En 2018, Polaris a mis sur le marché le premier SSV monoplace. Voici enfin la machine que j’attendais pour me lancer un nouveau défi : être le premier paraplégique à rallier Dakar au départ de Monaco, seul au volant d’un buggy, combinant navigation et pilotage, dans le plus pur esprit du légendaire Paris-Dakar. Avant cela, j’ai participé en juin 2019 au Morocco Desert Challenge afin de faire un test grandeur nature, connaître la machine et la préparer au mieux. Test réussi avec une 8e place en SSV sur 70 participants, c’était plutôt bon signe !
Mon choix de participer à l’Africa Eco Race 2020 était évident : réaliser un rêve d’enfant. Depuis tout jeune j’ai été subjugué par les images des pilotes traversant le sable et les dunes durant deux semaines. Un esprit de compétition, d’aventure, d’entraide et d’humilité règne au sein de cette aventure. Il y a 12 ans, Jean-Louis Schlesser et René Metge ont ressuscité le rallye-raid à la Thierry Sabine [fondateur du Dakar décédé en 1986 NDLR]. Grâce à Nicolas Hoogsteyns et Corentin Rousseau (BCR Racing) qui ont sacrifié leurs dimanches et quelques soirées, mon Polaris RZR RS1 fut prêt pour prendre le départ vers Menton afin d’effectuer le contrôle technique et toutes les démarches administratives.
Nous quittons Ohain (Nord) le 2 janvier, mon père Marc nous conduit. Il me soutient dans mes aventures depuis toutes ces années. Mon ami Gauthier Duwelz m’accompagnera aussi tout au long du périple pour faire la mécanique, l’entretien et réparation du Polaris tout en assurant la logistique aux bivouacs. En deux mots, il roule la journée et travaille la nuit ! Le 4 janvier, nous voici enfin sur la ligne de départ à Monaco. Une belle soirée était organisée pour l’événement. Mon cœur battait à 100 à l’heure en me remémorant le parcours du combattant juste pour pouvoir être présent au départ. Entre les préparations de la machine, la logistique et le nerf de la guerre: pouvoir trouver les fonds nécessaires pour boucler un budget important. Je ne remercierai jamais assez tous mes sponsors et partenaires pour leur aide.
Après deux jours sur le bateau, nous arrivons le 7 janvier à Tanger (Maroc) : les choses sérieuses commencent par une étape de liaison de 754 kilomètres, dont un secteur chrono de 22 kilomètres à travers une forêt sablonneuse. Peu de kilomètres mais un gros morceau de navigation où plus d’un a perdu de précieuses minutes. Belle entrée en matière, le ton est donné, la navigation ne sera pas facile. Entre Tarda, Mhamid et Assa, les pistes marocaines sont jonchées de cailloux et de pièges divers: crevasses, saignées, etc. De plus elles sont relativement roulantes, ce qui n’est pas à mon avantage car je ne peux rester longtemps à un régime élevé au risque de casser la courroie de transmission voire même le moteur. Ayant déjà eu l’occasion de rouler sur ce genre de piste, il est plus facile de perdre du temps que d’en gagner. Objectif : économiser la machine tout en restant dans le bon « wagon ». Nous traversons l’Erg Chegaga au cap, soit 28 km à parcourir sans aucune autre indication qu’un cap à suivre ! Pas facile sachant qu’il est impossible d’aller en ligne droite dans les dunes.
Dans les étapes suivantes, entre Assa et Dakhla (Sahara), à nouveau de belles pistes taillées pour les voitures qui peuvent atteindre des vitesses de pointe de 180km/h tandis que je plafonne à 100km/h. De nombreuses portions de navigation donnent du fil à retordre à tout le monde. Lors de la dernière spéciale pour rejoindre Dakhla, une note prêtant à confusion envoie une bonne partie des pilotes « jardiner ». Malheureusement, je fais également l’erreur et je me retrouve seul au beau milieu d’une plaine avec mon réservoir sur la réserve. Un bref moment de solitude face à l’étendue du désert ! Je parlais plus haut d’humilité… elle est évidente quand nous pensons que dans le passé des pilotes vivaient la même choses sans tous nos moyens de navigation et communication modernes. Quelques minutes plus tard, un nuage de poussière au loin m’indique la direction. Je rejoins le bivouac, j’y suis arrivé à la vapeur d’essence.
Objectif Maroc : ça, c’est fait ! A la moitié du périple, je suis 4e SSV et 14e au général (Auto-Buggy-SSV-Camion). Pas de problème majeur durant cette première moitié de course, juste une crevaison à 20 km d’un ravitaillement où je profite de la solidarité des concurrents pour changer ma roue. Dimanche 12 janvier, la journée de repos est la bienvenue. Elle nous permet de faire un bon check-up de la machine et de recharger les batteries pour la suite qui s’annonce copieuse. De plus, c’est la première fois que je vais rouler en Mauritanie. Selon les anciens participants, les pistes y sont sablonneuses et les dunes difficiles. Les deux premières étapes mauritaniennes sont annoncées comme les plus difficiles de cette édition. Je prends le parti d’y aller doucement, l’objectif étant avant tout de rallier Dakar !
Pour rallier Chami, nous passons les postes frontières en empruntant le fameux « no man’s land » jonché de carcasses de voitures. Un paysage de fin du monde, ambiance… C’est parti pour 176 km de spéciale dans le sable mauritanien. Je me rends vite compte qu’il va falloir gérer l’essence car le sable mou fait grimper la consommation de carburant. Mon autonomie de 250 km n’est pas suffisante dans de telles conditions. Résultat, j’embarque 15 litres d’essence en plus pour les autre spéciales et lors des passage aux check points je fais le complément afin d’arriver au ravitaillement essence. La piste me convient plutôt bien : je fais mon premier scratch SSV et termine la journée à la 2e place du classement général SSV.
Entre Chami et Aidzidine, les pistes sont vraiment un pur régal avec mon Polaris RZR RS1. La combinaison de la navigation et de la conduite me plait de plus en plus, même si cela demande une concentration supplémentaire. Sur les vingt derniers kilomètres avant le ravitaillement, je suis obligé de rouler à l’économie, mon réservoir est plus que vide. Je ne suis pas le seul à devoir être attentif à ma consommation : 800 mètres avant le ravitaillement, un concurrent n’a pas la même chance et se retrouve immobilisé. Je le tracte donc jusqu’au point de ravitaillement. L’entraide entre concurrents prime sur la compétition, ça sera un fil rouge durant tout ce rallye !
Ensuite c’est reparti pour l’enchaînement de cordons de dunes où l’agilité des SSV est un réel avantage. Résultat : un tout beau scratch au général (auto-camion-buggy-ssv) et le scratch en catégorie SSV. C’est tout simplement incroyable, je signe mon premier scratch sur un rallye-raid au général, le premier pour un SSV dans une telle compétition! Une façon plutôt rassurante de découvrir la Mauritanie.
Le lendemain, au moment de partir pour Tidjikja, la marche avant reste bloquée ! Impossible de mettre le neutre et encore moins la marche arrière. La réparation n’est pas possible avant le départ. L’étape est annoncée comme très difficile avec beaucoup de dunes. Bref, bon début de journée… Pas le choix, je pars quand même… de toute façon, la marche arrière est la position que j’utilise le moins. Quelques kilomètres après le CP1, je crève un pneu. Je descends du buggy pour changer de roue, ce qui me fait perdre de précieuses minutes. De ce fait je roule sur des oeufs afin de pouvoir terminer sans nouvelle crevaison. Je reste à la 2e place à 30 secondes du 3e. Tout reste jouable. La 9e étape est une boucle de 469 km, la plus belle étape du rallye en terme de paysage et de pilotage… Nous alternons les dunes, les passages ensablés dans les canyons, bref, je me régale. Dans les quelques portions plus roulantes, la bataille fait rage pour les 2e et 3e place du classement SSV, où les écarts se comptent à moins d’une minute entre les trois machines.
Le 17 janvier en ralliant Idini, pendant une première liaison de 70 km sur piste j’entends un bruit de pot d’échappement. Impossible de faire demi tour pour aller réparer, je trouve des boules Quies pour le bruit, je me place sur la ligne de départ en croisant les doigts pour que ça tienne. Malheureusement, après 10 km je sens une odeur de brûlé et quelques secondes après un grand nuage blanc dans le buggy. La cloison pare-feu est percée et le plastique commence à prendre feu. Je n’ai pas d’autres choix que de m’arrêter et de faire appel au camion balai. Je pourrai utiliser mon Joker pour éviter l’élimination mais je prendrai tout de même 9h30 de pénalité. Le top 3 SSV vient de partir en fumée… littéralement ! Grâce à Gauthier qui répare l’échappement dans la nuit, nous sommes sur la ligne de départ le lendemain matin et de retour dans la course : objectif Dakar ! La longueur de l’épreuve commence à solidement se faire sentir. Une nuit blanche, la fatigue cumulée, 10 jours de course, et surtout la grande déception de voir ce podium en catégorie SSV s’envoler alors qu’il était à portée de main. Si la mécanique a ses limites, moi la mienne est à Dakar ! L’étape de 473 km, dont 187 de spéciale et le passage de frontière vers le Sénégal pour ensuite arriver à Dakar, devient le seul objectif. Mis à part une courroie cassée durant cette spéciale, que je répare sur le bord de la piste, tout se passe bien jusqu’à Dakar.
Le lendemain, dimanche 19 janvier, nous prenons le départ en ligne pour 22 km : c’est la dernière spéciale qui part de la plage pour rejoindre le mythique Lac Rose pour atteindre l’arrivée de cette magnifique aventure. C’est fait, nous sommes arrivés ! Nous sommes partis, Gauthier et moi, avec 6 mailles, 4 roues de rechange, dans l’équipe des « malle-moto », un team formidable qui nous aura aidé tant par ses coups de mains en mécanique que sa gentillesse et sa bonne humeur. Je retiens ces magnifiques paysages, un tracé exceptionnel, un esprit d’entraide et de belles rencontres entre passionnés mais aussi mes deux scratchs SSV & le scratch au général (auto-camion-buggy-ssv) de l’étape 7, ainsi que la première place comme pilote solo. Je peux dire maintenant que nous faisons partie de la grande famille de l’Africa Eco Race. Sans aucun doute, je serai donc présent à la réunion familiale annuelle de l’Africa Eco Race 2021 !
Geoffroy Noel de Burlin, février 2020.