Ce qu’il y a de bien, avec les associations nationales de déficients visuels, c’est qu’elles parlent d’une seule voix dans certains domaines, grâce à leur regroupement au sein de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA). Ainsi en va-t-il pour l’accessibilité, dont la commission dirigée par Thierry Jammes a publié cette année deux ouvrages de référence : le premier présente l’accessibilité à la voirie et au cadre bâti, le second traite des transports. L’ensemble vient d’être rassemblé sur Cédérom au format PDF, sonore et html, ou est téléchargeable.
« La compétence, tout le monde ne l’a pas dans ce pays, regrette Thierry Jammes. On ne sait pas ce que comprend, perçoit un déficient visuel dans ses déplacements. Peu d’architectes savent concevoir des espaces contrastés, sonorisés. Même de bonne volonté, un professionnel ne trouve pas les outils nécessaires. Il rencontre des marchands qui vendent des matériels pas forcément adaptés. À l’étranger, dans certains secteurs, il y a une volonté. Mais le travail de fond est fait en France, plus solide, construit. La loi de février 2005 y a fortement contribué. La Bande d’Eveil de Vigilance (BEV) se généralise, il y a beaucoup de feux sonores. Dans une dizaine d’années, l’accessibilité sera présente partout. Mais il subsiste quelques failles réglementaires, notamment une définition de ce que veut dire ‘cheminement détectable et repérable’ : personne ne sait ce que c’est, les opérateurs ne le comprennent pas et ils font ce qu’ils peuvent. Alors que ‘détectable’ veut dire ‘à la canne et au pied’, et repérable par la vision résiduelle d’un malvoyant, le chien-guide, ou à l’oreille. »
Ces notions de « détectable » et « repérable » sont incluses dans le code de la rue, un groupe de réflexion créé en 2006 dans lequel les seules personnes handicapées représentées sont les déficients visuels. Autour de la table, les associations de piétons, cyclistes, rollers, automobilistes définissent avec les services de l’État les conditions d’utilisation par tous les publics d’espaces partagés de voirie, une chaussée unique et sans trottoir avec vitesse limitée à 20 km/h. « Ces associations de vélos, de piétons, se font entendre et tirent la réglementation vers leur public, commente Thierry Jammes. Nous, on a défendu l’idée d’un trottoir détectable, alors qu’il n’est pas prévu de signalétique adaptée pour que les déficients visuels identifient le point d’entrée et de sortie d’une zone d’espace partagé de voirie ». Ces nouveaux espaces seront-ils des jungles urbaines dangereuses pour les déficients visuels ? Un arrêté les réglementant est attendu d’ici la fin décembre.
Du côté des feux tricolores, Thierry Jammes estime que la norme actuelle devrait être révisée afin de compléter le message d’information diffusé : « Le feu parlant me dit où je suis, d’abord en le repérant au son, puis grâce au message diffusé. Il y aurait lieu d’ajouter de l’information de localisation, en indiquant la direction vers laquelle la rue se poursuit. Et il faudrait enfin traiter les traversées dites ‘complexes’. Aujourd’hui, la technique a évolué, le matériel est plus précis, les déficients visuels peuvent être guidés sur les carrefours complexes ». Thierry Jammes déplore toutefois l’absence fréquente d’entretien, qui est un travail à part entière : « Pour que ça fonctionne, il faut de l’interactivité avec les services publics, une organisation cohérente. Lorsqu’un usager détecte un problème, il doit pouvoir le signaler facilement et ne pas se retrouver envoyé de bureau en bureau ».
Thierry Jammes estime par ailleurs que le repérage et le guidage par le son pourraient être améliorés : « Il manque un arrêté technique qui définisse le son et l’orientation des haut-parleurs, dans les autobus par exemple. Parce que le son diffusé individuellement sur écouteurs a ses limites : quand il est émis sur haut-parleurs, il guide et oriente, permet de trouver le point de destination. Un aveugle à besoin de précision ».
Côté normalisation, un abaque de détection du mobilier urbain doit prochainement être publié. Le chantier des bandes de guidage et de localisation est lancée par l’AFNOR; il devrait durer 3 à 4 ans. Côté transports, il reste des efforts importants à réaliser. « Hormis la SNCF, les réseaux ne savent pas nous donner l’information, déplore Thierry Jammes. Les schémas directeurs d’accessibilité des transports sont écrits, du matériel est commandé alors qu’il sera d’utilité variable. Il y a un problème de réglementation : les points d’arrêts desservis par une seule ligne n’auront pas de signalisation sonore, ce qui fait qu’un déficient visuel ne pourra pas faire signe au conducteur d’un autobus dont il n’est pas informé de l’arrivée… » La création de moyens de substitution se pose pour les petites gares dépourvues de personnel d’assistance aux voyageurs handicapés, et les lignes « monobus ».
Reste l’innovation, et cette tendance à transformer le déficient visuel en bipède bardé de technologies embarquées. « Les études sur l’innovation permettent d’améliorer la connaissance, admet Thierry Jammes, mais on est très dispersé, en France, en matière de recherche-innovation en direction des déficients visuels, il manque une coordination. Ni l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle, ni l’Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap ne jouent ce rôle. Il manque une instance technique de coordination de l’accessibilité. Alors qu’il y a beaucoup d’argent et d’énergie qui sont dépensés. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2010.