Quand on demande à Paul Kolié, le président de la Fédération guinéenne des sports pour handicapés, comment se porte son institution, il préfère tout d’abord évoquer le passé glorieux de celle-ci. Selon lui, le handisport guinéen « est très riche en palmarès ». Il confie aussi que les athlètes de la fédération ont participé aux Jeux Paralympiques de 1992 à Barcelone, 2000 à Sidney, 2004 à Athènes et 2008 à Pékin. Mais c’est dans des compétitions de moindre envergure que les sportifs handicapés guinéens auraient jusqu’ici véritablement brillé. C’est ainsi que, non sans une certaine fierté, Paul Kolié, à la tête d’un bureau fédéral élu en 2008, déclare : « On a également pris part aux JAPHAF (Jeux de l’avenir des personnes handicapées d’Afrique francophone), dont la Guinée a participé à quatre éditions. Je voudrais ici revenir sur la quatrième édition qui avait été organisée au Sénégal au cours de laquelle nous avons été classés deuxième en handibasket. Nous avons également pris part à la cinquième édition qui a eu lieu en Mauritanie. Là, nous avions décroché la médaille d’or, toujours en handibasket. On était aussi du rendez-vous de la sixième édition qui s’était tenue en Côte d’Ivoire. Là, ce sont les athlètes qui ont remporté quatre médailles. »
Pour ce qui est du présent, le président de la fédération qui, depuis 2010 et à la demande du Comité International Paralympique, s’est muée en un Comité National Paralympique Guinéen (CNPG), admet qu’il y a « des difficultés de fonctionnement dues à la cherté de la vie ». Et selon lui, la situation a commencé à se dégrader depuis l’instauration de la transition militaire en 2008. « Depuis, déplore-t-il, rien ne marche. Ce qui fait que nous avons échoué à prendre part à plus de cinq compétitions. En fait, quand on a une compétition en vue, on introduit le dossier au ministère des sports. On nous a toujours répondu la même chose : il n’y a pas d’argent. Chaque fois, c’est le même refrain. Et même quand la compétition en question doit se dérouler sur le continent africain. » Mais Paul Kolié pense qu’en réalité, « c’est une forme de discrimination qu’on voudrait justifier par une certaine forme d’austérité ». Une situation qui l’énerve d’autant plus qu’il est convaincu d’avoir des sportifs qui peuvent faire des performances. Et en l’absence de l’appui venant de l’Etat, Paul Kolié, qui estime que son institution est une ONG comme une autre, dit que celle-ci fonctionne tant bien que mal grâce aux dons, legs, assistance, « venant aussi bien des personnes de bonne volonté que des sociétés et entreprises qui répondent aux sollicitations ponctuelles que nous formulons à la faveur de certaines activités que nous initions. »
L’argent ne tombe pas du ciel.
Cette accusation portée plus ou moins contre le département des sports, si le directeur national des sports et des activités physiques, Mohamed Zaïnoul Camara, ne la rejette pas en bloc, il l’estime néanmoins surévaluée et systématisée par une analyse subjective : « Il y aussi une dimension psychologique qui amène les personnes handicapées à s’estimer victimes de discrimination dès qu’une démarche entreprise par elles n’aboutit pas selon leur volonté. Il se passe qu’actuellement, en dehors du football de haut niveau, aucune fédération ne bénéficie du financement de l’Etat guinéen, austérité oblige. » Subtilement, il reproche à la Fédération guinéenne des sports pour handicapés de manquer de dynamisme et de pro-activité. Ce qui fait que contrairement à d’autres fédérations sportives, les responsables du handisport guinéen ne vont pas à la rencontre des entreprises en vue de conclure avec elles des partenariats susceptibles de l’aider à faire face à certains de ses objectifs.
Un autre point autour duquel Messieurs Kolié et Camara ne sont pas d’accord, c’est la subvention que l’Etat guinéen accorderait au handisport. Selon le président de la fédération, celle-ci n’existe pas, ce que rejette catégoriquement le représentant du ministère des sports : « Il y a un arrêté ministériel dans ce sens et aux termes duquel un certain montant est accordé annuellement au handisport pour qu’il puisse organiser ses compétitions sur les plans national, africain et international. » Néanmoins, il reconnait que depuis deux ou trois ans, la subvention n’est pas effectivement versée pour une raison « inconnue »…
On peut d’autant plus relativiser l’assurance que donnait le président de la fédération quant à la disponibilité de sportifs performants, que durant les quatre dernières éditions des Jeux Paralympiques, un seul et même sportif, Ahmed Laïly Barry, a représenté la Guinée. Malheureusement, cette année il ne sera pas au rendez-vous de Londres. Il était pourtant le meilleur espoir du handisport guinéen dans la mesure où il est le seul dont la performance soit à la hauteur. Cependant, ce privilège ne confère nullement à Ahmed Laïly Barry des conditions de vie enviables, loin s’en faut. Confiant s’être préparé à titre individuel et n’ayant bénéficié d’aucun soutien, le représentant attitré du handisport guinéen aux disciplines d’haltérophilie et d’athlétisme dans les 100 et 200 mètres ne cache pas son amertume et sa colère. Ceci étant, il n’entretenait aucune illusion quant à la possibilité de remporter une médaille à Londres. Parce que, se plaint-il, « je n’ai même pas de quoi manger ! » Mais pour lui, la perspective de revenir sans médaille n’avait rien de dramatique parce qu’il en a toujours été ainsi en ce qui concerne les Jeux Paralympiques. De toutes ses participations aux compétitions africaines et internationales, Ahmed Laïly Bah dit en outre n’avoir presque rien gagné : « Je n’ai jamais reçu que 2 millions de francs guinéens [226€] à l’issue d’une compétition à laquelle j’ai pris part. »
Crise de confiance.
En ce qui concerne les conditions générales de pratique du sport par les personnes handicapées en Guinée, tous les acteurs s’accordent à reconnaître qu’elles sont loin d’être les meilleures. Les seuls sportifs qui bénéficient de séances d’entrainements régulières sont les handibasketteurs, mais ils n’y ont droit qu’une fois par semaine… à condition que d’autres manifestations sportives ne soient pas programmées à la même heure dans l’enceinte du palais des sports. Il arrive aussi très souvent que le nombre de joueurs requis n’étant pas atteint, la décision de reporter la séance s’impose d’elle-même, parce que beaucoup de membres de l’équipe habitent dans la banlieue de la capitale guinéenne. Du coup, pour beaucoup d’entre eux, se pose non seulement l’épineuse question des frais de transport mais aussi la difficulté même de trouver un taxi les amenant au stade…
Un ensemble de choses que Kéléfa Sidibé, joueur de cette équipe, souligne en ces termes : « Pour ce qui est des entrainements que nous tenons ici tous les samedis, je dois dire que chacun y vient sur la base de sa propre volonté et en fonction des moyens dont disposent les uns et les autres. Il n’y a aucune contrainte parce qu’il n’y a pas de mesures allant dans le sens de la prise en charge notamment des frais de transport et même des sachets d’eau que nous buvons après les séances. » Son co-équipier, Mohamed Donzo, préfère s’en prendre aux responsables de la fédération : « Elle ne s’occupe pas bien de nous. Les méthodes de travail au sein de cette fédération ne nous conviennent pas. Parce qu’il faut dire que pour un sportif, quand vous faites un an sans faire une compétition, cela vous enlève votre caractère de sportif. Très souvent, nous apprenons qu’une compétition se prépare, mais après, on nous dit que le ministère des sports n’a pas accepté de nous faire voyager. Quelquefois, nous sommes convaincus que ces allégations ne sont pas à 100 % vraies. »
Pour ce qui concerne la participation aux Jeux Paralympiques de Londres, Soriba Sylla, membre du Comité National Olympique et chef de mission de la Guinée pour les Jeux Olympiques de Londres et qui a toujours aidé les participants du handisport dans les démarches, indiquait fin juin que « rien n’est fait que je sache ». Conscient du caractère méticuleux de la procédure, il ne cachait pas son inquiétude quant au retard que pourrait accuser la délégation guinéenne pour les Jeux Paralympiques de Londres. Cette mise en garde n’aura pour autant pas servi à grand-chose : l’unique handisportif guinéen qui devait prendre part aux jeux de Londres en a été empêché, parce que le Comité national paralympique de Guinée (CNPG) s’est acquitté trop tardivement de ses arriérés de cotisation auprès du Comité International Paralympique… Selon Sékou Filon Camara, le directeur technique du CNPG, « Ce n’est que la semaine dernière que nos arriérés ont été déposés. Mais c’était trop tard pour que nous puissions prendre part aux jeux de Londres. »
Boubacar Sanso Barry, août 2012