La portée d’un récent événement est passée totalement inaperçu lors du 8e Comité Interministériel du Handicap de septembre dernier : le ministère de la Transition écologique s’est vu confier la charge d’organiser une politique publique d’accessibilité des domaines gérés par l’Office National des Forêts (ONF). Cette initiative résulte du travail d’une étudiante handicapée motrice, Marie Lemière, effectué dans le cadre d’un stage au sein de la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité (DMA) qui dépend de ce ministère. Son remarquable travail d’enquête est parvenu à impliquer le cabinet du ministre, l’Angevin Christophe Béchu, de l’intérêt de programmer une action dans le temps, pour répondre à une demande exprimée par la plupart des personnes handicapées interrogées par Marie Lemière. Celles-ci y gagneront de nouveaux espaces de vie, et Marie son premier emploi au sein de la DMA ; elle y suivra, entre autres tâches, la mise en accessibilité d’espaces naturels sur lesquels elle a oeuvré au point de parvenir à convaincre la Première ministre, Élisabeth Borne.
Question : Vous avez réalisé un rapport de stage sur l’accessibilité des forêts aux personnes handicapées, que vous avez interrogées sur leurs envies. Il y a un besoin de forêt chez les personnes handicapées ?
Marie Lemière : Oui ! Cette enquête a été réalisée entre mars et août 2023. L’enquête est issue de mon mémoire de fin d’études universitaires. Dans ce cadre, j’ai réalisé un sondage avec plus de 160 réponses de personnes en situation de handicap. Une des questions était de comprendre leur appétence pour le milieu forestier : deux tiers des personnes ayant répondu au questionnaire se promènent, ou ont d’autres activités, en forêt, et plus de neuf répondants sur dix souhaiteraient accéder régulièrement en forêt. Ça conforte ce que j’ai pu entendre et percevoir autour de moi, la forêt est même le milieu naturel le plus prisé par rapport aux littoraux et plages dont l’accessibilité est plus développée. Mais la majorité exprime le regret de ne pas pouvoir y accéder plus souvent et plus facilement.
Question : Qu’est-ce qu’attendent ces personnes handicapées ? Simplement s’oxygéner, ou découvrir le milieu, repérer des végétaux, des arbres, des feuilles, se mettre à l’affût d’animaux ?
Marie Lemière : Il y a plusieurs raisons. Comme vous le dites, s’oxygéner, sortir de la ville, mais aussi découvrir un autre milieu, une faune, une flore particulière, faire du sport, avoir une activité physique, des loisirs en famille. Et puis profiter également des services comme des guides, des sorties à cheval, être accompagné pour apprendre à découvrir ce milieu comme tout un chacun. Il est important de rendre visible l’accessibilité, aujourd’hui ce n’est pas le cas. Il y a des sentiers forestiers accessibles, mais on ne sait pas où ils sont situés, et on a peu d’informations sur leur niveau d’accessibilité. Les personnes interrogées souhaitent un recensement des sentiers, savoir où ils sont, connaître les mobiliers installés, et aux alentours ce qui est accessible. Mais aussi disposer d’une application mobile pour être guidé sur le sentier, intégrant les types de handicap.
Question : Ces sentiers ne résultent pas d’une politique publique élaborée, concertée, de plans programmés, mais exclusivement d’initiatives individuelles d’une personne, d’un cadre municipal, d’un élu, etc., généralement personnellement concernés par le handicap. Aujourd’hui, dans quelle mesure est-il nécessaire de programmer, d’organiser une politique publique ?
Marie Lemière : Effectivement, la grande majorité des personnes rencontrées avaient une sensibilité au handicap qu’elles connaissent directement ou indirectement. Cette sensibilisation les amène à mener des initiatives. C’est à la fois une bonne nouvelle, et aussi un danger parce que si rien n’est organisé aujourd’hui, lorsque le créateur quitte son poste, le projet s’arrête et disparaît avec son départ. Le remplaçant ne poursuivra pas forcément l’initiative s’il n’est pas sensibilisé. Pour pallier cela, le Comité Interministériel du Handicap du 20 septembre dernier a décidé de recenser les espaces naturels aménagés et accessibles, et d’engager une programmation publique de réalisation d’au moins un sentier par département à l’horizon 2027. On va s’intéresser aux domaines gérés par l’Office National des Forêts, il lui est demandé d’adapter deux sentiers en 2024. L’ONF devra également recenser, faire un état des lieux des sentiers accessibles ou qui l’ont été, évaluer le coût de leur remise en état.
Question : Jusqu’à maintenant, l’adaptation de sentiers est généralement réalisée grâce à du mécénat. C’est par manque de volonté politique et d’argent public ?
Marie Lemière : En fait, ce n’est pas un manque de volonté politique. Il s’agit davantage d’une politique construite selon d’autres priorités. Nos forêts subissent beaucoup d’événements, le changement climatique, les attaques parasitaires. Beaucoup de circonstances font que l’ONF n’a pas priorisé sur l’accueil du public de manière générale. Mais depuis la crise sanitaire du Covid, il y a une demande d’accès aux espaces naturels, aux forêts. C’est la raison pour laquelle, à l’issue de mon travail de fin d’études, j’avais fait une note stratégique avec la proposition de confier à l’ONF une nouvelle mission d’intérêt général concernant l’accueil du public en forêt et l’accessibilité des sentiers forestiers. Même si pour l’instant elle n’est pas actée, Matignon a eu la volonté, à l’occasion du Comité Interministériel du Handicap du 20 septembre, de confier à l’ONF la mission d’élaborer un plan pour la création de sentiers accessibles aux personnes en situation de handicap.
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2023.