Les sports de combat connaissent un engouement certain. Ils constituent une réponse à un sentiment d’insécurité, réel ou ressenti, mais également au besoin d’extérioriser, en la maitrisant, une violence intrinsèque à de nombreuses personnes. Ces sports sont à la fois un défouloir et une protection contre une agression. Ces sports de combat ne sont plus seulement passivement regardés par les personnes handicapées, certaines ont poussé la porte des salles et des dojos et ont élaboré les adaptations qui leur ont permis de s’approprier ces activités parfois violentes. Activités que l’on contre-indiquerait a priori à des personnes handicapées, trop souvent considérées comme vulnérables : « Je n’irai pas dans cette voie, objecte Loïc Gourdon, responsable du Pole ressources national sport et handicaps, basé à Bourges (Cher). Le combat, c’est la dualité en portant un coup. Mais on peut faire des adaptations sur des coups non portés, privilégier la technicité à la force ».
Loïc Gourdon considère, par exemple, que le ski assis ou le fauteuil tout terrain sont au moins aussi dangereux, si ce n’est plus, que des sports de combat : « On doit partir de la demande de la personne en gardant les fondamentaux de la discipline pour les adapter. Il y a également une mise en situation de responsabilité, en gardant à l’esprit l’aspect loisirs, découverte ». Pour lui, tous les sports de combat sont adaptables, en aménageant techniques et pratiques, et en se posant la question de l’effet bénéfique. En ce moment, Loïc Gourdon suit l’élaboration d’un projet d’adaptation de la boxe anglaise, un premier stage s’étant déroulé fin mars pour adapter l’arbitrage.
Lutte. Faute de candidats handicapés moteurs, la pratique adaptée de la lutte reste encore à créer. Discipline olympique, elle trouve ses origines dans le monde animal : il n’est qu’à regarder comment chiens et chats s’éprouvent en se retournant et plaquant mutuellement au sol ! Codifiée dès l’Antiquité grecque, la lutte est un combat à mains nues qui consiste à projeter un adversaire à terre et à y maintenir ses épaules plaquées durant quelques secondes. Adapter la discipline aux personnes handicapées motrices, c’est ce que tente de réaliser Germain Tilagone, président du Sport Club d’Orvault : « Je me suis investi pour qu’elle soit réalisée. Après les déficients visuels et les personnes trisomiques, je lance le bras de fer pour les personnes handicapées motrices ». Cette discipline a récemment été présentée aux haltérophiles handisport lors d’un stage de formation, qui l’ont vivement appréciée. « Les athlètes ont trouvé cela formidable pour s’entrainer autrement qu’en solitaire », poursuit Germain Tilagone. On lutte alternativement avec le bras droit puis le bras gauche, en tenant une poignée avec la main opposée. Le combat se déroule sur une table, en deux matches gagnants. La lutte au bras de fer nécessite une bonne ceinture scapulaire, ce qui la rend praticable par les paraplégiques. « Je privilégie l’intégration avec les autres, conclut Germain Tilagone, pour que le handicap n’en soit pas un ». Il n’attend plus que des volontaires pour pratiquer cette lutte adaptée qu’il veut lancer dès 2007.
Judo et ju-jitsu. Le judo (« voie de la souplesse ») a été codifié en 1882 par le maître japonais Jigoro Kano. Il connait un réel succès en France, avec plus de 650.000 licenciés. Il est le seul art martial à être une discipline paralympique, mais pour les déficients visuels uniquement (lire cette présentation). On peut voir là le résultat d’une politique d’intégration initiée en France dès 1972 et qui se traduit par une convention entre les fédérations de Judo, Handisport, Sport Adapté et Sourds; chaque année, une commission rassemblant les quatre fédérations fait le point sur la pratique et ses évolutions prévisibles. Un quart des professeurs de judo est formé à l’accueil et à l’enseignement auprès de personnes handicapées : « C’est nécessaire pour que le judo se développe parmi elles », estime Jacques Delataille, qui dirige la commission Handicap au sein de la Fédération Française de Judo et de Ju-jitsu. Avec un délégué handicap dans chaque ligue et département, il est possible de trouver un club de proximité pourvu d’un enseignant formé. Les juges suivront, à partir de l’automne 2007, une formation systématique d’arbitrage adapté aux différents handicaps.
« Le judo adapté est pratiqué parmi les valides, précise Patricia Bachelet, de la ligue Nord. Il repose sur l’entraide prônée par le Maître Jigoro Kano ». Sport de préhension, le judo ne peut être pratiqué par des amputés de bras ou de jambes, en compétition tout du moins; les amputés de jambes luttent au sol. Le travail musculaire allié à la concentration mentale en font une activité bien adaptée aux infirmes moteurs cérébraux, pour lesquels le gain en terme de mobilité et de psychomotricité est important : « Le travail est progressif, explique Jacques Delataille, basé sur des roulades, les déplacements, les techniques. On commence au sol, par les retournements et étranglements, puis debout ». Les pratiquants appareillés parviennent à retirer leurs orthèses. Récemment, une technique de lutte avec un bâton en mousse, le « Chanbara », a été introduite; employée avec des personnes déficientes intellectuelles, elle synthétise lutte et escrime. Cette activité éducative est travaillée en ligne ou en face à face, elle est adaptable aux personnes handicapées motrices et un pôle de recherche a été constitué pour la réaliser.
Les personnes handicapées physiques, autres que les amputés de jambes pour lesquels le combat au sol est possible, sont dirigées vers le ju-jitsu. « Cette self-défense a été adaptée il y a une vingtaine d’années pour des personnes paraplégiques victimes d’agressions physiques et qui voulaient pouvoir se défendre », explique Patricia Bachelet. Basé sur des coups de pieds, poings, clés, le Ju-jitsu est adaptable jusqu’aux formes hautes de paraplégie. « Le fauteuil roulant lui-même devient une arme, complète Patricia Bachelet, à tel point que l’on enlève les palettes lors des entrainements. Et après l’engagement dans la garde, le combat se poursuit au sol ». Certains adeptes sont passés maitres dans l’art de la chute arrière, ou le coincement de doigts dans les roues du fauteuil !
Si le judo est « proximal » et le karaté « distal », l’aïkido (« voie de la concordance des énergies ») se situe à mi-chemin, en développant une technique de « bras-sabre ». Il a été créé au Japon dans les années 1930, en reprenant des éléments du ju-jitsu, par Morihei Ueshiba. Il consiste à utiliser l’agressivité et la force de l’adversaire pour en faire une arme contre lui et annihiler son attaque. Pour les personnes handicapées, la fédération ne dispose encore ni d’une organisation spécifique, ni de section handisport. Elle a chargé Marie-Christine Verne de développer cette pratique : « Il s’agit d’une approche plus personnelle, explique-t-elle, sans compétition mais avec passage de grades ». Les attaques sont de trois natures : coupe (héritage des armes), frappe (estoc, taille), saisie. L’aïkido est en prise avec l’héritage culturel japonais : les gens se tenaient à genoux à table, cet art martial a développé des techniques de défense dans cette position conviviale. Les attaques se font debout, à genoux, les deux adversaires à genoux ou debout, par devant ou dans le dos.
Devenu sport, l’aïkido se pratique en binôme, parfois avec plusieurs attaquants, souvent en facial. « Depuis la loi de février 2005, poursuit Marie-Christine Verne, nous avons la volonté d’accueillir parmi les valides des personnes handicapées. Certaines ont poussé la porte des dojos, une démarche certes sporadique mais qui nous a poussé à créer un groupe de travail ». Si les refus d’intégrer sont encore nombreux, quelques pratiquants isolés ont réussi à passer des grades : « On réfléchit à une formation des juges arbitres pour que les personnes handicapées puissent être évaluées en fonction d’une approche plus personnelle, si les fondamentaux sont posés, la forme peut évoluer », conclut Marie-Christine Verne, qui estime que l’on doit aller jusqu’à la limite de l’autonomie des personnes intéressées. De son côté, le Paris Aïkido Club a entrepris de développer la pratique de ce sport parmi les personnes handicapées mentales. « On peut parvenir à des limites avec des personnes handicapées physiques », estime Patrice Verdier, président du club. Qui constate que sa démarche volontaire se heurte à l’inertie des associations de personnes handicapées : sur 45 contactées, aucune n’a répondu au courrier d’information qu’il leur a adressé. « Nos portes sont ouvertes », conclut néanmoins Patrice Verdier. Il reste à les franchir…
Laurent Lejard, septembre 2007.
Fédération Française de Judo : 21-25, Avenue de la Porte de Châtillon 75680 Paris Cedex 14 Tél. : 01 40 52 16 16. Fédération Française d’Aïkido et de Budo : Les Allées 83149 Bras Tel. : 04 98 05 22 28. Sport Club Orvault : Complexe Roger Picaud, La Cholière 44700 Orvault Tél. : 06 98 86 99 03.