Les quatre milliards d’euros dépensés pour organiser les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 doivent laisser un héritage, proclament les autorités olympiques et nationales. « L’héritage olympique est le fruit de la mise en œuvre d’une vision commune issue de la rencontre de deux visions : celle du Mouvement olympique qui aspire à édifier un monde meilleur par le sport, et celle d’un territoire qui cherche à concrétiser cet objectif dans un contexte spatiotemporel donné », affirmait en décembre 2017 le Comité International Olympique. Cela devrait se traduire par la création de nouvelles installations sportives et de logements, et une amélioration de la pratique sportive pour tous. Au-delà des mots, quels sont les actes en cours de mise en oeuvre ?
On construit en Seine-Saint-Denis…
Le plan d’État « Faire mieux grâce aux jeux », annoncé le 4 novembre 2019, contenait « plus d’un milliard d’euros d’investissements publics sur la Seine-Saint-Denis, car c’est un territoire particulièrement fragile […] Le nouveau quartier du village olympique et paralympique est le symbole de cet engagement. Il sera un exemple en matière d’accessibilité universelle et de transition écologique. » Un complexe aquatique, une piscine et deux quartiers seront bâtis, explique Noé Laurent, Chef de projet paralympique au Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis : « Il restera la piscine de Marville (Saint-Denis) en face du parc départemental Georges Valbon, reconstruite avec accessibilité universelle.
Restera également le stade olympique aquatique en face du stade de France. Les villages olympique et des médias deviendront des logements et quartiers de vie, avec des équipements publics. » Ces projets sont toutefois contestés par des habitants qui dénoncent l’accélération des plans du Grand Paris, qui incluaient leur urbanisation avant l’attribution des Jeux, l’absence de réponse aux besoins des résidents et la destruction d’espaces verts : des habitants de Dugny, où doit être construit le village des médias en artificialisant 6,5 hectares du parc départemental Georges Valbon, viennent d’obtenir de la Cour Administrative d’Appel la suspension des travaux. Le projet final comporte 1.300 logements, probable étape vers le grignotage d’un parc public convoité par les promoteurs immobiliers depuis 2008 au moins.
A Aubervilliers, ce sont 4.000 mètres carrés de jardins familiaux qui seront transformés en piscine-hammam-sauna-solarium après avoir servi pour les entraînements des nageurs olympiens. Piscine qui semble nécessaire dans un département qui n’en compte que 35 selon une étude de l’Institut Régional de Développement du Sport de juin 2016, pour moitié construites il y a plus de 40 ans (à la date de l’étude) et sans rénovation d’importance : « Pour arriver à une situation de non saturation des piscines de Seine-Saint-Denis il faudrait ainsi doubler le parc de piscines », relève l’étude. Les habitants n’hériteront pourtant en 2024 que de trois piscines, dont un stade olympique aquatique surdimensionné et d’affectation incertaine.
…mais pas à Paris
« Rien n’est construit pour les Jeux, concède Marie Barsacq, directrice Impact et Héritage au Comité d’organisation (COJO) de Paris 2024. L’Arena Chapelle était prévue par Paris. » Cette salle polyvalente est en effet un « vieux » projet figurant dans la candidature de Paris pour les jeux de 2012. Tous les événements se dérouleront dans des équipements existants, sans laisser d’amélioration pour les usagers handicapés. Et si en juin 2019 l’ambition de la ville était de « faire de Paris une ville exemplaire et de conception universelle en termes d’accessibilité dans les lieux publics et les transports », la maire Anne Hidalgo l’a nettement revue à la baisse en novembre 2020 : « 15 quartiers pilotes, situés autour des sites olympiques et paralympiques parisiens, de grandes gares et de places, permettront, d’ici 2024, à tous les publics d’accéder, sans empêchement dans les cheminements, à un ensemble complet de services de proximité accessibles universellement ».
Le Paris de l’accessibilité universelle ne concernera donc que 15 îlots qui ne sont actuellement pas définis, justifie une porte-parole de la municipalité : « Le sujet du zonage est en cours de discussion […] De septembre 2020 à janvier 2021, nous avons engagé un processus de normalisation volontaire de la démarche des quartiers d’accessibilité augmentée (QAA) avec l’appui de l’AFNOR et la participation des associations représentatives dans le champ du handicap. Le référentiel organisationnel a été publié en février ». En se limitant à une quinzaine d’îlots-pilotes, la municipalité parisienne abandonne durablement la mise en accessibilité globale de la ville pourtant rendue obligatoire par l’ordonnance du 26 septembre 2014 reportant cette accessibilité à l’échéance… 2024 !
Stimuler la pratique handisportive ?
Le plan d’État vise qu’en 2024 tous les enfants entrant en 6e sachent nager, et plus globalement, il espère accroître la pratique sportive des enfants, jeunes et adultes. Mais pour celle des personnes handicapées, la seule disposition concrète concerne le développement d’une plate-forme numérique recensant l’offre existante, l’handiguide des sports ; lancé en mai 2007, il a été entièrement recréé en décembre 2019 en supprimant toutes les données existantes. Résultat : une recherche tous handicaps et options renvoie 199 opportunités de faire du sport, contre 9.000 dans la version supprimée ! Un projet de recherche était également annoncé dans le cadre du transfert des services de l’hôpital Raymond Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine) à Boulogne-Billancourt, qui ne sera effectif au mieux qu’en 2028.
Paris a lancé fin 2020 en partenariat avec les organisations concernées « un projet de création d’un réseau de clubs paraccueillants au sein de la famille des clubs sportifs ordinaires. Une première promotion de 7 clubs est actuellement accompagnée pour permettre l’ouverture de leur section paraccueillante en septembre 2021 […] À Paris, les 1.200 licenciés en parasport représentent moins d’1% des personnes ayant des droits ouverts à la MDPH, Soit 15 fois moins que dans la population générale. » L’objectif est de créer d’ici 2024 40 sections paraccueillantes et doubler le nombre de licenciés. Loin d’être innovant, ce mouvement est lancé depuis plus de 20 ans, en clubs comme au niveau des fédérations sportives qui gèrent la version handisport.
En Seine-Saint-Denis, c’est de 10 et 15 sections sportives paraccueillantes qui pourraient être créées d’ici septembre 2022. « On veut faire de la Seine-Saint-Denis un territoire paralympique pour accueillir des événements paralympiques, avec le Prisme », assure Noé Laurent. Ouvert à Bobigny un an avant les jeux, ce Pôle de Référence Inclusif Sportif Métropolitain sera d’abord dédié à la préparation sportive, puis deviendra un centre multi-sports mêlant valides et handisportifs. « On planche sur une stratégie d’héritage formalisée à la rentrée », ajoute Noé Laurent. Elle vise un développement de l’action sportive de loisirs pour les personnes handicapées sur un territoire très jeune par sa population, et dont 10% est connue de la Maison Départementale des Personnes Handicapées qui a rendu l’an dernier plus de 126.000 décisions. « Le Prisme a été pensé dès sa conception, avec les acteurs locaux mais aussi avec le COJO pour accueillir tous les publics, sportifs de haut niveau comme débutants, et devenir un pôle ressource et un lieu de recherche sur le sport et le handicap. Il participe d’une vision des Jeux olympiques et paralympiques accélérateurs des transformations sociales au service d’une société plus juste, plus solidaire, plus ouverte. » C’est ce que l’on peut souhaiter au département le plus pauvre de France métropolitaine.
Tourisme et transports, parents pauvres
L’État voudrait dans son plan Héritage que les Jeux créent une « billetterie interconnectée pour faciliter le séjour des touristes » incluant « un système de partage d’information et de distribution de produits et de services touristiques, culturels et de transports », système pérennisé pour des grands événements sportifs ou culturels. « Nous en sommes encore actuellement à la phase de réflexion de la conception de l’outil billetterie, précise le COJO. Nous déterminons d’abord toutes les fonctions qu’il doit contenir, relatives aux différents besoins pour ensuite décliner l’accessibilité de l’outil et les services qui y seront associés, notamment en termes d’hébergement et de transports. Toute notre ambition repose sur le fait de proposer un accompagnement pour les personnes en situation de handicap pour qu’elles puissent bénéficier d’un même niveau de service que les personnes ne nécessitant pas de besoins spécifiques adaptés. »
De son côté, l’Office de Tourisme et des Congrès de Paris (OCTP) a recensé hébergement et restauration accessibles, offre publiée en septembre 2018 dans un guide devenu obsolète : combien de ces établissements survivront-ils à la crise sanitaire ? Ce travail de collecte avait été réalisé par Hervé Guillon pendant ses 7 années passées à l’OCTP, jusqu’à ce qu’il rejoigne le COJO Paris 2024 en juin 2019 comme « Manager Accessibilité Universelle », fonction qu’il a quittée en février dernier ; il vient d’être remplacé par l’urbaniste péruvien Pedro Indocochea, formé en France et qui a organisé l’accessibilité des Jeux Sportifs Panamericains et Para Panamericains de Lima 2019. En Seine-Saint-Denis, tout est à faire, l’offre d’hébergement accessible et adapté est inconnue. Avec une seule employée à l’OCTP et au Comité Régional de Tourisme travaillant chacune à temps partiel sur ce sujet, le résultat risque de ne pas être à la hauteur de l’enjeu, accueillir 350.000 visiteurs handicapés sur quatre semaines. Il ne restait plus, en février dernier, que 42 sites labellisés Tourisme et Handicap pour toute l’Île-de-France qui fut jadis au sommet : un vrai naufrage.
Rien à attendre vraiment côté transports : le métro parisien ne fera pas l’objet de travaux d’accessibilité pour les clients handicapés moteurs, et si « des réflexions sont en cours » concernant les autres modes de transport, « il est trop tôt pour en parler », temporise la ville de Paris. « La volonté de Paris 2024 est que 100% des publics puissent se rendre sur les sites par des transports collectifs, ajoute le COJO, y compris ceux ayant des besoins spécifiques. A ce propos, Paris 2024 participe dans un groupe de travail piloté par Île-de-France Mobilités afin de suivre les évolutions du réseau jusqu’en 2024 et au-delà pour améliorer la mobilité des personnes en situation de handicap et de distinguer les travaux accélérés grâce à la tenue des Jeux. » La seule nouveauté serait le prolongement sud et nord de la ligne automatique 14 permettant de relier l’aéroport d’Orly au village olympique côté carrefour Pleyel, si les chantiers tiennent des délais très serrés. Ces prolongements ne résultent pas de l’organisation des Jeux, mais du Grand Paris Express dont toutes les autres lignes accusent plusieurs années de retard ou de report de construction.
A trois ans des Jeux et compte-tenu des délais nécessaires (études techniques, marchés publics, chantiers), on peut craindre que seules des dispositions « cosmétiques » et temporaires soient mises en oeuvre. La loi d’organisation des Jeux obligeait pourtant l’autorité organisatrice de transports d’Île-de-France à élaborer avant octobre 2019 des « nouvelles propositions pour développer l’accessibilité universelle des modes de transports nécessaires pour rejoindre les sites liés à l’organisation et au déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. » Ce rapport n’a jamais été publié, l’Administration a refusé de le communiquer. Et les dirigeants politiques de la Région comme de Paris ont toujours écarté la mise en accessibilité du métro « historique », invoquant au fil du temps divers prétextes aussi fumeux que discriminatoires. Paris sera toujours Paris…
Laurent Lejard, mai 2021.
PS : il est impossible de joindre directement par téléphone un employé du Comité d’organisation Paris 2024. Si le COJO dispose d’un numéro, le 01 81 20 24 00, le standardiste (vraisemblablement infirme moteur cérébral) répond que son poste ne permet pas de transférer l’appel à la personne demandée ; il faut adresser un courriel sur l’adresse générique d’accueil dont le contenu est transmis au destinataire. Paris 2024 a inventé le standard téléphonique inutile pour employer un travailleur handicapé…