Qu’est-ce qui nous manque le plus à nous, personnes à mobilité réduite ? Eh bien évidemment le fait de se déplacer avec aisance là où on le désire. Certes les béquilles, prothèses, orthèses, fauteuils manuels ou électriques nous aident au quotidien dans une certaine mesure mais nécessitent une vigilance quasi- permanente et des efforts assez soutenus pour un rayon d’action plutôt modeste. Grâce à un engin récupéré dans un « vide grenier » j’ai pu redécouvrir les joies de la promenade. Il s’agit d’une tricyclette Poirier, vénérable engin des années 50 mu par un simple moteur de mobylette et pourvu d’un démarreur électrique qui sert aussi d’alternateur si j’ai bien compris.

Après quelques réparations qui s’imposaient, me voilà prêt pour les premiers essais avec des amis en vélo. Là, ce fut immédiatement le bonheur, j’étais comme un enfant qui réussit ses premiers tours de roue, seul en vélo. Une impression de liberté sans limite et pour la première fois depuis des années je me déplaçais sans avoir à anticiper où je mettais mes roues et quel serait le parcours le moins fatigant. Mon horizon s’agrandissait soudain et un sourire éclairait mon visage à mesure que l’émotion m’emplissait !

L’idée d’une randonnée germa bien vite et dans ce but je me remis à l’atelier, aidé de quelques amis pour améliorer l’engin et lui adjoindre une remorque. J’ai d’abord supprimé un accoudoir pour faciliter les transferts puis ajouté un arceau de fixation pour le « carettou ». Enfin, il restait assez de place entre le réservoir et l’arceau pour loger mon fauteuil sur le porte bagage d’origine sans avoir à le fixer…

Parallèlement aux travaux d’atelier j’ai préparé l’itinéraire d’un périple entre le Tarn, l’Aude et l’Hérault qui serait effectué en cinq ou six jours par un ami en VTT, Yves, et moi- même en « trapanelle ». Une cinquantaine de kilomètres par jour et pas mal de dénivelés ! L’assurance prise pour la modique somme de 161 francs par an (car il s’agit d’un engin terrestre à moteur et homologué, à l’époque, par le service des mines), il ne nous restait plus qu’à embarquer le tout dans une camionnette pour rejoindre le point de départ situé au nord- est de Mazamet (81) près du lac des Montagnes. C’était parti, sous un frais soleil d’automne, je roulais enfin en toute liberté, le vent dans la figure et le cœur content. Pas vite, certes, mais partout, d’ailleurs nous n’étions nullement pressés et je pouvais ainsi admirer les paysages sans prendre aucun risque !

La conduite assez étrange de cet engin ne pose pas de problème majeur si ce n’est le maniement du guidon qui sert aussi de frein arrière quand on l’abaisse ! C’est particulier mais on s’y fait et, de toutes façons, à trente kilomètres à l’heure, la direction et le freinage peuvent souffrir quelques imperfections sans beaucoup de gravité…

Après une très belle première journée nous sommes arrivés au- delà des grottes de Ladevèze chez une amie qui nous hébergea pour la nuit. Le lendemain la pluie essaya de nous clouer sur place mais, bien équipés, nous visitâmes quand même les environs de Saint- Pons. Le troisième jour, après avoir gravi le Signal de Saint- Pons, le col du Cabarettou, et abordé les monts du Sommail, nous nous sommes offert un bon pique- nique près du saut de Vezole. De là nous avons rejoint, via Fraïse sur Agout, le col de la Balme, puis le col de Fontfroide (972 mètres d’altitude). Douze kilomètres de descente nous permirent de rejoindre Olargues puis le camping de Tarassac, où Yves monta la tente pendant que je rédigeais quelques cartes postales au bord du torrent. Laissant Tarassac, et plus loin le village de Vieussan avec les monts du Carroux pour toile de fond, nous avons rejoint les avants- monts, Berlou (et sa cave viticole…), puis Saint- Chinian avant de remonter sur le col de Tremolis, à 610 mètres, puis Pardaillhan et Rieussec.

Des hauteurs du Minervois, d’où nous pouvions apercevoir la Méditerranée, nous sommes redescendus vers Saint- Jean de Minervois, Aigues Vives puis Lacaunette. Arrivés à trois kilomètres de Lacaunette, la bobine de mon tagazou rendit l’âme définitivement et il fallut se rendre à l’évidence, c’était la panne ! Pas grave, je devais passer voir un vieux copain à Lacaunette, c’était donc l’occasion de passer la fin de la journée ensemble et d’organiser le rapatriement en camionnette le lendemain.

Ce petit périple m’aura permis de retrouver des sensations et des plaisirs que je croyais à jamais perdus. Je considère que cet engin peut être totalement fiable et performant dans la mesure où il serait refait à neuf et quelque peu amélioré. Les chemins et les côtes ne lui font pas peur, même si je lui ai demandé de donner son maximum : l’équipage entier pesait plus de 230kg et ce fut fatal dans certaines routes forestières. Le moteur a tenu le choc, mais je crois que l’embrayage ne devrait pas non plus s’en remettre, hélas !

Je souhaiterais continuer cette expérience et, peut être, rejoindre des amis au Burkina Faso via le Sénégal et le Mali mais pour cela il me faudrait trouver de l’aide tant au point de vue des améliorations mécaniques que du côté de la réalisation d’un « sarcovan », genre de remorque ultra légère dans laquelle je pourrais dormir à l’abri sans avoir de tente à monter ce qui me permettrait de voyager seul. (Il n’y a pas de difficultés majeures pour monter et descendre le fauteuil manuel du porte- bagages).

Si ce récit de voyage vous a plu, n’hésitez pas à me le faire savoir, vos observations, vos encouragements, vos questions aussi bien que vos bons tuyaux seront les bienvenus !

Thierry Goix, novembre 2000.

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