Nouvelle Donne, tel est le nom de l’opération lancée à Lyon (Rhône) lors du championnat du monde de bridge à la mi-août dernier lors duquel la première compétition de handibridge s’est déroulée. A son bord, le cabinet d’avocats Collard & Associés, la Fédération Française de Bridge et l’association Victimes et Citoyens. Les objectifs de Nouvelle Donne, qui vise dans un premier temps les personnes en rééducation, sont multiples : participer à la rééducation par la manipulation de cartes et la stimulation intellectuelle, renouer avec la vie sociale (le bridge se joue à quatre dans un cadre convivial) et assumer son nouveau corps en le confrontant aux autres. Et pour la Fédération Française de Bridge, c’est une opportunité de secouer l’image un peu guindée accolée à ce jeu de cartes inventé vers la fin du XIXe siècle.
« On a réalisé une première compétition de bridge adapté pendant les championnats du monde à Lyon, explique Philippe Cronier, directeur technique à la Fédération Française de Bridge. On avait l’idée que le bridge pour une personne handicapée n’avait rien de différent d’une personne valide, on s’est aperçu que les rythmes de jeu sont très différents. Dans un club, on fait huit à neuf donnes à l’heure. Avec des joueurs handicapés qui ont besoin d’aide pour tenir ou jouer leurs cartes, tirer des enchères, on fait plutôt quatre données à l’heure, ce qui empêche de participer à une compétition avec des joueurs valides. L’idée de faire jouer des personnes handicapées ensemble est née à cette occasion, mais également de les initier sur leur lieu de rééducation, ce qui la rend plus facile. Cela permet de les intégrer ensuite dans des clubs, sous certaines conditions. »
Encore faut-il surmonter l’image élitiste qui colle au jeu de bridge et à ses clubs. « Le bridge est aujourd’hui pratiqué à tous les niveaux d’âge et sociaux, estime Maitre Vanessa Brandone, associée du cabinet Collard. Quand on connaît, on s’aperçoit que tout le monde joue et la notion de sport ou d’activité réservé à une élite n’existe pas. » La FFB conduit d’ailleurs, via une convention avec l’Education Nationale, des actions auprès de collégiens en difficulté scolaire, notamment avec l’arithmétique, pour les faire progresser : « Ça nous a permis de développer l’initiation de jeunes joueurs, vers 11-12 ans, ajoute Philippe Cronier. On forme environ 7.000 jeunes scolaires chaque année. Parce que parmi les jeux de cartes, c’est celui qui est le plus proche d’un sport avec des classements, des arbitres. Et avec de nombreux clubs qui sont autant de relais pour les enseignants. » Cette structuration sera donc mobilisée pour Nouvelle Donne afin que les sortants d’établissements puissent poursuivre leur pratique dans un club proche de chez eux.
Une logistique essentielle : « Quand on contacte un centre de rééducation, il faut que l’on ait des enseignants formés disponibles pour venir une ou deux fois par semaine dans l’établissement pendant deux heures, reprend Maitre Vanessa Brandone. La FFB nous fournit ce support, ainsi que des matériels adaptés aux handicaps. C’est une possibilité que l’on voudrait offrir aux personnes en centre de rééducation d’être initiées au bridge. Elles sont souvent isolées dans leurs chambres, après les soins et les visites, on veut proposer une activité qui puisse être partagée avec d’autres, le but étant qu’elles parviennent à jouer et continuent après leur sortie de l’établissement. » En prenant également en compte les besoins d’adaptations liés à l’éventuelle lourdeur du handicap. A noter qu’il est admis de jouer avec des cartes en braille, ainsi qu’avec l’aide d’une tierce-personne lorsqu’on ne peut manipuler des cartes.
L’activité est lancée dans deux établissements de rééducation, dont la clinique de rééducation fonctionnelle Les Alpilles à Saint-Rémy de Provence (Bouches-du-Rhône) : « Nous allons tester cette activité ludique, précise sa directrice, Ghislaine Rey, parce que certains patients jouent déjà aux cartes après les soins, et qu’elle valorise l’accueil de nos patients. D’autre part, j’ai travaillé dans une autre clinique qui reçoit des patients lourdement handicapés après un accident, et là le bridge pourrait les amener à retrouver un abord social. » Un intérêt thérapeutique particulier, donc : « Le bridge permet de perfectionner la prise de décision, la rapidité de calcul mental, la stimulation pour tenir, construire une stratégie que l’on voit moins en jouant à la belote, ajoute Ghislaine Rey. Il a aussi des vertus psychologiques, notamment dans la reprise de confiance en soi ou la maitrise du stress. » L’association locale de bridge va apporter ses compétences pour assurer l’activité, et se dit prête à accueillir les novices après leur sortie, pour le plaisir de jouer ensemble.
Laurent Lejard, octobre 2017.