Non, le rugby fauteuil n’est pas un sport de brutes mais une adaptation réussie du rugby à XIII ! Ce sport d’équipe organisé par les fédérations valides n’est pas paralympique, il dispose de ses propres circuits de compétition régionales, nationales et internationales, coupe du Monde comprise. Joué en gymnase sur un terrain de handball, il attire le public et suscite la passion comme on peut le voir sur cette vidéo de la finale de la Coupe du Monde 2017, remportée au finish par la France contre l’Angleterre…
L’adaptation des règles du jeu debout respecte l’esprit du rugby : tout y est, la progression en chaîne d’attaque, la défense en ligne, le plaquage, les pénalités, le drop, l’essai, etc. « Le XIII fauteuil est impressionnant parce que c’est le fauteuil qui prend le contact, explique Robert Fassolette, directeur de l’Équipe de France. Le porteur de balle progresse et le placage correspond à l’arrachage d’un tag, chaque équipe peut garder la balle jusqu’au placage. » Le tag est un ruban fixé par velcro sur les épaules des joueurs dont l’arrachage correspond à un placage. Le ballon de rugby est légèrement dégonflé et un peu plus petit que celui des seniors pour une prise en main plus aisée et un rebond similaire à celui de l’herbe avec un ballon standard. L’essai est marqué en appuyant le ballon dans l’embut, il est transformé en le frappant du poing depuis un support mobile (tee) à 40 centimètres du sol. Quant au drop, il s’effectue en frappant la balle du poing lors d’un rebond. La balle est portée sur les genoux avec interdiction pour l’adversaire de s’en saisir, elle ne peut changer de camp que lors d’une faute, tir, passe ratée, etc.
Tout le monde peut jouer ensemble : hommes et femmes handicapés ou valides, 5 contre 5 en jeu, et 10 au plus sur la feuille de match. Afin de faire jouer tout le monde, un système par points classe chacun de 0,5 à 3,5 : paraplégiques sans abdominaux ni dorsaux fonctionnels, amputés et autres handicaps moteurs, validité, pour que les 5 joueurs ne dépassent pas un total de 8 points. « C’est un débat entre Anglais et Français, explique Robert Fassolette. Nous tenons à avoir des valides, handis à abdos et fauteuils permanents. Les Anglais, eux, privilégient les valides et handis avec abdos. A terme, si on reste dans la conception anglo-saxonne, ce sera un sport de gladiateurs, mais si le mouvement paralympique le récupère il n’y aurait que des handis. » La résolution de ce débat décidera de l’avenir du XIII fauteuil, actuellement pratiqué en France dans une vingtaine de clubs par environ 200 licenciés.
Qu’en disent les joueurs ?
« Ce qui m’a fait venir au XIII fauteuil c’est mon oncle, que j’ai vu jouer avec les Dragons Catalans contre Halifax, relate Nicolas Clausells, joueur valide. Ça m’avait beaucoup plu, il m’a initié à cette pratique. » Nicolas fait partie de l’équipe Élite du club de Perpignan (Pyrénées-Orientales) qui en compte une autre en développement (loisirs), tout comme le club de Montauban (Tarn-et-Garonne). « On retrouve l’esprit et les valeurs du rugby, on oublie les fauteuils et on se rapproche au maximum des règles valides. C’est ce qui intéresse le public. » Ainsi qu’une prise de conscience : « Au début j’étais amusé, et au fil des matches j’ai vu le nombre de transferts des joueurs paraplégiques, j’ai commencé à ressentir une gêne face à mon aisance alors que les autres galéraient. Inconsciemment, j’ai pensé que ma place n’était pas là. Au début, c’était très dur de travailler sur un fauteuil roulant. Mais ce sport a été créé pour jouer ensemble, c’est ce qui en fait la particularité et plaît à tous. »
« Je suis natif de Toulouse, le rugby fait partie de nous, explique Mostefa Abassi. Mais ayant eu une polio très jeune, je ne pouvais pas en faire. Quand j’ai appris l’émergence du rugby fauteuil, c’était pour moi l’occasion de le pratiquer et d’en ressentir les émotions. On a l’impression qu’il y a beaucoup de contacts mais la personne handicapée est protégée, sanglée obligatoirement aux jambes, cuisses et ventre [les valides également NDLR.] L’attaque et la défense se font avec les bras et le fauteuil. La différence d’avantage physique repose sur la maîtrise du fauteuil, des paraplégiques passent des valides facilement. » Licencié aux Lions de Saint-Jory, second club toulousain récemment créé, il apprécie l’évolution du jeu : « Il y a de moins en moins d’interruptions, pour jouer plus vivement, avec libération du ballon avant placage. Des équipes parviennent à marquer des essais en moins de 5 tenus. » Et il vante l’esprit du jeu : « Le rugby, c’est ce côté sport familial, qui se perd ailleurs dans la compétition… On a des principes, et pas de faux-semblants. On ne peut pas tricher, on ne peut pas faire semblant, on marque ou on ne marque pas. Je vois la différence avec le handibasket, où on peut tricher si on n’est pas en forme. L’essai, c’est ce que je trouve le plus beau, l’aboutissement du travail de l’équipe, marqué par toute une chaîne. »
Engagé à la fois dans le quad rugby paralympique et le XIII fauteuil, Jonathan Hivernat joue au Stade Toulousain pour le premier, et aux Dragons Catalans dans le second : « Je n’étais pas destiné au rugby, j’étais sportif depuis l’âge de 7 ans. Vers mes 10 ans, j’ai ressenti de la fatigabilité, subi des chutes sans raison, on m’a diagnostiqué à 13 ans la maladie de Charcot Marie-Tooth qui progresse au fil du temps. Je faisais des sports collectifs avant, et lors d’une démo du Stade Toulousain pour les tétraplégiques, j’ai trouvé que les joueurs étaient engagés et spectaculaires. J’ai débuté le quad rugby, et comme mon club propose aussi le XIII, j’ai voulu pratiquer les deux, même si dans le XIII je suis le plus handicapé. » Il joue maintenant avec les Dragons Catalans et vit la différence entre les deux rugbys : « Le quad a été inspiré par d’anciens hockeyeurs devenus tétraplégiques et qui voulaient retrouver les contacts physiques, il n’existait pas de sport collectif pour eux, engageant et unique. On le joue avec un ballon de volley, avec une synthèse de règles très adaptée. Le XIII fauteuil est inspiré plus visuellement du XIII valide, avec ballon ovale, règles calquées, passes en arrière, tenus, tags à arracher simulant le placage, etc. Ce sont deux sports très différents dans la technicité et le domaine de compétence pour s’exprimer de la meilleure manière ; le quad est énergique, stratégique, le XIII est technique dans les interceptions, pour casser la ligne de défense et partir en contre-attaque. Les deux sont physiquement engagés. Le rugby est un mode d’expression juste incroyable qui casse des barrières, pour des personnes qui veulent retrouver des sensations et une résilience humaine. »
Laurent Lejard, janvier 2023.