A moins de trois mois des Jeux Olympiques de Paris, les ministères et organismes impliqués dans leur tenue s’évertuent à convaincre d’une organisation optimale des transports et de l’accueil des visiteurs handicapés. Ils viennent de mettre en ligne le Guide d’accessibilité Des jeux pour tous, défilement automatique de 14 pages d’information sonores, sous-titrées et avec Langue des Signes Française présentant la chaîne du déplacement depuis l’arrivée en France jusqu’aux sites des compétitions olympiques puis paralympiques deux semaines plus tard. En français seulement, une version anglophone étant annoncée pour courant mai. Qu’y trouve-t-on, et ces infos sont elles fiables ?
De l’action de l’État
« L’État souhaite faire de ces jeux un accélérateur de changement pour l’inclusion des personnes en situation de handicap. Un groupe d’experts d’usage a été créé afin de s’assurer que l’organisation de l’événement réponde à leurs préoccupations et à la diversité de leurs besoins. » Hélas, ce groupe a été installé alors que les chantiers des nouvelles installations et infrastructures étaient en voie d’achèvement, ils n’ont pu effectuer qu’une poignée de visites de « produits finis » ce qui empêche de rectifier les erreurs de conception. Leurs comptes-rendus de visites ne sont pas publiés, ils resteront dans les tiroirs des organisateurs. La plupart des sites de compétitions étant composés d’installations provisoires actuellement en cours de montage, la quinzaine d’experts d’usage ne peut les visiter, transformant cette initiative en alibi et propagande d’État. Laquelle se poursuit quelques pages plus loin, sur celle évoquant les hébergements et restaurants : « Le saviez-vous ? L’État prévoit un fonds de 300 millions sur 5 ans pour aider les établissements recevant du public à devenir accessibles à tous. » Outre qu’on ne voit pas que cela fait dans un guide pratique, c’est oublier que ce montant, qui semble important, ne permet de subventionner que moins de 3% des ERP défaillants…
Comment venir ?
La 3e page informe les visiteurs qu’Aéroports de Paris (ADP) a mis en place un service d’accompagnement. Heureusement, cette assistance aux voyageurs handicapés étant obligatoire dans toute l’Union Européenne depuis 2006 ! Mais les renvoyer vers le site web d’ADP risque de générer une confusion. En effet, il appartient à la compagnie aérienne empruntée d’organiser, lors de l’achat de billets, l’assistance dans les aéroports de départ et d’arrivée, non aux voyageurs handicapés comme certains pourraient le comprendre : ils risquent de se retrouver interdits d’embarquer si la compagnie aérienne n’est pas informée.
L’information est également confuse pour le ferroviaire : « Si vous arrivez en train, vous pouvez bénéficier du service Assist’enGare. » Il aurait été préférable d’écrire « Si vous voyagez en train. » De plus, il est dit : « La réservation peut aussi être effectuée en centre-relais pour les personnes sourdes et malentendantes » ; mais ce centre-relais ne fonctionne qu’en français transcrit ou Langue des Signes Française, il sera intéressant de lire comment cela sera précisé dans la version anglaise du Guide qui devrait être diffusée courant mai, parce que le site web de Gares & Connexions vers lequel les visiteurs anglophones sont dirigés n’en souffle mot. Et les autres pages en anglais du web d’Assist’enGare sont mélangées avec beaucoup de français…
L’accessibilité des transports
« Pendant la période des Jeux, les services de transport et de mobilité accessibles sont maintenus. » C’est faux pour les lignes d’autobus qui sont pourtant déclarées 100% accessibles… depuis 14 ans ! Or les bus seront interdits de circulation dans de vastes zones dites « rouges », contraignant ainsi les usagers handicapés à effectuer des centaines de mètres supplémentaires à pied.
De plus, le système d’information dynamique à bord des autobus et sur les points d’arrêt est fréquemment en panne ou hors service, et de nombreux arrêts sont signalés inaccessibles aux voyageurs en fauteuil roulant, tels les terminus des lignes 27 et 31 qui desservent pourtant des gares SNCF !
Concernant les restrictions de circulation, dont les fameuses zones rouges, il est mentionné qu’un « accès exceptionnel est prévu » mais sans mettre en lien un site précisant les conditions à remplir, à savoir être enregistré pour disposer du QR code nécessaire. Lacune gênante pour les visiteurs qui se déplaceront en voiture de location qu’ils ne pourront pas stationner au plus près des sites de compétition, même si l’un des passagers est handicapé.
Enfin, s’il est conseillé d’utiliser le RER dont toutes les « gares des lignes A et B sont accessibles aux usagers en fauteuil roulant », c’est en oubliant de préciser « avec aide du personnel pour entrer dans les trains » : il faut la demander au guichet de chaque station, et s’armer de patience pour les trajets vers le nord à partir de la gare du Nord puisque la RATP et la SNCF n’ont toujours pas mis en place un procédé unique pour contacter les gares qui dépendent de l’une ou l’autre entreprise. Comptez de 10 à 30 minutes de temps perdu par trajet dans ce cas. Et attention aux calculateurs d’itinéraires accessibles de la RATP et Vianavigo, ils renvoient fréquemment des solutions aberrantes, voire aucun itinéraire ! Embêtant pour un réseau 100% accessible…
« 1.000 taxis verts accessibles »
Voilà un gros mensonge. Il y en aura, au mieux, moins de 180, tous les autres seront polluants et subventionnés ! Le Gouvernement a pourtant ouvert dans la seconde loi olympique l’attribution de licences gratuites valables 5 ans à la condition d’être affectées à des véhicules adaptés aux clients restant sur leur fauteuil roulant (UFR). Or, il n’est commercialisé en France qu’un seul véhicule correspondant à la fois aux contraintes de l’exploitation taxi et d’une adaptation UFR, conçu par Stellantis et décliné en Peugeot e-Expert ou Citroën ë-Jumpy tous deux à motorisation électrique alimentée par hydrogène et offrant 450km d’autonomie pour 130.000€ pièce.
Pour ces modèles, Hype a obtenu 10 licences (mais exploite en fait 51 taxis UFR), le loueur Hysetco 115. Pour les 218 licences UFR attribuées à G7, les 141 d’Alpha Taxis (des Ford Tourneo et Caddy Volkswagen essence) et autres sociétés, les véhicules seront polluants ainsi que les 129 des indépendants. La préfecture de police de Paris a accordé au total 781 licences gratuites auxquelles il faut ajouter les 219 précédemment affectées à des diesel UFR, soit un total tout rond de 1.000 : promesse respectée pour le nombre, mais pas pour l’amélioration de la qualité de l’air à Paris. Pour couronner le tout, ce dispositif a été mal bouclé et de multiples recours sont engagés en justice, plaçant les futurs taxis UFR en insécurité juridique. Enfin, il restera aux clients potentiels à identifier comment commander l’un de ces taxis UFR, le Guide d’accessibilité des Jeux n’en disant rien.
Navettes réservées et accompagnement
Il est étonnant de trouver dans ce Guide une information sur les navettes réservées aux spectateurs ayant acheté un billet Personne en Fauteuil Roulant ; ils sont en effet directement informés de ce service payant (4€ le trajet) et des modalités de réservation.
Si des zones de dépose et de stationnement sont prévues à proximité de la plupart des sites de compétition, il sera toutefois indispensable, comme précisé plus haut, de posséder un billet du jour et de l’heure, et d’inscrire le véhicule sur un site Internet, encore inconnu, pour obtenir un laisser-passer sous forme de QR code. Sinon, il faudra compter sur le discernement proverbial des policiers et agents de sécurité privée. « Plus d’information sur le site de Paris 2024 », proclame le Guide : « Aucun résultat », retourne le moteur de recherche de ce site sur le mot stationnement !
Pour finir, signalons une belle erreur de concept : « La cérémonie d’ouverture et sept heures d’épreuves quotidiennes seront proposées en oralisation. » Étonnant que le terme audiodescription soit inconnu des concepteurs d’un Guide d’accessibilité…
Concluons par cette intox : « Ces nouvelles infrastructures […] laisseront un héritage durable pour l’ensemble de la société ». Sauf qu’à l’exception de 800 taxis parisiens UFR, tout est provisoire : aucune installation ne restera sauf un stade aquatique et une aréna. Et Paris conservera durablement une accessibilité disparate de sa voirie, avec de multiples ruptures, faute d’avoir rattrapé un important retard et intégré l’accessibilité universelle dans ses nouvelles réalisations.
Laurent Lejard, mai 2024.