En cette époque d’hypermédiatisation du sport professionnel et des business plus ou moins honnêtes qu’il suscite, on peine à imaginer que des partis politiques et des syndicats aient jadis créé des organisations sportives ! C’est pourtant au début du siècle dernier que remonte la genèse de l’actuelle Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT), créée en 1934 par la fusion de deux mouvements sportifs, l’un socialiste et l’autre communiste. Si cet ancrage politique et syndical s’est distendu au fil des décennies, la FSGT reste un mouvement d’éducation populaire dont un tiers des associations et clubs affiliés sont des sections sportives d’entreprises oeuvrant en France. Son action de promotion du sport pour tous l’a également conduite à recevoir des pratiquants handicapés, mais c’est assez récemment que la FSGT a développé une action inclusive innovante : les pratiques partagées.
« L’accueil de personnes handicapées est assez naturel au fil du temps par des organisations locales ou d’entreprises, explique Yohan Massot, chargé de développement au comité FSGT de Seine-Saint-Denis. On a constaté il y a quelques années qu’il fallait une action plus structurée, et on a élaboré les pratiques partagées : des activités communes, basées sur le jeu, le partage, la progression et la réussite progressive. Si on reprend une logique d’activité et qu’on la construit, pratiquants handicapés et valides peuvent être ensemble. Les valides ne sont pas là pour aider mais pour pratiquer ensemble. » Il cite l’exemple de la Thèque, sorte de base-ball que l’on adapte à volonté en fonction des installations et des joueurs, qu’ils soient hémiplégiques, en fauteuil roulant, handicapés intellectuels, ou simplement valides : « Tous jouent ensemble, en adaptant la course, les zones de repos, les parcours, etc. Tout ce monde va pouvoir trouver son plaisir en équipe. On s’efforce de ne pas réduire les capacités du pratiquant, mais au contraire de tirer les potentialités de chacun. »
Pour cela, la FSGT a formé des animateurs sportifs. « On se place en complémentarité du handisport, poursuit Yohan Massot; pour une société plus inclusive en agissant sur des structures locales dans les quartiers, les villes, des associations. » Une action inscrite dans la philosophie de la FSGT, agir dans les quartiers populaires pour réduire les inégalités d’accès aux pratiques sportives sans que le coût soit un obstacle. « On a ouvert un espace de pratiques partagées dans un collège de Stains avec les jeunes d’un Institut Médico-Educatif, d’un IMPro et les collégiens, sur les temps extrascolaires. L’accompagnement des jeunes handicapés est assuré par des parents volontaires. Stains est devenu une ville-pilote et son action a essaimé dans d’autres villes. » Particulièrement actif dans ce domaine, le comité de Seine-Saint-Denis organise un festival des pratiques partagées regroupant des centaines de jeunes sur près d’une trentaine d’activités (prochaine édition le 16 mai 2019 à Drancy) et un gala annuel dont le prochain doit se dérouler en juin 2019.
Qu’en est-il dans le monde du travail, coeur de cible de la FSGT ? « Nos 4.500 clubs affiliés sont pour 30% issus du monde du travail, explique Antoine Petitet, coordonnateur de la vie associative. Quand on a lancé les pratiques partagées, nous n’avons pas cherché à les identifier dans les entreprises. Le projet de la FSGT est de faire changer le regard dans les clubs par la pratique. » Avec une grande diversité de structures, certains clubs comptant des milliers de membres, la plupart quelques dizaines. « Les pratiques partagées remontent à 2010, poursuit Antoine Petitet. C’était une volonté fédérale d’encourager la pratique mixte. On s’efforce de mettre en avant les clubs qui ont ces pratiques, en toutes disciplines : football, escalade par exemple en Ile-de-France avec une association qui fait de la sensibilisation, tandem. Nous avons d’ailleurs organisé un séminaire en juillet pour décortiquer la pratique d’un club Alsacien de tandem cyclotouriste. » Au niveau fédéral, la coordination des pratiques partagées est assez jeune, organisée depuis cinq ans. Elle s’appuie sur des modules de formations qui capitalisent les actions réalisées, une manière de se perfectionner en intégrant les acquis.
Tout en laissant de côté l’aspect performance vers l’élite et la professionnalisation sportive qui pèse sur le sport pour tous, déplore Antoine Petitet : « On subit à différents niveaux les conséquences du professionnalisme, par une baisse des subventions nationales ou pour les clubs. Mais ce n’est pas le frein principal, l’accès aux infrastructures pose problème : nos clubs rencontrent des difficultés pour avoir des créneaux d’accès aux stades et gymnases, ils ne sont pas prioritaires puisqu’ils ne visent pas la performance. Notre encadrement est essentiellement bénévole. Sur le long terme, le ministère des Sports veut renforcer le sport privé au détriment de l’associatif. Tout le monde est en concurrence sur les appels à projets. La notion de sport pour tous est peu valorisée par l’action publique. Les moyens sont réduits chaque année de 7 à 10%, et ça se cumule. Et les délégataires de haut-niveau ont développé leur réseau ‘sport pour tous’, tout le monde court après les adhérents. » Une course que la FSGT ne veut pas mener, ancrée qu’elle est dans le mouvement ouvrier et d’éducation populaire. Pour faire du sport autrement, participer à l’émancipation humaine et au sport citoyen, du sport entre copains ouverts aux autres quelles que soient leurs aptitudes.
Laurent Lejard, novembre 2018.
La FSGT a également publié en 2017 un ouvrage pratique Des jeux des enfants des sports et des pratiques handi-valides contenant 70 fiches de jeux dans 6 sports et des pratiques partagées; 18€ chez l’éditeur. La partie pratiques partagées est téléchargeable au format PDF ou ePub.