Au nord-ouest de l’Italie, le Piémont, situé comme son nom l’indique au pied des Alpes, est la deuxième plus grande région du pays après la Sicile, et l’une des plus prospères. Sa richesse, elle la tire certes de l’industrie (Fiat, Olivetti, Ferrero, pour ne citer que les plus connues) mais également de l’agriculture, plus particulièrement de la production viticole (dont le fameux moscato d’Asti) et d’un tourisme culturel et gastronomique haut de gamme qui attire davantage les Anglo-Saxons, voire les Japonais, que les « voisins » Français. L’image, depuis longtemps obsolète, d’un Piémont industriel, gris et sans attrait, demeure tenace dans l’Hexagone et c’est d’autant plus dommage que nombre de Piémontais comprennent et parlent notre langue. Côté accessibilité, enfin, d’énormes efforts ont été faits pour que tout soit ouvert à tous… et ça se voit !
Ancienne capitale des États de Savoie (XVIe-XVIIIe siècle), du royaume de Piémont-Sardaigne (XVIIIe-XIXe) puis de l’Italie réunifiée (1861-65), Turin a été fondée par les Romains sous le nom d’Augusta Taurinorum (en double hommage à l’empereur Auguste et au peuple celto-ligure des Taurins) d’où son nom et son symbole actuel. Traversée par le Pô, elle compte près d’un million d’habitants intra-muros, plus du double pour l’aire urbaine. L’Histoire et la fortune ont fait de cette métropole (dont le centre a miraculeusement échappé aux bombardements de la Seconde guerre mondiale, contrairement à la périphérie industrielle) un véritable musée à ciel ouvert où il est particulièrement agréable de déambuler. Mais un musée vivant où touristes et habitants cohabitent, les premiers partageant les plaisirs des seconds, même si les rythmes de vie diffèrent.
À l’instar d’autres cités italiennes, Turin a instauré une limitation d’accès des véhicules au centre-ville : seuls sont autorisés les riverains et certains dérogataires, dont les titulaires de carte européenne de stationnement (attention : la police ne plaisante pas avec les autres !). Un « privilège » d’autant plus appréciable que les emplacements de stationnement réservé ne manquent pas. Autre avantage particulièrement agréable, surtout pour les personnes utilisant un fauteuil roulant : Turin comporte de vastes zones piétonnières et environ 20km d’élégantes galeries abritées dont les arcades de la célèbre rue de Rivoli, à Paris, ne donnent qu’une très modeste idée. On peut ainsi parcourir la ville à l’abri du soleil ou des intempéries.
Côté transports, le récent métro automatique, la plupart des lignes de bus et certaines lignes de tramway sont accessibles. Enfin, héritage romain oblige, le plan de Turin suit un tracé dit hippodamien : les rues se croisent à angles droits, ce qui permet de s’orienter aisément. Le cœur emblématique de Turin est la Piazza Castello, vers laquelle convergent quelques-unes des principales artères de la cité. Tous les bâtiments publics y sont accessibles. On ne peut guère manquer l’imposant palais royal qui ferme le nord de la place, mais c’est le Palais Madame qui attire l’œil par son élégance.
C’est lui, ce castello qui a donné son nom à la place, habilement dissimulé derrière une façade baroque redevable au grand architecte Filippo Juvarra. Sans doute l’une des plus extraordinaires cages d’escaliers au monde ! Les collections (archéologie, peinture, sculpture, arts décoratifs) s’étendent de l’Antiquité au XVIIIe siècle. Prêt de fauteuil roulant, audioguide et parcours tactile pour déficients visuels, entrée gratuite pour les visiteurs handicapés et un accompagnateur, toilettes adaptées. Les plus pressés pourront se contenter de parcourir, en rez-de-chaussée, la présentation audiovisuelle « Torino, storia di una città » qui présente en quelques minutes, de manière spectaculaire, l’histoire de la ville (entrée libre).
Tout proche, le Teatro Regio est une scène d’opéra de niveau international. Construit au XVIIIe siècle, ce théâtre royal a été entièrement détruit par un incendie en 1936 et totalement repensé, après moult vicissitudes, à la fin des années 1960. La décoration s’en ressent (on aime ou on déteste) mais la visibilité et l’acoustique sont remarquables et le placement des spectateurs handicapés tout à fait satisfaisant (tarif réduit mais toilettes non adaptées et étroites)
Et le Saint-Suaire (appelé ici Sindone) ? Objet de vénération depuis des siècles et propriété de la maison de Savoie (qui l’a offert au Saint-Siège), il a longtemps été conservé dans une chapelle de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste, sise sur la place du même nom (à côté du palais royal) jusqu’au terrible incendie qui a ravagé l’édifice en 1997 et dont les dommages ne sont pas encore réparés. En attendant, ce « témoignage de Foi » autant que de controverse a été placé dans le chœur de la cathédrale. Si vous avez manqué sa dernière ostension en 2010 (plus de deux millions de visiteurs en un mois et demi) il vous faudra faire preuve de patience…
Autre célébrité turinoise, plus facile d’accès : le Musée Egyptologique, second du genre en importance après celui du Caire. Impossible, évidemment, d’en détailler les collections, tant elles sont riches, mais la découverte du contenu intact de la tombe de Kha et Merit est très émouvante, de même que la présentation, superbement mise en lumière, des statues monumentales dont une vingtaine figurent la déesse Sekhmet, bien connue des amoureux des chats. Attention : affluence garantie le week-end ! Entrée gratuite pour les visiteurs handicapés et un accompagnateur, toilettes adaptées.
Dans la même rue, le Palais Carignan (du nom d’une branche de la famille de Savoie d’où sont issus les rois d’Italie) est l’un des plus beaux édifices de Turin, chef d’œuvre de l’architecte Guarini construit à la fin du XVIIe siècle. La brique au faîte de sa splendeur ! Le palais abrite le Musée du Risorgimento (période au terme de laquelle s’est faite l’unité italienne, dont on célèbre en 2011 le 150e anniversaire) mais les collections s’étendent du XVIIIe siècle à la période fasciste. Chaque salle comporte une planche braille ainsi qu’un objet emblématique pouvant être touché. Audioguide fortement conseillé car la muséographie (un peu vieillotte malgré de récents réaménagements) oublie la langue de Molière. Visioguide en langue des signes italienne, audioguide descriptif, gratuité pour l’accompagnateur, toilettes adaptées.
En face du palais, sur la place Carignan, le restaurant du Cambio, établi en 1757, est l’un des plus anciens d’Italie, et parmi les plus célèbres : Cavour, « Père de la Patrie », y avait ses habitudes, sa table est toujours là ! Plus généralement, les grands cafés du centre de Turin comptent parmi les incontournables du pays et il faut d’autant moins se priver du bonheur de s’y attabler que la plupart sont accessibles de plain-pied. On peut notamment y déguster, dans des décors fastueux, le bicerin (prononcer bitchérine), véritable enchantement gustatif mariant chocolat, café et crème fouettée ! Certains établissements remplacent le chocolat par une autre merveille locale : le gianduja, pâte de chocolat et de noisettes (ça ne vous rappelle rien ?) à partir de laquelle on confectionne également une confiserie irrésistible baptisée giandujotto.
Moins addictive mais tout aussi emblématique, la Mole Antonelliana, érigée à la fin du XIXe siècle par l’architecte Antonelli est le symbole architectural de Turin. D’abord destinée à devenir une synagogue, elle a longtemps abrité le Musée du Risorgimento avant d’accueillir le Musée National du Cinéma dans une muséographie époustouflante qu’il faut absolument parcourir. Les visiteurs en fauteuil roulant disposent d’une entrée spécifique et d’une priorité d’accès au vertigineux ascenseur qui permet de jouir, depuis la terrasse située 70m plus haut, d’une vue à 360° sur la ville et sa région. Les autres visiteurs ne sont pas oubliés : panneaux tactiles, éléments en relief et projections avec audio-description dans la salle voisine, visites spécifiques pour les sourds (Langue des Signes Italienne et Internationale) chaque premier vendredi du mois, entrée gratuite au musée et ascenseur pour les visiteurs handicapés et un accompagnateur, toilettes adaptées. Une salle tactile est même consacrée à faire percevoir l’optique et le traitement de l’image par les aveugles. Tout ce qui a fait, et fait encore la magie du cinéma, de ses origines à nos jours, est là : c’est tout simplement magique !
Magiques aussi les panoramas que l’on découvre depuis le Monte dei Capuccini, de l’autre côté du Pô, ou à l’orée de la ville, depuis le parvis de la splendide basilique de Superga, autre chef d’œuvre de Filippo Juvarra. L’accessibilité, hélas, n’est guère au rendez-vous côté bâtiments (deux marches pour entrer dans l’église du Monte dei Capuccini, accès par la grille et les communs puis un ascenseur pour la Superga en envoyant un émissaire dans l’église chercher le bedeau de service !).
À cet égard, on peut se rattraper fastueusement, toujours en périphérie de Turin, au palais royal de la Venaria, ancienne résidence de la famille de Savoie (qui en comptait une quinzaine dans la région !) Construite au XVIIe siècle, cette « résidence de chasse qui a réussi » en évoque une autre : Versailles. Mêmes splendeurs, mêmes jardins (ou presque) et même galerie emblématique, où les glaces sont remplacées par une double rangée de hautes fenêtres.
Un must côté accessibilité, des visioguides en Langue des signes internationale sont disponibles, ainsi que des documents de visite en braille avec parcours tactile, un prêt de scooter électrique, un tarif réduit, etc. Après la visite, vous serez incollable sur la maison de Savoie ! Restauration possible sur place et dans le bourg.
Impossible de détailler tout ce que l’on peut voir et faire à Turin (un article seul n’y suffirait pas !) mais il ne faut pas quitter la ville sans un détour par le célébrissime Lingotto, usine historique du groupe Fiat inaugurée en 1922, dont la piste aménagée sur le toit a fait la réputation mondiale : ne ratez pas la remarquable architecture de la rampe d’accès automobile à l’extrémité droite du bâtiment. Aujourd’hui transformé en centre de congrès, auditorium, pinacothèque, hôtels (les clients ont accès… à pied à la piste automobile) et boutiques, le spectaculaire édifice, long de 500m, parfaitement accessible, jouxte le centre commercial gastronomique Eataly (rampes, ascenseur et toilettes adaptées), un incontournable pour les adeptes du slow food. Ce mouvement « éco-gastronomique », né au Piémont à la fin des années 1980, est représenté dans une centaine de pays dont la France. On peut en déguster quelques échantillons sur place, dans pas moins de sept restaurants thématiques, mais l’hédonisme culinaire se paie au prix fort…
Cette constatation s’impose également dans les Langhe, fameuse région viticole qui s’étend au sud de Turin, mieux connue en France pour sa production de truffes blanches, joyau naturel aussi rare que convoité dont les prix s’envolent régulièrement au-delà du raisonnable. Alba est la capitale de ce pays de cocagne. L’accessibilité y est certes moins aboutie qu’à Turin mais l’antenne locale de l’association Sportabili, très active, œuvre à faire évoluer les choses et pourra conseiller le voyageur. De l’antique Alba Pompeia il reste peu de vestiges, mais la cité a conservé une partie de son patrimoine Renaissance et, surtout, l’animation typique aux anciennes cités-états. Éternelle rivale de sa voisine Asti qui l’a jadis conquise, elle en a conservé la tradition de se moquer de cette vieille ennemie en organisant, chaque premier dimanche d’octobre (pendant la foire à la truffe), une course d’ânes parodiant le très sérieux palio d’Asti !
Nos rivaux s’accordent néanmoins à placer le vin que produit leur région parmi les meilleurs au monde. Nous nous garderons de prendre parti, tant les goûts diffèrent en la matière (celui des nectars locaux est nettement tannique) mais les tarifs pratiqués, en rapport avec le niveau général, peuvent surprendre.
Le cépage (rouge) de prédilection est ici le Nebbiolo et l’appellation la plus prestigieuse a pour nom Barolo. Le village éponyme, joliment préservé (quoique pentu) abrite en son château un musée très conceptuel dédié à ce terroir et à son histoire. La présentation, ludique et pleinement accessible par ascenseur, plaira aux enfants mais rien n’a été prévu pour les visiteurs sourds ou déficients visuels. Faites un tour par les toilettes : elles disposent d’une vue panoramique !
L’autre grand cru, à peine moins onéreux, se nomme Barbaresco. C’est aussi un joli village, siège d’une étonnante oenothèque installée dans une ancienne église (gros seuil) où l’on peut découvrir les productions locales.
Les Langhe offrent par ailleurs des paysages superbes parsemés de collines que le génie humain a harmonieusement transformées, et d’innombrables bourgs accrochés à leurs pentes : Cherasco (qui célèbre chaque printemps en la reconstituant la victoire du général Bonaparte en avril 1796), Neive, Treiso, Rodello… Le spectaculaire château de Grinzane Cavour n’est certes pas accessible en fauteuil roulant mais le panorama qui se découvre du sommet de sa rampe d’accès (que l’on peut emprunter en voiture par la via Castello) vaut largement le coup d’œil ! Une invitation à revenir s’attarder plus longtemps en Piémont…
Jacques Vernes, juin 2011.
Sur le web, le site officiel du tourisme au Piémont propose de nombreuses informations en français ainsi qu’un moteur de recherche hôtelier incluant le critère handicap, mais la meilleure référence en matière de tourisme des personnes handicapées reste l’organisation Turismabile, intervenant majeur dans l’accessibilité, dont le site internet constitue une précieuse mine d’informations (en italien et anglais). Des parcours de visites accessibles (tous handicaps) peuvent notamment y être téléchargés, ainsi qu’une liste d’hébergements, transports et activités testés par l’agence : incontournable !