La Terre entière connaît Gênes, ne serait-ce que grâce à son plus célèbre rejeton, Christophe Colomb qui y naquit en 1451, le golfe de Méditerranée qui porte son nom ou, plus prosaïquement, son terminal ferry et croisières par lequel transitent chaque année des millions de touristes : transitent mais s’arrêtent peu, à l’instar des tout aussi nombreux automobilistes pour qui la ville n’est qu’un noeud autoroutier rendu plus ardu encore par l’effondrement, en août 2018, d’une partie du pont Morandi. Ainsi en va-t-il aujourd’hui de Gênes comme jadis de Milan ou de Turin, réputées grises et inhospitalières. Rien n’est plus faux : passée la véritable frontière que constitue la voie rapide qui domine le vieux port et que double une avenue à forte fréquentation, c’est une authentique perle qui s’offre aux curieux !
Le vieux port demeure souvent l’unique escale des visiteurs, à la fois pour les raisons évoquées plus haut mais aussi parce que s’y trouve, dû au starchitecte génois Renzo Piano, un aquarium parmi les plus réputés d’Italie et l’un des plus grands d’Europe. Ses innombrables bassins et biotopes savamment mis en scène comme en lumière, présentent un éventail exhaustif de tout ce qui vit dans et autour de l’eau sur la planète. Émerveillement garanti devant les immenses baies derrière lesquelles s’ébattent des animaux qui entrent parfois en interaction avec le spectateur ! Le delphinarium vaut autant pour ses démonstrations que pour l’atmosphère irréelle qui règne dans le vaste espace vitré situé en contrebas : la magie du spectacle se passe de commentaires… L’accessibilité en fauteuil roulant se fait par le côté gauche du bâtiment où se trouve l’un des nombreux ascenseurs desservant les multiples niveaux de l’édifice dont la forme évoque un immense navire. Tarif réduit pour les visiteurs handicapés (possibilité de billet groupé avec d’autres attractions du vieux port), toilettes adaptées, restauration possible sur place avec une jolie vue sur les quais.
Immanquable devant l’aquarium, l’ascenseur panoramique Bigo, dû également à Renzo Piano, rappelle quant à lui la vocation industrielle de ces quais où ne demeure que la plaisance. Sa forme en étoile immaculée supporte une nacelle parfaitement accessible d’où l’on jouit d’un superbe panorama sur cette partie de la ville, ses principaux monuments et l’étendue de son front de mer. Occasion de se rendre compte combien la cité ne se limite pas à son centre ancien, et de se rappeler qu’elle fut pendant huit siècles la capitale d’une république maritime rivalisant avec Venise et Constantinople, loin devant Marseille ou Barcelone ! Sa sphère d’influence s’étendait alors à toute la Méditerranée et jusqu’à la mer Noire, ses possessions comptant, entre autres, la Corse, le nord de la Sardaigne, quelques îles grecques et le sud de la Crimée… Une capitale avant tout financière, l’une des premières de cette importance dans l’histoire mondiale, créancière des grands empires et donc diplomate à l’extrême (quelques célèbres bévues mises à part), d’où sa longévité. Dirigée par un doge à l’instar de sa rivale de toujours, elle dut comme elle sa chute au même Napoléon venu exporter la Révolution Française à la fin des années 1790. S’ensuivit un déclin relatif jusqu’à l’autre révolution, industrielle celle-là, qui propulsa de nouveau la ville au firmament de l’économie italienne, toujours grâce au port. Des quais chargés de navires qui, vers la fin du XIXe siècle, virent s’embarquer pour les Amériques de nombreux migrants.
Ce récit à la fois éclatant et mouvementé, on le retrouve au musée de la mer (baptisé Galata, un nom qui rappelle la fameuse tour stambouliote), sur les traces de Christophe Colomb, évidemment, mais aussi des grandes familles aristocratiques, armateurs et autres barons d’industrie qui surent, à la faveur du Risorgimento, placer Gênes à l’égal de Milan ou Turin, et reléguer Venise à ses souvenirs. Installé dans les anciens arsenaux, ce très vaste et très riche musée présente de nombreuses pièces remarquables, dont une immense galère reconstituée (inaccessible en fauteuil roulant, mais on peut en faire le tour) et un brigantin accessible par rampe ainsi que la reconstitution du pont supérieur d’un steamer en cours de manoeuvre. On peut également affronter virtuellement une tempête grâce à une salle 4D également accessible ! Une partie fort émouvante évoque l’émigration italienne vers le Nouveau Monde, avec reconstitutions et témoignages (certains terriblement actuels), une autre le dramatique naufrage du paquebot Andrea Doria en 1956. La terrasse panoramique du dernier étage offre un autre point de vue sur le port et ses énormes navires de croisière, synonymes d’évasion pour des millions de touristes… Audioguides descriptifs et panneaux tactiles agrémentent la visite.
Comme on l’a dit, Gênes ne se résume pas, loin s’en faut, à son vieux port : il faut passer sous la passerelle routière, traverser la via Gramsci et gagner la place Caricamento, dont le nom rappelle que la mer, jadis, en léchait les vénérables façades. Vénérables parce que les soubassements du centre ancien qui s’étend au-delà, à flanc de coteau, remontent pour la plupart au Moyen-Âge dont les rues étroites (« vicoli ») conservent le tracé originel. L’Histoire, ici, se lit de bas en haut, avec d’innombrables surprises architecturales quand on prend la peine de lever les yeux ! De passionnantes visites guidées thématiques sont d’ailleurs organisées, y compris en français, occasion de mieux comprendre et ressentir l’endroit… et bénéficier de bonnes adresses pour se restaurer ou ramener quelques souvenirs, notamment gastronomiques, à commencer par le fameux pesto. De ruelles en placettes on finit par déboucher, comme par miracle, sur la fastueuse via Garibaldi où se concentrent les plus beaux palais élevés du XVIe au XVIIIe siècle par l’aristocratie à son usage et celui de ses visiteurs/clients les plus illustres (« rolli« ). Avec la via Balbi, elle symbolise le siècle d’or génois, celui des « rues nouvelles » inscrites désormais au patrimoine UNESCO et dont la richesse a époustouflé Rubens (excusez du peu !) et époustoufle encore aujourd’hui. Tous les palais ne se visitent pas : certains appartiennent à des institutions financières ou des administrations, d’autres aux descendants des familles qui les ont édifiés (ceux-là ouvrent parfois leurs portes) mais on peut en apercevoir les imposants vestibules, voire s’y glisser pour y admirer ces fresques qui font toute la magie du maniérisme italien.
Les trois immanquables de la via Garibaldi sont les palais Rosso, Bianco et Tursi, propriété de la ville, réunis en pôle muséal et accessibles en fauteuil roulant grâce à des ascenseurs. Tous proposent des tarifs réduits pour les visiteurs handicapés (billet groupé) mais il peut être plus économique, quand on projette de visiter plusieurs lieux, d’acheter le City Pass qui permet en outre d’emprunter les transports en commun (globalement peu accessibles en fauteuil roulant). Le palazzo Rosso, aisément reconnaissable à la couleur de ses façades, est un joyau baroque qui éblouit autant par l’opulence de ses décors que celle des collections qu’il renferme. On le doit à la générosité de sa dernière héritière, la duchesse Galliera, morte à Paris en 1888 dans un autre palais devenu musée de la Mode. Que l’on soit ou non sensible à la peinture flamande ou italienne du Siècle d’Or, la simple déambulation dans ce décor onirique dont une partie du mobilier a été conservée vaut tous les voyages, sans compter la vue dominante qui s’offre depuis la loggia… Il en va de même pour le palazzo Bianco, situé presque en face, où les amateurs de peinture européenne des XVIe et XVIIe siècle seront à la fête. Quant au palazzo Tursi, siège de la mairie à l’architecture théâtrale, ses collections rendent notamment hommage, outre le célèbre velours de Gênes, à un autre enfant prodige de la cité : Niccolo Paganini (1782-1840) dont le violon ensorcela le monde. Les trois palais proposent des audioguides en français et disposent de toilettes adaptées.
À quelques encablures de là, à l’aplomb du musée Galata, sur la via Balbi, le palais royal est une autre merveille baroque dont l’aménagement et les transformations se sont étendues sur près d’un siècle, entre le XVIIe et le XVIIIe, avant que le roi de Sardaigne, Charles-Félix de Savoie (modérément apprécié ici, bien que l’opéra de la ville porte son nom) n’investisse les lieux en 1823 pour en faire l’une de ses résidences officielles. Le palais est devenu propriété de l’État il y a tout juste cent ans et déploie ses collections artistiques dans un faste royal. Des salles d’apparat ornées de fresques étourdissantes jusqu’aux terrasses parées de marbres précieux en passant par un jardin suspendu digne d’un conte de fées, sa visite tient du voyage fantastique ! Exception faite du double seuil donnant accès au jardin, l’accessibilité y est excellente et le panorama sur la ville plutôt intéressant, qui confronte l’ancien et le nouveau selon où se porte le regard.
Et justement, quand on sait où regarder, on l’aperçoit depuis pratiquement toute la ville, le château d’Albertis. Discrètement accroché au mont Galletto, surplombant toute la baie, il doit son nom au richissime Enrico Alberto d’Albertis, marin, voyageur, esthète collectionneur, qui lui redonna vie à la fin du XIXe siècle dans un esprit italo-mauresque qui n’est pas sans rappeler, en plus grand et plus riche, les extravagances d’un Pierre Loti, son contemporain. Nul ne sait si ces deux-là se rencontrèrent mais l’endroit où d’Albertis acheva sa vie en 1932, devenu entretemps Musée des cultures du monde, est peut-être la perle la mieux cachée de Gênes : difficile d’accès (il faut emprunter l’un des ascenseurs urbains, une expérience en soi, puis gravir une côte), trop loin du centre pour intéresser les touristes pressés, c’est un espace hors du temps, ou plutôt figé dans les rêves exotiques de son propriétaire. On peut d’autant plus aisément les partager que le public est rare et les étages desservis par ascenseur…
Au sud-est du centre ancien, au-delà de la via Roma, s’étend la partie XIXe et XXe de la ville, avec de larges avenues agrémentées de beaux immeubles bourgeois et d’arcades abritant des commerces de marques internationales. La place de Ferrari (du nom du marquis époux de la duchesse de Galliera) qui en constitue le pivot, s’orne en son centre d’une gigantesque fontaine circulaire, célèbre ici pour les tifosi qui viennent y célébrer la victoire de leur équipe de foot : il y en a deux à Gênes, Sampdoria et Genoa, évidemment irréconciliables ! Les édifices qui bordent la place sont à la mesure de son gigantisme : banques, palais (dont celui des Doges, accessible, qui héberge divers événements culturels ou politiques) et l’opéra évoqué plus haut. Appelé donc teatro Carlo Felice, ce dernier présente la particularité de posséder une façade XIXe classique… par laquelle on n’entre pas, le bâtiment ayant été sévèrement endommagé lors des bombardements alliés de la Seconde guerre mondiale. Sa reconstruction, qui a duré plusieurs décennies, s’est achevée en 1991 avec un nouvel édifice dont le parallélépipède résolument contemporain cache une salle en gradins agrémentée de balcons et fenêtres rappelant les rues et placettes de la vieille ville : il fallait oser. Plusieurs places, en haut d’amphithéâtre, sont réservées aux spectateurs en fauteuil roulant et à leurs accompagnateurs. La visibilité et l’acoustique y sont excellentes : avis aux amateurs !
Il faudrait encore évoquer les églises, souvent accessibles par rampes (à l’instar de la cathédrale Saint-Laurent, chef d’oeuvre d’architecture byzantine, ou celle, extraordinairement baroque, du Gesù), les trésors qu’elles renferment, mais aussi la multitude d’autres lieux culturels, musées ou simples buts de flânerie, l’ambiance festive qui règne le soir venu dans les rues… Le plus simple est d’en faire soi-même l’expérience : Gênes est plus qu’une perle, une véritable mine d’or pour qui ose s’y aventurer !
Jacques Vernes, juin 2019.
Sur le web, le site officiel Visit Genoa propose en français un large éventail d’informations utiles et d’idées d’activités pour découvrir la ville, s’y déplacer, y régaler ses sens et y séjourner; l’accessibilité, avec ou sans aide, est mentionnée par pictogrammes. Consultez également (en italien) cette page dont certaines informations datent un peu mais qui, pour la plupart s’avèrent toujours d’actualité. N’hésitez pas à contacter par mél l’office du tourisme, dont le personnel est sensibilisé à la thématique handicap, ou vous rendre dans ses bureaux sur place. Par ailleurs, l’office national de tourisme d’Italie propose un panorama des sites majeurs de la région Ligurie. Sachez enfin, qu’Air France propose deux vols quotidiens à destination de Gênes, depuis son hub de Paris-Charles de Gaulle.