Nadia Boudiaf veut travailler. Malgré sa cécité et les séquelles douloureuses d’une chute dans un trou de chantier sur un trottoir : le matin, il était protégé par des barrières, le soir elles n’y étaient plus, Nadia a mis le pied dedans. De la fracture du talon qui en a résulté, elle conserve des séquelles et de sévères douleurs qui limitent davantage encore son périmètre de marche, alors qu’elle utilisait comme tout le monde les transports en commun pour aller travailler. Elle espérait alléger son nouveau fardeau en utilisant le service de transport pour personnes handicapées d’Orléans (TPMR) exploité par Keolis, mais le voilà qui refuse à cause de la saturation endémique du service. Nadia doit reprendre le tram et le bus pour aller travailler, au risque de ne plus poser le pied par terre au bout de trois jours. Comment en est-on arrivé là, en pleine semaine pour l’emploi des personnes handicapées ?
« Cela fait plusieurs mois que j’essaie d’aider Nadia après son accident de décembre 2017, commente Christelle Koehlofer, bénévole de la Fédération des Aveugles de France Val-de-Loire. Prendre les transports en commun sur un long trajet lui devient très pénible. On a fait des démarches auprès du TPMR Keolis qui répond que la priorité ce sont les résidents du foyer Saint-Marceau et qu’ils ne peuvent pas faire un détour. » Alors que Nadia Boudiaf affirme qu’une place est libre dans le véhicule qui transporte ses collègues de travail depuis leur foyer d’hébergement jusqu’à leur Etablissement et Service d’Aide par le Travail Auguste Rodin, au sud d’Orléans. Sauf que l’opérateur répond qu’il n’est pas possible d’en faire profiter Nadia : « Le véhicule n’a pas le temps d’aller dans le quartier de la gare, depuis sa précédente course au sud de la ville, pour aller chercher Nadia Boudiaf et respecter l’horaire des autres usagers de l’ESAT, justifie Jérôme Mazuay, responsable études et production chez Keolis. On a regardé pour décaler le transport des autres usagers mais ils n’ont pas accepté. Il est possible de la transporter plus tard. » C’est d’ailleurs ce qui a été fait, en accord avec la direction de l’ESAT : prise en charge à 10h49 (sic) pour une arrivée une demi-heure plus tard, le temps de saluer les collègues puis d’aller déjeuner. Une matinée de travail réduite à rien, des heures de rémunération perdues, et aucun transport proposé pour revenir chez elle : un aller sans retour.
A qui la faute ? D’abord, à la saturation endémique de ce TPMR, déjà relevée il y a plus de trois ans par France Bleu, lorsque le Conseil Général du Loiret a décidé de supprimer un TPMR géré… par des personnes aveugles ou malvoyantes. Assuré par l’Association pour les aveugles et déficients visuels d’Orléans (APADVOR) subventionnée 150.000€ par an, elle effectuait 1.500 trajets par mois jusqu’à ce que le Département décide en 2013 qu’il n’avait pas à le financer. Dix ans de service, 6 salariés et 400 usagers sur le carreau. « Le réseau TAO a bien un service spécifique de transport à la demande – le TPMR, transport de personnes à mobilité réduite, 22 000 voyages l’an passé – mais le service est saturé selon l’association », relevait France Bleu. Il aura pourtant fallu attendre cette année pour que les élus de la communauté urbaine d’Orléans Métropole décident de doubler la capacité de ce TPMR. Ils sont les seconds responsables de la situation faite à Nadia Boudiaf : « Le service TPMR est saturé aux heures de pointe, reconnaît Jérôme Mazuay, on est bien conscients du problème, on prépare le doublement des moyens en 2019. En 2017-2018, le TPMR a assuré 25.000 voyages, il est dimensionné en-deçà des agglomérations similaires, c’est un constat des associations. Dans le cadre de la nouvelle Délégation de Service Public, le TPMR va passer de 7 à 14 véhicules, le volume horaire de conduite sera doublé de même que le nombre de voyages. On comptera sur le bouche à oreille pour remplir. » Pas de campagne de communication, donc, et une mise en oeuvre au second semestre 2019, l’appel d’offres n’étant pas encore lancé. Nadia Boudiaf n’a pas fini de marcher…
Laurent Lejard, décembre 2018.