Comment attirer des visiteurs extérieurs et retenir la clientèle locale malgré une monnaie forte, et donc des prix plus élevés qu’ailleurs (mais pas tant que ça) ? En offrant le meilleur, fidèle à une réputation patiemment construite : la Suisse est un pays discrètement opulent où il fait bon vivre, et donc bon séjourner, y compris quand on est handicapé. La proximité à la fois géographique et linguistique fait en outre des cantons romands une destination familière pour les Français, de l’ordre du cousinage à l’instar de la Wallonie, la richesse économique en plus. Ce n’est certes pas l’Eldorado, il reste une marge de progression, mais qui oserait se plaindre, par exemple, d’une voirie bien entretenue, d’un réseau de transport parmi les meilleurs au monde ou d’un accueil sans faille dans les espaces recevant du public ? Cerise sur le gâteau, de nombreuses promotions et réductions sont offertes un peu partout, notamment aux personnes handicapées. Bon à savoir : la Suisse a mis en place un système de passe qui permet, moyennant un abonnement, de voyager partout, avec tous les moyens de transports (bateaux inclus) jusqu’au pied des pistes de ski, et accéder à la plupart des musées. Sachez enfin que, via le service Accès Plus, les voyageurs en fauteuil roulant (et un accompagnateur éventuel) voyagent sur TGV-Lyria en première classe au prix de la seconde, service de restauration à la place inclus !
Située à moins d’une heure en voiture de Chamonix, via les cols des Montets et de la Forclaz (on peut également emprunter le spectaculaire Mont Blanc Express), Martigny est, avec ses quelque 18.000 habitants, la seconde cité du canton après la capitale, Sion. Lovée dans un coude du Rhône, au carrefour d’axes de communication importants (Grand Saint-Bernard, Simplon, en plus des cols évoqués ci-avant), elle a été occupée dès l’Antiquité, théâtre en 57 avant notre ère de la bataille d’Octodure que Jules César relate dans sa célèbre Guerre des Gaules. De nombreux vestiges subsistent de cette période, dont le plus impressionnant est sans doute l’amphithéâtre, dont les murs se dressent encore fièrement et accueillent toujours de nombreux spectacles, parmi lesquels des combats de vaches (appelées « reines« ) célèbres dans tout le pays, mettant en compétition la fine fleur de la race d’Hérens, avec la fièvre mais sans la violence des courses de taureaux méridionales. Juste à côté de l’amphithéâtre, les enfants, petits et grands, retrouveront une autre race, canine celle-là, dont le seul nom évoque les grandes heures des Alpes : Saint-Bernard. Un musée vivant a été établi par la fondation Barry sur le site d’un ancien arsenal de l’armée suisse, où l’on peut non seulement découvrir l’histoire de cet attachant compagnon grâce à un très bel et très complet espace muséographique, mais également l’approcher in vivo, les lieux disposant d’un chenil : succès garanti quand les chiots sont de sortie ! Accès de plain-pied, toilettes adaptées (comme dans tous les lieux recevant du public), restauration possible sur place à prix raisonnable.
Les autres sites romains sont plus discrets (et moins accessibles en fauteuil roulant) mais leur découverte peut s’avérer passionnante quand elle se fait avec les visites accompagnées proposées par l’office de tourisme. C’est sur l’un de ces vestiges, un temple celte dont ne subsistent que les fondations, que le riche entrepreneur Léonard Gianadda, propriétaire de la parcelle, a décidé de construire, en la mémoire d’un frère tragiquement décédé, un espace muséographique unique en son genre : la Fondation Pierre Gianadda, inaugurée en 1978. Cette étonnante ziggourat de béton ocre clair, accessible par rampe côté librairie (téléphonez ou envoyez quelqu’un demander à l’accueil qu’on vous ouvre la porte) rassemble sous une même pyramide, à des niveaux différents mais avec bonheur, expositions temporaires de portée internationale, musée gallo-romain et… collection d’automobiles anciennes, le tout bordé par un élégant jardin de sculptures modernes et contemporaines. Jusqu’en juin 2016, c’est le peintre sino-français Zao Wou-Ki (disparu en 2013) dont les oeuvres sont remarquablement mises en lumière dans l’immense hall, occasion de (re)découvrir, y compris en visite accompagnée, un travail mêlant lyrisme et poésie. La nef sert également de cadre à de prestigieux concerts de musique classique. À l’étage (accessible par ascenseur), les sages témoins des temps passés, sculptures et bronze antiques savamment mis en scène, racontent une toute autre histoire… Le sous-sol (accessible par élévateur) vous convie quant à lui à une exploration de l’automobile suisse, une expérience rarissime : Pic-Pic, Martini et autres, toutes en état de marche ! Enfin, les jardins (accessibles pour partie avec aide) invitent à la flânerie, où dialoguent les sculpteurs les plus marquants du XXe siècle. Attardez-vous devant l’émouvante Cour Chagall offerte à la Fondation en 2003 pour son 25e anniversaire : l’artiste (mort en 1985) n’en a réalisée qu’une, elle est ici par la volonté de ses commanditaires !
La sculpture moderne et contemporaine, on la retrouve partout en ville, grâce au soutien de la Fondation qui est l’un des principaux moteurs touristiques du canton : une balade au gré des carrefours et des ronds-points s’impose donc ! Sachez, à toutes fins utiles, que « Le Baladeur« , petit train touristique qui parcourt la cité de juin à octobre, est accessible sur demande. Martigny, dont le centre est parfaitement plat et en partie piétonnier, réserve par ailleurs de jolies surprises à celles et ceux qui prennent le temps de la découvrir. Côté gastronomie, les opportunités de se régaler ne manquent pas (consultez cette liste en utilisant le critère d’accessibilité) à des prix proportionnés à la classe de l’établissement. Quel que soit votre choix, ne faites pas l’impasse sur les spécialités locales, fondue et raclette, élaborées avec les fromages d’ici et arrosées des nectars du cru : elles n’ont rien de commun avec ce que vous croyez connaître ! Côté hébergements, l’offre est abondante mais on vous recommande le mARTigny Boutique Hôtel qui, outre la vocation artistique indiquée par son nom, est également l’équivalent local d’un ESAT unique en son genre, sur lequel nous reviendrons dans un prochain article.
La proximité de Martigny mérite également que l’on s’y attarde. D’abord pour son paysage dominé par les montagnes, splendides en toute saison. Ensuite parce qu’on peut y aller à la rencontre des producteurs locaux des spécialités et nectars évoqués ci-avant. Fromages, par exemple, à la Fromathèque de Martigny-Croix (accessible de plain-pied), où vous pourrez déguster à la bonne franquette de copieux plateaux rassemblant le nec plus ultra de l’affinage local, accompagné de quelques salaisons et d’un florilège des vins du cru. Empruntez les bus : ils sont accessibles (par rampe manuelle) et vous n’aurez pas trop à vous soucier de votre taux d’alcoolémie ! Même conseil si vous poussez chez le viticulteur Alexis Jacquerioz dont le caveau est également accessible de plain-pied : ce serait dommage de se priver du plaisir de tester des produits qui, à l’instar du fromage, s’exportent peu voire pas du tout, eu égard à leur production confidentielle. Chardonnay, Gamay, Syrah ou Pinot voisinent ici de plus « exotiques » Johannisberg, Marsanne et autres Humagne dont la saveur parfois inattendue vaut à elle seule le détour. Et pour achever la journée en beauté, rendez-vous à Saillon, toujours dans l’aire urbaine de Martigny, où vous attendent un bourg pittoresque accroché à son rocher et, dans la vallée, les vastes bassins chauffés, intérieurs et extérieurs (accessibles par potence de mise à l’eau mais on peut tout aussi bien se transférer sur les margelles), des Bains de Saillon. Espaces aqualudiques, sauna et hammam de plain-pied, personnel ultra-compétent et accueil attentionné avec notamment une vaste cabine adaptée ainsi qu’un prêt de fauteuils roulants pouvant aller sous la douche. Restauration possible sur place, hôtel (de luxe) attenant. Avec les Alpes enneigées en fond de décor, l’endroit est idyllique !
Ces Alpes-là, de carte-postale, avec leurs pics immaculés et leurs chalets typiques, on peut les atteindre sans encombre, grâce notamment au performant réseau de transport public qui permet de passer, pratiquement sans rupture de charge et en toute accessibilité, du train au télécabine puis au remonte-pente : de la science-fiction pour les Français ! Ainsi, la station de Verbier déploie-t-elle ses charmes d’altitude, attirant toutes sortes de publics, du skieur forcené au couple de retraités en passant par la famille en vacances, le tout dans un décor préservé qui a su éviter les verrues architecturales, quitte à verser dans le pastiche alpin… mais on préfère ça aux barres de béton ! À en juger par la liste des personnalités qui fréquentent l’endroit, et les prix stratosphériques de l’immobilier (un peu moins côté hôtellerie, heureusement), Verbier est assez chic mais reste bon-enfant : « Ici ce n’est pas Zermatt ! » assurent les résidents en référence à l’autre station haut de gamme du Valais, réputée snob. Et de fait, la bonne humeur règne, y compris parmi les travailleurs saisonniers (conducteurs de bus mis à part, qui ne veulent pas déployer la rampe manuelle : il faut bien une exception), dont le professionnalisme n’a d’égal que la diversité d’origines : l’Europe entière semble s’être donné rendez-vous !
Côté domaine skiable, Verbier appartient aux 4 Vallées, le plus grand du pays, rassemblant six stations au coeur d’un paysage grandiose offrant un véritable balcon sur les Alpes et leurs plus fameux sommets. Les handiskieurs sont également de la fête puisque de nombreux prestataires proposent leurs services et que le personnel des télécabines et remontées mécaniques est formé à les accueillir. L’École Suisse de Ski dispose de moniteurs spécialisés (dont une dans l’accueil de skieurs déficients visuels) ainsi que d’un GMS et d’un Tempo mais on peut également s’adresser, entre autres, à la société Ski Service, qui travaille avec l’association valaisanne Défisports pour la location et la mise à disposition de matériel adapté. Côté restauration d’altitude, mieux vaut vous renseigner au préalable : certains établissements, tel Le Dahu, peuvent mettre un fauteuil roulant à disposition, d’autres disposent d’une rampe, d’autres encore sont moins aisés à atteindre du fait de leur emplacement. Quoi qu’il en soit, les paysages qui s’offrent au regard sont absolument merveilleux, à telle enseigne d’ailleurs que de nombreux visiteurs se contentent de faire le trajet sans s’encombrer de skis… Ajoutez à ce qui précède que les handiskieurs et leur accompagnateur bénéficient d’une réduction de 50% sur les forfaits et vous comprendrez pourquoi le monde entier rêve du Mont-Fort !
Jacques Vernes, février 2016.
Sur le web, le site officiel du tourisme en Valais propose un large éventail d’informations sur la destination (lieux, activités, hébergements, etc.) mais sans mention d’accessibilité. Lesquelles seront à rechercher du côté de Suisse Tourisme, plus particulièrement la page « Voyager avec un handicap« .