Le 1er janvier prochain, les permis de construire des immeubles d’habitation et maisons individuelles destinées à la location devront intégrer la dernière mouture de la réglementation en matière de logements dits évolutifs : leur adaptation en fonction du handicap de l’occupant sera réalisée par des travaux simples, ce qui exclut notamment de casser un mur ou déplacer des réseaux (eau, électricité, etc.). Un arrêté ministériel publié le 17 septembre dernier précise ce que cela entraine pour les salles de bains des logements évolutifs, arrêté décrié dès sa publication et qui fait l’objet d’une concertation en vue d’en réviser les points litigieux. Membre très actif du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) jusqu’en 2018 et « tombeur » de plusieurs errements réglementaires au moyen de recours au Conseil d’État (lire l’actualité des 21 juillet 2009, 7 juin 2011 et 6 juillet 2016), l’expert Christian François explique ce qui posera problème dans les futures douches à l’italienne.
Question : Qu’est-ce qui ne va pas avec les logements évolutifs ?
Christian François : C’est le dernier point finalisé, l’arrêté ministériel du 17 septembre, surtout la salle de bains et sa conception. Si elle est réalisée d’origine avec une baignoire, on disposera d’une superficie suffisante pour installer une douche sans gros travaux, alors que l’inverse ne fonctionnera pas : la superficie minimale avec une douche d’origine serait de 3,2m2. On disposera d’un espace de douche de 90 sur 120cm et d’un espace d’usage contigu de 130 sur 80 cm, ces deux surfaces pouvant se superposer dans la limite du diamètre de giration d’un fauteuil roulant qui est de 1,5m. L’autre problème est que la zone de douche ne prévoit pas dès la conception un équipement permettant de s’asseoir. Dans ces conditions, l’installation d’un tel équipement ne respectera plus l’aire de giration.
Question : Quelle est l’importance de prévoir un système d’assise dès la construction ?
Christian François : Si l’installation n’est pas prévue dès l’origine, sa pose va nécessiter des travaux importants : détruire un revêtement mural étanche, poser des fixations murales, refaire le revêtement, alors que l’observatoire de l’Agence Qualité Construction a mis en évidence que la principale cause de sinistre des salles de bains est constitué de soucis d’étanchéité. Si les fixations ne sont pas prévues d’origine, ce ne sont plus des travaux simples, d’autant plus qu’elles sont différentes selon qu’on dispose d’un mur porteur ou d’une cloison; leur pose entraine des travaux plus lourds, complexes parce qu’il faut aussi refaire l’étanchéité, et coûteux, c’est contraire à l’esprit de la loi.
Question : Mais ce problème est connu des professionnels, de l’Administration et des associations du CNCPH, pourquoi ne pas l’avoir réglé dans la concertation ?
Christian François : La vérité, c’est que les associations corédactrices semblent avoir oublié la nécessité d’un siège et qu’on ne se douche pas sur son fauteuil roulant ! Au-delà des personnes handicapées motrices, ce sont surtout les personnes âgées dépendantes et leurs aidants éventuels qui vont se retrouver en difficulté, si ce n’est même en danger. Je me suis inquiété auprès de la Fédération Française du Bâtiment de savoir si elle demandait la superposition de l’espace de giration sur la zone de douche, on m’a clairement répondu « non, ces dispositions sont dictées par l’administration [la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages DHUP] », et mon contact a même ajouté avec une pointe d’humour « les promoteurs vont être contents ». Pendant les discussions entre associations et administration, le débat s’est focalisé sur la réversibilité douche-baignoire et vice-versa, en oubliant les autres points de friction.
Question : A cet égard, comment se laver dans une zone de douche qui peut n’être que de 1,80 m de hauteur sous plafond ?
Christian François : On est dans du logement évolutif utilisable par tout le monde, personnes valides comprises, qui ne vont pas se doucher pliées en deux d’autant que le siège n’est pas prévu. D’évidence, cette réglementation a été élaborée avec une grande légèreté, le confort des usagers a été complètement oublié. Une personne valide risque de ne pas pouvoir l’utiliser sauf à casser le plafond, une personne paralysée autonome pourrait ne pas disposer de suffisamment de place pour éloigner son fauteuil qui va se doucher en même temps, une personne dépendante ne pourra pas être aidée. La solution est connue, elle figure dans la réglementation récente du 20 avril 2017 qui porte sur les Établissements Recevant du Public avec locaux d’hébergement, les hôtels par exemple. Là, l’aire de giration n’empiète que faiblement sur la zone de douche, il n’y a pas de hauteur minimale, la salle de bains est confortable. A croire qu’il faudra louer une chambre d’hôtel pour se laver…
Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2020.