« Début 2022, ce sont désormais 40% des sites internet publics qui sont accessibles […] Cette augmentation peut être saluée comme une avancée mais ne saurait suffire […] dès lors que plus de 60% des sites publics demeurent encore « hors de portée » des personnes en situation de handicap. » Ce constat de la Défenseure des Droits inscrit dans son dernier rapport du 16 février sur la dématérialisation administrative est erroné, comme l’ont reconnu ses services neuf jours après.
« Le chiffre de 40% des sites accessibles concerne l’Observatoire des démarches réalisables en ligne, chiffre communiqué lors du [Comité Interministériel du Handicap] et qui est confirmé par les services de la ministre Amélie de Montchalin [chargée de la Transformation et la Fonction publiques]. On n’a pas la possibilité de vérifier les chiffres. » La Défenseure des Droits n’est pas la seule à ne pas avoir vérifié, des médias l’ont repris : pour Libération, « 60% des services en ligne ne leur sont toujours pas accessibles en 2022 », dans La gazette des communes, « seulement 40% des sites publics sont accessibles » de même que pour le Courrier des Maires. Même des journalistes spécialisés « handicap » ont repris cette fausse information tout en l’attribuant aux téléprocédures : « Début 2022, seules 40% des démarches administratives en ligne sont accessibles aux personnes en situation de handicap, contre 12 % en 2019 », écrit par exemple Cassandre Rogeret. Franck Seuret commet la même erreur : « Seules 40% des 250 démarches administratives en ligne sont accessibles aux personnes en situation de handicap. »
Quand 2+2 ne font pas 4
D’où provient ce chiffre ? Des données collectées en janvier par l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne qui n’ont été publiées que le 25 février, après le rapport de la Défenseure des Droits qui en a eu la primeur. Leur analyse montre que 76 démarches prennent en compte les handicaps en respectant au moins 75% des critères du Référentiel Général d’Accessibilité de l’Administration (RGAA) attestés par une déclaration de moins de 3 ans, ce qui ne représente que 31,5% des 241 (et non pas 250) démarches répertoriées. 9 démarches seulement garantissent une accessibilité totale, soit 3,7%. Alors comment a été calculé le chiffre gouvernemental de 37% ? Experte en accessibilité numérique, Julie Moynat a trouvé la réponse : « En filtrant la colonne « Prise en compte handicaps » sur les cellules ayant une valeur « oui », « partiel », « non », on peut compter 204 démarches. En ne filtrant que les « oui », on compte 76 démarches. Cela fait donc 37%. » En effet, l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne répertorie 37 formalités qui ne peuvent être effectuées en ligne. C’est donc en triturant les données que le chiffre gouvernemental devient un vrai-faux : vrai par la résolution de l’équation 76 conformes / (241 formalités – 37 pas numériques), faux sur la réalité de l’accessibilité que détaille Julie Moynat dans son analyse très documentée.
Quant aux sites web publics, l’effort de mise en accessibilité devait porter en priorité sur les 10 plus utilisés par la population, annonçait le 20 septembre 2017 le Comité Interministériel du Handicap, avec comme « Engagements du quinquennat » la « Mise en accessibilité totale des sites elysee.fr et gouvernement.fr » : les deux ont été refaits, les deux affichent actuellement une accessibilité partielle mais pas totale, l’engagement du quinquennat n’est pas respecté. Quant aux 10 sites les plus utilisés, comme rien de significatif n’a été entrepris, ils sont passés à… 15 dans une circulaire du 17 septembre 2020 signée par la ministre de la Fonction et de la transformation publiques, Amélie de Montchalin, et la secrétaire d’État aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel : « Le Service d’Information du Gouvernement prend contact avec les responsables des 15 sites internet gouvernementaux les plus consultés entre mai 2019 et avril 2020 afin de s’assurer du respect des règles d’accessibilité qui entreront en vigueur le 23 septembre 2020. Une formation ainsi qu’un guide pour produire du contenu de manière accessible leur est proposé afin d’inscrire cet objectif dans la durée. » 18 mois après, rien n’a changé : un seul est « totalement conforme », service-public.fr, portail d’information sur la législation, la réglementation et les droits. Quatre demeurent inaccessibles, et pas des moindres : impots.gouv.fr qui assure la déclaration et le paiement et taxes et impôts en tous genres, interieur.gouv.fr qui regroupe ministère de l’Intérieur et préfectures, solidarités-sante.gouv.fr qui centralise l’information indispensable à la compréhension de la crise sanitaire, entre autres domaines d’informations, et urssaf.fr qui assure la déclaration et le paiement des cotisations sociales des salariés, ainsi que la déclaration d’emploi de travailleurs handicapés.
Circulaire ou chiffon de papier ?
Les dix autres sont « partiellement conformes », ce qui ne garantit pas que les administrés puissent accéder aux informations et formalités qui les concernent. La Direction interministérielle du numérique (Dinum) devait soutenir les gestionnaires de ces sites web en déployant des moyens et mobilisant des designers techniques, mais lesquels ? Interrogée, la Dinum cherche encore sa réponse…
Autre engagement sans lendemain, « depuis février 2020, un audit d’accessibilité avec un taux de conformité supérieur à 75% du RGAA est obligatoire afin d’obtenir l’agrément nécessaire pour toute création ou refonte de site internet de l’État » ont écrit les ministres dans la circulaire de septembre 2020. En effet, l’inscription dans le domaine gouv.fr nécessite au moins 75% de conformité au RGAA. Alors, comment celui du Gouvernement et du Premier ministre a-t-il pu être refondu début 2021 avec une accessibilité à 64% du RGAA ? Et le tout nouveau Mon espace santé lancé le 3 février dernier sans accessibilité vérifiée ? Parce qu’ils ne sont pas en gouv.fr mais en simple .fr. Pourquoi donc ce tour de passe-passe ? Il semble que ce taux de conformité de 75% ait été choisi par crainte de ne voir aucun site publié. Alors plutôt que de persister à faire de la com’ et de la prestidigitation, les ministres et l’administration de l’État devraient avouer qu’ils peuvent « laisser de côté les personnes en situation de handicap qui représentent plus de 12 millions de Français. »
Laurent Lejard, mars 2022.
PS : précisons que le site Internet de la Défenseure des Droits n’est pas conforme aux règles d’accessibilité (pas de mention conforme au RGAA en page d’accueil, ni déclaration d’accessibilité, ni schéma pluriannuel de mise en accessibilité).