Laurence Pécaut-Rivolier

« 200.000 sites Internet sont concernés par l’obligation d’accessibilité numérique, dont 3% sont conformes. C’est un tout petit morceau de l’océan qui nous attend. » Cette estimation a été annoncée par Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), le 21 novembre dernier, lors d’une table-ronde à la Cour des Comptes, devant un parterre de personnes déficientes visuelles. Depuis l’ordonnance du 6 septembre 2023, l’Arcom est chargée de contrôler l’effectivité de l’accessibilité numérique des sites Internet de l’Administration et des services publics, ainsi que la formalité déclarative des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros (mention sur la page d’accueil, publication du dernier diagnostic effectué et au besoin des plans annuel et pluriannuel d’amélioration de l’accessibilité numérique.) L’absence de conformité peut entraîner une sanction financière modulable pouvant atteindre 50.000€, mais après une longue procédure non encore mise en oeuvre. Cette mission, à laquelle sont affectés deux employés en équivalent temps-plein, s’ajoute au contrôle et à la sanction des obligations légales des chaînes de télévision, antennes radiophoniques, livre numérique, plateformes numériques, etc. Laurence Pécaut-Rivolier précise l’action de l’Arcom en faveur de l’accessibilité numérique.

Question : Comment s’organise l’Arcom depuis l’ordonnance de septembre 2023 pour exercer cette mission, quels moyens sont affectés ?

Laurence Pécaut-Rivolier : La première étape a été de faire assermenter cinq agents début 2024 pour faire les contrôles. Ensuite, on a monté un plan d’action pour faire face à une action qui nous paraît absolument essentielle, tout en ayant conscience de l’ampleur de la tâche.

Sur les 600 sites d'administrations et services publics contrôlés, 14% sont nationaux, 54% régionaux et 33% locaux

Son premier axe, c’est évidemment une sensibilisation la plus large possible pour rappeler aux acteurs de l’État et des administrations leurs obligations en matière d’accessibilité, les orienter vers des organismes qui peuvent les aider, et leur rappeler d’intégrer l’accessibilité dans le cahier des charges des prestataires lors de la refonte de sites Internet. On a écrit aux ministres, aux présidents de Conseils Départementaux ou Régionaux, on porte la bonne parole dans les salons professionnels tel celui des Maires. Ces trois actions ont fait prendre conscience de cette contrainte et de la nécessité de s’y atteler, et la Direction interministérielle du numérique (Dinum) croule sous les demandes de formation. De nombreux cabinets d’audit et un marché se sont créés, mais avec des escrocs qui s’adressent aux collectivités en prétendant être envoyés par l’Arcom. Des collectivités nous ont contacté en nous disant « on ne comprend pas ce que vous nous demandez, ça ne semble pas faire partie de nos obligations. » On monte actuellement le dossier, ceux qui se sont laissé prendre n’ont pas forcément conscience de l’escroquerie. On a reçu les premières alertes, dès que le dossier sera prêt, il sera transmis au Procureur de la République.

Question : Mais comment allez-vous contrôler le stock de 200.000 sites Internet ?

Laurence Pécaut-Rivolier : La tâche est juste impossible ! On a décidé, pendant ces premiers mois, de procéder par sondage d’un premier nombre de sites qui sont représentatifs des différentes collectivités territoriales et services publics, comme le montre le graphique que nous avons publié. Ça concerne plusieurs centaines de sites [600 au total NDLR] sur lesquels on vérifie l’ensemble des obligations. On pourra ainsi dresser un état indicatif, qui nous manque actuellement, de la situation à laquelle on est confrontés, et demander aux gestionnaires de ces sites de bouger. Évidemment, c’est une goutte d’eau par rapport au nombre de sites concernés, mais on espère beaucoup de la diffusion de ces premières actions, qu’il soit de plus en plus su qu’on intervient. Notre troisième volet d’action est la réponse aux signalements effectués par des associations [22 incluant 11 sites du secteur privé NDLR], avec lesquels nous avons beaucoup de contacts. Nous leur avons demandé de nous signaler les situations, mais sans nous noyer, pour ne pas perdre notre objectif d’ensemble.

Question : C’est le cas avec la déclaration d’impôt sur le revenu qui pose problème depuis sa création, ce que la Fédération des Aveugles de France a dénoncé à nouveau fin octobre. Que répond le ministère des Finances ?

Page d'accueil du site des impôts dédié aux professionnels

Laurence Pécaut-Rivolier : Il fait partie des administrations avec lesquelles on a engagé le contact. L’Arcom s’était déjà rapprochée de la Direction générale des finances publiques en mars, dans le cadre d’une action de sensibilisation à ses obligations. Celle-ci était revenue vers nous en juillet en faisant état de son calendrier de mise en conformité avec les obligations du Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA). La difficulté ne concernait pas la déclaration d’impôts pour les particuliers sur laquelle nous n’avons jamais été saisis, mais la page d’authentification à l’espace professionnel du site des impôts. On a traité tous les signalements reçus à ce sujet. Après vérification, on envoie un courrier aux organismes concernés, leur donnant deux mois pour expliquer comment ils vont remédier aux manquements constatés. En retour, on a eu presque 100% de prises de contact, et ils ont commencé à mettre en oeuvre sous notre contrôle un plan d’engagement pour remédier à ces manquements. Une seule collectivité n’a pas répondu, et le Collège de l’Arcom a envoyé un courrier de mise en garde, et là on a eu le contact.

Question : Il faut déjà commencer à montrer les dents ?

Laurence Pécaut-Rivolier : Dans notre vision Arcom, il faut montrer les dents, mais l’étape sanction n’est pas celle que nous aimons pratiquer parce que nous considérons que c’est un échec. Nous sommes avant tout dans le dialogue pour que nos interlocuteurs prennent conscience du problème et mettent en place, dans des délais raisonnables, un plan d’action visant à améliorer l’accessibilité de leur service.

Question : Revenons sur les moyens. Combien de personnes travaillent à temps-plein sur ce dossier de l’accessibilité numérique ?

Laurence Pécaut-Rivolier : Totalement dédiée sur ce dossier, il y a une personne à temps-plein. En revanche, plusieurs personnes, dont moi ainsi que le chef de service Protection des publics, travaillent sur ce dossier. Il est difficile de dire ce que ça représente en équivalent temps-plein, je pense que ça fait pas mal en ce moment parce qu’on a priorisé ce dossier. Les cinq agents assermentés ont suivi la formation nécessaire pour faire les contrôles, sans être à temps-plein sur cette mission. On fait avec les moyens qu’on a.

L'Arcom contrôle la conformité aux règles d'accessibilité numérique du secteur public, et seulement celle des formalités pour le privé

Question : Pour finir, le secteur privé apparaît dans les 22 signalements, mais pas dans les 600 sites contrôlés ?

Laurence Pécaut-Rivolier : On a répondu aux signalements de sociétés privées correspondant aux critères. En revanche, pour l’instant notre cible c’est le secteur public qu’il faut faire évoluer en priorité.

Question : Vous envisagez de recourir à la mise au pilori, ce name and shame anglo-saxon ?

Laurence Pécaut-Rivolier : C’est une bonne question… On va d’abord contribuer au rapport adressé à la Commsion Européenne quand on aura terminé ce premier volet [sur les 600 sites NDLR], qui ne sera pas nominatif mais montrera quels types d’organismes et de collectivités sont plus en avance ou en retard. Après, tant qu’on est sur la première lettre, c’est confidentiel, et la mise en garde aussi. La mise en demeure, qui suit une mise en garde qui n’a pas eu d’effet efficace, sera publiée.

Laurent Lejard, décembre 2024.

PS : Le site Internet de l’Arcom lui-même n’est que partiellement conforme aux règles d’accessibilité numérique, son dernier audit mentionnant un taux de conformité de 81,25% au RGAA. Nul n’est parfait…

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