L’Union Régionale des Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Rhône- Alpes a publié, avec le soutien du Conseil Régional, un Cahier des Jardins spécialement dédié à la thématique du handicap. L’ouvrage, préfacé par le Sénateur René Trégouët, rassemble un certain nombre de témoignages qui sont autant d’études de cas faciles à mettre en pratique.
Jean-Paul Bonneville, jardinier en fauteuil roulant, cultive son jardin dans le sud- ouest : « Oeuvrer dans le monde et goûter la vie est une activité motivante et gratifiante; encore plus pour les invalides, malades, exclus… Comment procéder lorsqu’on n’a pas toutes ses capacités ? On peut toujours faire quelque chose, commencer modestement, se documenter, se faire aider pour réaliser certains travaux comme les charges à déplacer, la taille en hauteur… Les cinq principes que je suis sont : rechercher la qualité avant la quantité, utiliser les méthodes les moins pénibles, choisir des cultures faciles et agréables, utiliser des engins et outils adaptés, coopérer avec la nature au lieu de la combattre ».
« Sur le plan pratique, les cheminements sont en ciment ou dalles (1m de large environ); le potager peut être dallé aussi, ne laissant entre les passages que des bandes de terre cultivable de 5 à 20cm de large. Cette méthode présente de nombreux avantages, même pour les valides; les pots et jardinières doivent être placés à bonne hauteur ou sur le sol (en fauteuil roulant entre 40 et 70 cm). Concernant les engins de déplacement, la tondeuse autoportée doit avoir toutes les commandes à la main, avec porte- bagages servant à divers travaux, un tricycle propulsé par les bras (ou moteur) comporte deux niveaux de siège (pour être plus près du sol), un traineau ras du sol peut rouler sur dalles ou ciment. Enfin, un siège à 25 cm du sol est adapté sur les repose- pieds du fauteuil roulant. Pour l’outillage, j’utilise des outils légers (souvent un seul bras suffit) quelquefois à manche télescopique. Une partie peut être fabriquée par un bricoleur ou modifiée. On peut aller jusqu’à 4m de longueur (à partir d’une canne à pêche) pour cueillir les cerises par exemple. On trouve aussi quelques outils à batterie légers (taille buisson) ».
« Je pratique des méthodes proches de la nature. Je ne travaille pas la terre (sauf dans quelques cas), je nourris le sol, je paille au lieu d’arroser, je taille au minimum, je traite rarement. Les cultures sont choisies selon facilité et agrément. Dans le potager, on trouve les tomates, radis, fèves, mâche, ainsi que les fraises, les fleurs qui cohabitent avec les aromates et les végétaux d’ornement. Le gazon est rustique pour une tonte sans ramassage, les haies sont à petit développement et je privilégie les arbustes à baies. Enfin, les arbres fruitiers sont laissés libres et sont greffés sur sujets faibles. Ils doivent se tailler facilement et, quand cela est possible, sont palissés en tonnelle basse ou formés en parapluie, en palmette, en secteurs, en cordon. »
Roland Roux, aveugle et jardinier dans l’âme : « Quoi de plus naturel, de plus délassant que de cultiver son jardin ? Le parfum des fleurs, la rectitude d’une ligne de fraisiers, les mille et une senteurs des herbes aromatiques sont autant de plaisirs que peut s’offrir un jardinier, fût-il aveugle. Privé de la vue depuis 1975, j’ai continué à cultiver mon jardin à Vayres dans la région Bordelaise en relevant le défi que la perte d’un sens pouvait être compensée par les quatre autres : goûter, sentir, toucher, entendre, autant d’approches spécifiques d’un jardinier non- voyant; ces facultés exacerbées procurent d’immenses joies ! »
« D’un coup d’oeil, le jardinier ordinaire embrasse les contours de son jardin, apprécie l’alignement des plates- bandes, le développement des plantes, l’état de maturation des fruits… Il fallait trouver un système permettant à un non- voyant d’accéder à son jardin, se repérer, se mouvoir, semer, planter, tuteurer… bref, permettre à Dame Nature d’être généreuse et de produire des fruits et des légumes aux qualités gustatives incontestables. Pour ce faire, tout autour du terrain, des piquets en bois de différentes hauteurs reliés entre eux par une ficelle à la hauteur de la hanche permettent de se situer sur le périmètre. Le rectangle de trente mètres sur dix est divisé dans le sens de la longueur, en bandes de un mètre pour circuler entre les plates- bandes; une allée en creux de trente centimètres sépare chaque parcelle elle- même délimitée aux quatre coins par un piquet en bois dépassant de dix centimètres. Ainsi un aveugle peut-il accéder facilement à son potager et se repérer dans l’espace ».
« Bêcher le sol à la main, respecter les époques de semis ou de plantations en observant comme autrefois le cycle lunaire, utiliser du purin d’ortie pour lutter contre parasites et maladies (il a également une action bénéfique sur la croissance des plantes), utiliser le « mulching » (paillage) pour éviter l’évaporation outrancière de l’eau et favoriser la flore microbienne naturelle, amender avec du vrai fumier de ferme, autant de pratiques se référant à celles utilisées par mon père dans le jardin familial et que je reproduis aujourd’hui. Ces connaissances anciennes, confortées par les pratiques nouvelles dites de bio dynamique, aboutissent à une production équilibrée importante et une saveur naturelle des produits du jardin. Telles sont mes pratiques dont le résultat fait l’émerveillement des visiteurs ! Le cycle des saisons, la juste maturation au soleil et la passion du jardinage me permettent d’utiliser les produits de mon jardin tout au long de l’année frais ou congelés, et de donner (la joie du partage !) légumes ou fruits aux enfants, aux amis, aux visiteurs. Oui, dans ces conditions, jardiner sans voir est un plaisir, un régal, un réconfort, une occasion de détente et de rencontre avec autrui ».
Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2004.
Le Cahier des Jardins Rhône-Alpes numéro 4, « jardiner ensemble », édité par l’Union Régionale du Conseil d’architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement du Rhône (C.A.U.E). Chacun des articles écrit par des auteurs aux horizons divers est abondamment illustré par des photos et des croquis. Une bibliographie et un carnet d’adresses utiles complètent l’ouvrage. Mai 2003, 36 pages. Prix : 3 euros + frais de port. Renseignements et commande au C.A.U.E du Rhône, 6 bis quai Saint- Vincent 69283 Lyon cedex 1. Tél : 04 72 07 44 55, Fax : 04 72 07 44 59.