Le constat est rude : aucun des sites Internet des partis politiques constitués en groupes au Parlement Européen n’est aisément consultable par les quelque 100 millions de citoyens handicapés qui voudraient s’informer sur leurs bilans et propositions. Pire encore, le codage de certaines pages web annule les paramètres d’accessibilité définis par les internautes sur leur logiciel de navigation ! « Même si nous reconnaissons que la majorité des électeurs s’appuieront sur les informations fournies par les partis politiques nationaux – et fournies par divers moyens – nous considérons que ces résultats décevants donnent un aperçu précis de l’inaccessibilité du processus politique, en particulier des campagnes électorales, lorsqu’il doit répondre aux besoins des personnes handicapées » déplore le Forum Européen des Personnes Handicapées.
Dans un rapport de près de 100 pages coréalisé avec la Fondation Funka, spécialiste de l’accessibilité numérique, il évalue les sites Internet des sept principaux partis politiques européens : Parti Populaire Européen, Parti Socialiste Européen, Alliance des Libéraux et Démocrates pour l’Europe, Conservateurs et Réformistes Européens, Verts européens, Gauche Européenne et Identité et Démocratie. Tous présentent des failles et lacunes empêchant « les personnes handicapées de voter en connaissance de cause. » Vu la piètre réputation acquise par l’Union Européenne, voilà qui ne va pas aider à mobiliser les citoyens à exprimer leur choix lors de l’élection du Parlement Européen qui aura lieu du 6 au 9 juin prochains (le dimanche 9 pour la France).
Des erreurs basiques
Aucun des sites web testés ne commente les images, vidéos, clips audio et éléments graphiques (boutons, icônes, etc.) en employant le célèbre tag « alt » connu de la plupart des créateurs de pages. De ce fait, les internautes aveugles sont en difficulté, voire dans l’impossibilité de consulter ces sites. Autre souci : des niveaux de contraste insuffisants gênant la lecture de textes, notamment pour les usagers déficients visuels, cognitifs, ou dyslexiques, mais également tout le monde ! Un seul site web contient un défilement manuel des bandeaux défilants ou clignotants contenant images et pages liées.
La navigation au clavier n’est possible que sur un seul site, ce qui bloque le fonctionnement des technologies d’assistance de navigation web. Et le signalement des erreurs de remplissage de formulaires (pour recevoir des infos par exemple) n’existe que sur deux sites. Si la plupart des vidéos est diffusée avec sous-titrage automatique, les podcasts ne disposent pas des transcriptions nécessaires aux usagers sourds ou malentendants. Les résultats des tests sont également mauvais pour les documents téléchargeables, les rendant difficilement lisibles dès lors que les citoyens handicapés emploient des technologies d’assistance.
Quelques exemples d’errements
Le Parti Populaire Européen (PPE) affiche une vidéo en défilement permanent, inarrêtable. La navigation au clavier est problématique, des liens et images non commentés, le site non consultable sur smartphone au moyen d’une interface vocale. De plus, l’affichage sur l’ordinateur de l’usager d’un clavier visuel est bloqué par la programmation des pages. Et le faible niveau de contraste gêne la navigation des personnes malvoyantes. Le Parti Socialiste Européen (PSE) diffuse en arrière-plan une vidéo en continu, sans pouvoir l’arrêter. Là encore, pas de tag commentant les images, les liens vers les réseaux sociaux sont inactifs pour les utilisateurs de technologies d’assistance, la consultation sur smartphone ne dépasse pas la page d’accueil, le descriptif image du menu change sur chaque page, le contraste s’avère insuffisant, la couleur rouge peut gêner les utilisateurs déficients visuels.
L’Alliance des Libéraux et Démocrates pour l’Europe (ALDE) est également défaillante : changement perpétuel de contenu sans aucune possibilité de faire une pause, absence de messages d’erreur compréhensibles, manque de description alternative des images, contraste insuffisant dans le menu principal, les en-têtes, les boutons, et texte en surimpression aux images. La navigation au clavier est partiellement possible, perturbée par des lacunes de programmation. Les Conservateurs et Réformistes Européens (ECR) sont difficilement consultables par les utilisateurs aveugles ou employant des technologies d’assistance. Leur site contient les mêmes erreurs que les autres, et s’avère mal accessible sur smartphone du fait d’un menu mal nommé. Le clavier visuel ne peut être activé.
Les graphismes du site des Verts Européens ont le plus mauvais niveau de contraste possible, 1,02 ! La lecture et la navigation en sont fortement affectées. S’ajoutent les podcasts sans transcription, des textes alternatifs incohérents sur les images, la navigation assistée impossible sur smartphone. La Gauche européenne ne fait pas mieux : défilement automatique d’images inarrêtable, manque de texte alternatif pour l’icône de recherche, navigation impossible sur mobile, couleur rouge problématique, police de caractère non standard, objets en mouvement.
Pour finir, le site du Parti Identité et Démocratie (Parti ID) est qualifié de « désastre pour les utilisateurs de technologies d’assistance », d’autant plus qu’il mêle anglais et français puisqu’il est administré depuis Paris. A cet égard, tous les sites Internet évalués sont en anglais, sans version en français, allemand ou autre langue, alors qu’il n’y a plus que cinq millions d’Européens dont c’est la langue natale ! Un autre handicap de taille pour les sites web des partis politiques européens, et leur discours envers des citoyens dont ils convoitent les suffrages.
Laurent Lejard, avril 2024.