La mise en oeuvre du traité de Marrakech signé le 27 juin 2013 lors d’une conférence de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) aura pris son temps. La faute à l’Union Européenne qui a décidé qu’elle ratifierait supranationalement cette convention internationale (lire l’actualité du 11 mai 2017), dispensant chaque pays membre de le faire. Avantage : elle s’applique dans toute l’UE; inconvénient, quatre ans passés en « formalités ». En France, son application n’impose ni ne change rien, l’exception est effective depuis le 28 août 2009 après de longues années d’élaboration législative et réglementaire. Elle permet à des organismes agréés par l’Etat d’adapter en braille ou numérique accessible des livres et ouvrages multimédias sans autorisation préalable de l’éditeur et de l’auteur ni paiement de droits. Si les publics déficients visuels sont les principaux bénéficiaires, l’ensemble des personnes empêchées de lire des livres standards bénéficie de l’exception. Un décret vient de paraître, allégeant les formalités à remplir par les organismes souhaitant produire ou diffuser ces ouvrages adaptés (lire l’actualité du 22 décembre 2018).
« C’est une facilitation toute relative, nuance Alex Bernier, directeur de Braillenet qui adapte de tels livres. Les bibliothèques publiques voulaient diffuser des livres adaptés sans formalités, elles ont simplement été allégées. Ce n’est pas de nature à inciter les bibliothèques à s’inscrire. » Pour être agréés, les organismes n’auront plus à transmettre leur comptabilité et un rapport annuel d’activité au ministère de la Culture. Actuellement, 120 associations, bibliothèques et établissements culturels produisent ou diffusent des ouvrages adaptés, chiffre à mettre en regard des 16.000 bibliothèques. Selon Alex Bernier, le ministère de la Culture espère que 300 organismes se feront agréer : trois fois plus qu’aujourd’hui, certes, mais infime par rapport au réseau français de lecture publique. Et il explique que son association a travaillé dans l’illégalité pendant six mois en 2015, à cause de la longueur du processus de renouvellement et de signature de son agrément.
Nonobstant l’impact bureaucratique, l’application du traité de Marrakech devrait entrainer un accroissement de l’offre en ouvrages adaptés dès lors que des organismes agréés dans des pays différents échangeront leurs réalisations, ce qui n’est encore qu’embryonnaire. « Ce traité est une très bonne chose parce que les exceptions handicap étaient nationales, commente Alain Lequeux, l’un des spécialistes de ce dossier au Groupement des Intellectuels Aveugles ou Amblyopes (GIAA). Il permet d’exporter des ouvrages adaptés et d’échanger entre pays. La loi française avait anticipé certaines de ses dispositions, l’Union Européenne a élaboré sa directive, le décret la met en oeuvre. » La plateforme d’échanges Accessible Books Consortium (ABC) a été créée sous l’égide de l’OMPI pour les faciliter, issue d’un partenariat avec l’association internationale des éditeurs. Dans l’univers francophone avait été créée la BNFA début 2013, qui n’a pas depuis étoffé ses partenariats. Selon Alain Lequeux, des organismes français ont des relations avec des homologues en Belgique et au Québec, mais pas avec les pays d’Afrique francophone. Le vivier d’échange d’ouvrages adaptés réalisés dans ces pays reste à créer et animer.
Reste la question financière, toujours en suspens. « Le fait que ce soit une exception est très important pour les éditeurs et ayants-droit, reprend Alain Lequeux. Ils ont le sentiment de faire un geste, c’est un sujet social. » De son côté, le ministère de la Culture ne finance pas l’édition adaptée et laisse les organismes se débrouiller comme ils peuvent. « Il n’y a pas de volonté politique, complète Alex Bernier. Le ministère de la Culture estime avoir fait le travail en réglant les questions juridiques. » Et se désintéresse de la mise en oeuvre : si la plupart des ouvrages adaptés est diffusée gratuitement, quelques organismes font payer des frais. Or, selon Alex Bernier, un financement de l’édition adaptée est nécessaire pour produire et rattraper le retard. D’autant plus qu’en matière scolaire, le ministère de l’Education Nationale prend à sa charge le coût de réalisation et de la diffusion de leurs versions adaptées. Deux poids, deux mesures…
Laurent Lejard, janvier 2019.
[…] Fédération des aveugles de France travaille sans relâche pour la création d’un service public dédié aux lectures adaptées. Les universités seraient notamment touchées par cette action et pourraient ainsi apporter plus […]