Après des semaines d’enfermement au domicile ou dans des établissements médico-sociaux, de nombreuses personnes handicapées espèrent souffler en prenant des vacances. Si celles qui partent en famille ou individuellement devraient pouvoir organiser leur séjour sans trop de difficultés, il en va tout autrement pour celles qui ont choisi un séjour de vacances adaptées organisées (VAO) qui dépendent d’un cadre réglementaire spécifique. Le 14 avril dernier (lire l’actualité du 6 mai 2020), la Direction Générale de la Cohésion Sociale adressait aux directeurs d’établissements pour personnes handicapées et aux organismes agréés proposant des VAO un courriel interdisant de facto tous les séjours. « Nous avons été très actifs au regard de deux messages de la DGCS qui voulait par mesure de précaution décourager tous les organisateurs de séjours de groupe, commente René Moullec, président du Conseil National des Loisirs et du Tourisme Adaptés (CNLTA). Quand on reçoit des messages de ce type, on est très prudent à la lecture de préconisations qui peuvent être traduites comme des directives, les inspecteurs de l’administration ont des attitudes très diverses lors de leurs contrôles. On a sollicité l’administration avec des messages argumentés, puis en commun avec l’Union nationale des associations de tourisme et de plein air (UNAT) qui a conduit à plusieurs rencontres pour travailler sur un cadre sanitaire ouvrant la possibilité de séjours et d’alternatives. L’idée que nous voulions mettre en avant, c’était la possibilité de proposer des séjours de vacances pour les personnes handicapées, et la nécessité d’être présent. »
S’organiser dans l’urgence
Mais ce n’est pas simple tant les conditions d’organisation diffusées le 3 juin par la DGCS sont drastiques : limitation des déplacements longue distance en transports collectifs, adaptation des locaux, hébergement en chambres individuelles, activités en groupes de 10 personnes maximum, distanciation, repas en horaires décalés, aucun sport collectif ou d’intérieur ou de contact ou de ballon, etc. Bref, des vacances qui n’en sont plus et une incitation à privilégier les séjours de proximité. « Organiser des séjours de vacances pour personnes handicapées n’est pas une mince affaire, explique Éric Picot, directeur de l’Association Artmo. Et quand on a une autorisation qui tombe début juin alors que nos séjours débutent en juin, ça ajoute de la complication à la complication. Nos séjours se déroulent partout en France et à l’étranger, il faut organiser le voyage de clients qui doivent être accompagnés, et les ayants-droits doivent apprécier la capacité de leur parent à voyager. » Sa structure affronte un chassé-croisé entre annulation de clients et recherche de séjours par d’autres parce que leur réservation est annulée : « On va privilégier les séjours France et proximité, tout en maintenant ceux de l’Espagne, Italie, Autriche et Grèce. Bien évidement le cadre réglementaire sera respecté, mais ça appelle une autre réaction : le protocole DGCS de début juin est amené à évoluer, en sachant que le gros des départs se fait pendant la 1ere quinzaine d’août. Il est difficile d’anticiper même si on pense qu’on va vers du mieux. » Malgré ces incertitudes et un cadre très contraint, Artmo veut autant que possible maintenir son offre : « Ce qui nous motive, c’est notre militantisme alors que d’autres ont replié leur gaule. Ces contraintes sanitaires vont quand même à l’encontre des vacances des personnes handicapées, ça me heurte », conclut Éric Picot.
La société Supernova a pour sa part décidé d’annuler tous les séjours d’été. « Ce qui a guidé notre décision, c’est plusieurs facteurs, justifie son directeur, Julien Carret. Il était difficile de prévoir parce que l’administration nous envoyait des messages pour nous dire ‘vous ne serez pas autorisé à travailler’. Il fallait parier sur l’amélioration de la situation sanitaire. Ensuite, quand on étudie le protocole sanitaire qui nous est imposé, il n’est pas compatible avec une situation de vacances. » Les réservations sont reportées dans les mêmes conditions et tarifs et Supernova compte poursuivre son activité grâce au plan gouvernemental de soutien du secteur touristique : « C’est un impact très lourd, parce qu’on est une jeune société. 80% de l’activité économique est estivale, et si on loupe le coche, on est reparti pour un tour. Ce qui nous est proposé c’est de souscrire à des prêts garantis par l’Etat pour couvrir nos frais fixes, et d’employer le chômage partiel. On a repris contact avec nos clients pour annuler les séjours et leur expliquer notre décision, la plupart le comprennent bien, avec des pleurs, beaucoup de tristesse. » Julien Carret apprécie la solidarité entre professionnels qui, en France, jouent le jeu : là aussi, les réservations sont reportées avec un avoir. Mais il n’a reçu aucune info ni soutien d’Atout France, agence d’État chargée de la politique touristique nationale : « On est systématiquement renvoyé vers le social du fait de notre public, uniquement vu sous l’angle de la protection. Une partie de nos clients ont travaillé pendant le confinement, ils ont fabriqué des masques, ont une utilité publique, on fait des reportages sur eux, mais ils ne peuvent pas partir en vacances. La déception est liée à ça, parce que si la protection est légitime, la surprotection ne satisfait pas un public infantilisé. »
Adapter des séjours adaptés…
De son côté, l’Union nationale des Centres sportifs de Plein Air (UCPA) maintiendra tous ses séjours handisports, espère Caroline Duval, chargé de mission handicap : « On a peu de séjours adaptés, on accueille en inclusion. On est dans les règles de droit commun, avec pas plus de 3 personnes handicapées ensemble, le port du masque si la distanciation physique impossible, et éviter les mélanges entre groupes. » Il y aura moins de vacanciers dans les chambres, le coût supplémentaire absorbé par l’UCPA sans répercussion pour les clients. Certaines activités sont actuellement interdites tels la descente en fauteuil piloté Cymgo, la joëlette, le tandem, avec des propositions alternatives. « Pour les séjours handisport, poursuit Caroline Duval, on va réduire les effectifs en passant de 10 participants à 6 ou 8. Cela va dépendre du matériel nécessaire, des personnels complémentaires à recruter en urgence. On devra peut-être annuler des séjours. On sait qu’on a affaire à une situation peu ordinaire. On se projette sur les années suivantes, il y a un enjeu de santé publique. »
Parmi les solutions proposée par la DGCS figure l’organisation de vacances en accueil temporaire. « Le fait qu’il y ait une alternative est intéressant, apprécie Ahmed Zouad, président du Groupe de Réflexion et Réseau pour l’Accueil Temporaire des Personnes en situation de Handicap (GRATH). La difficulté est de trouver des places disponibles dans les structures d’accueil temporaire. Les établissements médico-sociaux n’ont pas forcément des places estampillées accueil temporaire. Et pas mal d’établissements sont fermés en août. Sur le secteur enfant, l’offre est très réduite, et sur les adultes on est sur une logique de lieu de vie et il peut y avoir des disparités en places d’accueil temporaire. » Cette recherche n’est d’ailleurs pas facilitée par la fermeture de la base de données de disponibilité en temps réel des places d’accueil temporaire (lire l’actualité du 5 mai 2020). Mais quitter un établissement pour aller dans un autre, est-ce que ce sont des vacances ? « Dans la Somme, reprend Ahmed Zouad avec sa casquette de directeur de l’APAJH 80, on a modifié notre calendrier pour être ouvert en juillet-août afin de recevoir des enfants, en décalant les congés de nos professionnels. On est là sur du temps de répit par défaut plutôt que de vacances, mais avec des activités de loisirs. » Dans ce département, la situation est particulière parce que l’accueil temporaire pour jeunes autistes est resté ouvert pendant le confinement avec l’accord de la MDPH et de l’ARS, avec un protocole pour les mesures barrières et aucun cas de Covid. « Ce qui était difficile, poursuit Ahmed Zouad, c’étaient les animations à cause de l’impossibilité de sortir, tout était fermé, on a tout repensé en interne. » Grâce à cette expérience, les accueils estivaux pourront proposer aux familles des activités intéressantes, estime-t-il, mais avec quelques risques : « Les délais sont très courts, et le protocole très strict. On n’a aucune visibilité de l’offre disponible sur cette période. » Pour nombre de familles et de personnes concernées, les vacances adaptées 2020 risquent fort de se passer à la maison…
Laurent Lejard, juin 2020.