne sait pas combien de dizaines de milliers de sites web et services numériques sont concernés, et on ne voit pas de pilotage du chantier de leur mise en accessibilité…
Frédéric Bardeau : Complètement, c’est ce qu’on constate globalement. Notre contexte d’organisme de formation, là où on trouve que le bât blesse le plus, c’est qu’imaginons qu’il y ait un pilotage, une volonté politique et des entreprises, elles ne pourraient pas travailler parce qu’il y a un manque considérable de compétences dans les formations, dans les personnels du numérique dont la très grande majorité n’est pas formée à l’accessibilité. Ce qui me déprime le plus, c’est que tant que l’accessibilité numérique ne sera pas au coeur des enseignements et de la formation des professionnels de tous niveaux, architectes, développeurs, éditoriaux, on pourra faire plein de grands gestes et de lois, on n’aura pas les « bras » pour faire cette accessibilité.
Question : En regardant les programmes de Simplon, vous êtes moins déprimé ou rencontrez-vous les mêmes difficultés à intégrer l’accessibilité dans la diversité de vos formations ?
Frédéric Bardeau : Je dirai qu’on est les moins pires des mauvais élèves. Au moins, les stagiaires sont sensibilisés à ces questions, tous les référentiels de formation qui concernent la partie technique développeur ou intégrateur comportent un module accessibilité numérique. On leur fait passer une certification Opquast, un test sur la qualité et la maîtrise d’un site Internet qui réserve une part importante à l’accessibilité. En revanche, les maquettes pédagogiques demandées par l’État n’intègrent ce type de test. Nous, on a envie de s’engager dans ce domaine et on pense que c’est un plus en termes d’employabilité. On capitalise là-dessus, mais sur la base du volontariat, ce n’est pas reconnu dans les diplômes.
Question : Qu’en est-il dans les autres organismes de formation, qui sont tous des acteurs du secteur privé ?
Frédéric Bardeau : Franchement, je rencontre des professionnels d’entreprise de services numériques qui en parlent de plus en plus. Elles sont les principales pourvoyeuses de formation, et par cascade cela oblige les organismes de formation à en parler un peu plus, mais je ne vois guère plus que des intentions.
Question : Quels modules proposez-vous ?
Frédéric Bardeau : Un premier module général de sensibilisation, qui présente l’accessibilité numérique, les handicaps, un état des lieux de la législation et de la réglementation, et ce que ça entraîne en termes techniques, éditoriaux, de design. Tout le monde y passe. Malheureusement, il ne bénéficie pas d’une certification d’État puisqu’elle n’existe pas, comme je vous le disais. On propose aux développeurs web une certification Access 42 pour créer des sites Internet accessibles.
Question : Combien de vos stagiaires suivent une formation à l’accessibilité ?
Frédéric Bardeau : Je dirais une petite centaine sur les 4.000 reçus chaque année. On est vraiment au tout début, on a certifié nous-mêmes tous nos formateurs.
Question : Un petit nombre, alors que le besoin de formation figurait déjà dans le premier rapport de 2004 sur l’accessibilité numérique. Quel sentiment vous laisse ce besoin essentiel non satisfait depuis plus de 17 ans ?
Frédéric Bardeau : Tant que les diplômes professionnels n’intégreront pas la conception universelle et l’accessibilité numérique dans les connaissances de base, je pense que ça ne changera pas. Quand elles rejoindront le droit commun des diplômes, les choses bougeront.
Question : En septembre 2020 vous receviez les deux ministres Amélie de Montchalin et Sophie Cluzel. Que leur avez-vous dit et que vous ont-elles répondu ?
Frédéric Bardeau : On leur a parlé de l’intégration de l’accessibilité numérique dans les formations officielles, parce que tant qu’on ne le fera pas on la laissera au bon-vouloir des organismes, de leur appétence sur le sujet. Ce n’est pas de leur compétence ont-elles dit, mais des ministères de l’Enseignement supérieur et du Travail. Amélie de Montchalin a plutôt insisté sur la mise en accessibilité de 80% de 250 formalités administratives grâce au plan de relance.
Question : C’est toujours la compétence du voisin ?
Frédéric Bardeau : Exactement !
Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2021.