Question : Vous participez le 8 février prochain au forum annuel pour l’emploi organisé par l’Institut National des Jeunes Aveugles, comment appréhendez-vous cette confrontation avec ses élèves ?
Hakim Kasmi : Je n’appréhende pas du tout, c’est un plaisir étant un ancien élève de l’INJA ! J’y suis resté une dizaine d’années. C’est toujours avec beaucoup d’émotion que je reviens à l’institut. En plus, j’étais interne, c’est une école qui a marqué ma vie. Je viens transmettre un peu de mon savoir et surtout rassurer les élèves parce qu’à leur âge j’avais beaucoup de doutes par rapport à mon handicap, au métier que je voudrais faire. J’y vais avec un esprit de relais, de grand frère, de mentor, pour les rassurer et encourager ceux qui ont des vocations.
Question : Comment vous-êtes vous retrouvé dans le journalisme ?
Hakim Kasmi : Le journalisme a toujours été pour moi une grande passion, mais entre une passion et en faire son métier, il y a du chemin à parcourir et des difficultés parfois. J’ai toujours voulu faire ce métier, et j’ai agi par étapes. Dans la vie, ce qui compte ce sont les étapes et la première était d’avoir le bac, puis après une licence. J’ai choisi une licence d’histoire, parce que j’aime l’histoire et que c’est utile pour préparer une école de journalisme. Après la licence, j’ai passé le concours de l’Institut Pratique de Journalisme (IPJ), une école reconnue qui m’a permis d’entrer à Radio France en apprentissage. C’était une passerelle intéressante pour intégrer un groupe.
Question : On pourrait penser que la radio c’est la voix; être aveugle c’est lire et aussi parler, et qu’il y a donc un chemin naturel vers le journalisme. Mais ce n’était pas votre cas ?
Hakim Kasmi : Non, ce n’est pas la question du naturel. Ce sont des filières très élitistes, forcément, pour devenir journaliste que ce soit en radio ou en général. Faire ce métier et pouvoir en vivre, ça reste un métier très fermé, très sélectif parce que les places sont chères et de moins en moins nombreuses. C’est à ce niveau qu’il était difficile d’y entrer, en fait.
Question : Vous avez été confronté aux piges, aux contrats précaires, aux stages, une situation qui vous a conduit à signer avec d’autres journalistes lors de la grève de 2015 un appel à combattre cette précarité ?
Hakim Kasmi : J’ai fait l’IPJ en alternance, c’était un moyen d’entrer à Radio France. Mais une fois que j’ai eu mon diplôme, j’ai dû tout reprendre à zéro parce que pour entrer à Radio France il faut passer ce qu’on appelle le Planning, un grand concours avec un jury, qui écoute vos maquettes, ce que vous avez fait, et ce sont seulement les candidats retenus pour le Planning qui intègrent Radio France en Contrat à Durée Déterminée. On y reste plusieurs années en travaillant pour les différentes rédactions du groupe, que ce soit France Bleu, France Inter, France Info, etc. J’ai fait plusieurs années de CDD puis j’ai pu intégrer France Culture.
Question : Vous avez connu la précarité, le parcours commun de tous les journalistes; on n’obtient plus un poste à la sortie de l’école ?
Hakim Kasmi : Oui, effectivement. Les règles du jeu on les connaît d’avance, elles sont ce qu’elles sont. On sait très bien que quand on débute, à Radio France comme ailleurs, on sait que ça passe par plusieurs années de CDD. Après, on est libre de ne pas l’accepter et de faire autre chose, du marketing ou du commerce. Après j’ai eu la chance de travailler à France Culture, je n’estime pas avoir été « lésé » ou « maltraité », au contraire.
Question : Travailler à France Culture a quelque chose de spécial par rapport à d’autres radios ?
Hakim Kasmi : C’est une grande chance d’y travailler parce que France Culture est vraiment une exception culturelle et radiophonique. Je dis toujours que France Culture est l’équivalent d’Arte ou du Monde à la radio. Les formats sont plus longs, un reportage à France Culture dure 1 minute 30 à 2 minutes contre 1 minute 10 sur RTL ou Europe 1. Les angles ne sont pas les mêmes, sur France Culture on est davantage sur l’analyse, le fond, plus que sur l’information brute telle qu’on peut l’avoir ailleurs. On prend le temps de développer. Par exemple, le magazine de la rédaction dure une heure, c’est un format documentaire et vous avez deux semaines pour tourner et monter un sujet.
Question : Les outils technologiques employés aujourd’hui ont-ils constitué des obstacles qui ont nécessité des adaptations ?
Hakim Kasmi : Il a fallu les rendre adaptables, parce que les logiciels de montage ne sont pas adaptés aux non-voyants. On a créé toute une série de scripts dans Jaws notamment, pour remplacer la souris. Avec un ergonome et un ingénieur, on a travaillé dès mon arrivée à Radio France pour mettre en place les outils ergonomiques nécessaires à un travail entièrement autonome, que ce soit pour le montage sonore ou la lecture des dépêches d’agence.
Question : Vous n’êtes pas journaliste 24 heures sur 24; quand vous quittez la rédaction, qu’est-ce que vous faites ?
Hakim Kasmi : Mes passions, c’est l’aéronautique que je suis également professionnellement, le théâtre, les voyages. Je pars régulièrement à l’étranger, que ce soit pour mon travail ou ma vie privée. J’aime beaucoup le théâtre mais je n’ai plus le temps d’en faire beaucoup à cause de mes horaires décalés. Et le sport aussi, parce que c’est très important pour déstresser dans un métier où on travaille entre 50 et 60 heures dans la semaine. Je fais du tandem, et j’ai joué en équipe de France de céccifoot quand j’étais étudiant, avec entre autres compétitions une coupe du monde au Brésil.
Question : Quel conseil donneriez-vous à un jeune aveugle comme Yvan Wouandji qui voudrait faire carrière dans le journalisme ?
Hakim Kasmi : Déjà, de suivre un parcours classique, de passer les concours des grandes écoles, surtout d’être motivé. Rien n’empêche d’être journaliste sportif, de faire des reportages, d’intervenir en tant qu’expert. Ma consoeur Laetitia Bernard est journaliste sportive, elle commente le journal des sports sur France Inter et France Info. Je dis toujours cette devise aux élèves : « Dans la vie, il est important de tenter pour ne pas avoir de regrets quel que soit son projet. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2018.
Le 4e forum Formation et Recherche d’Emploi pour les déficients visuels à l’Institut National des Jeunes Aveugles (INJA, 56 boulevard des Invalides à Paris 7e) se déroulera le 8 février de 9h à 17h. Une quinzaine de travailleurs aveugles exposeront leur expérience dans divers métiers, des entreprises présenteront leurs opportunités et des associations spécialisées leurs activités et prestations. Programme complet en ligne.