« Les mains de Louis Braille« , tel est le titre du premier livre de la sculpteuse Hélène Jousse. Une biographie romancée des années d’enfance de l’inventeur du système de lecture et écriture qui a ouvert aux aveugles un accès universel à la connaissance. Hélène Jousse raconte l’accident qui a rendu Louis Braille aveugle dès trois ans, ses années d’enfance en famille à la campagne puis à Paris à l’Institution Royale des Jeunes Aveugles alors installée dans un ancien séminaire insalubre et malsain, les rencontres bonnes ou mauvaises qui ont construit sa personnalité, ses tâtonnements dans l’élaboration du système d’écriture par points qui portera son nom bien après sa mort prématurée, à 43 ans. Une biographie romancée sensible portée par une narratrice (dans laquelle l’autrice se livre également) chargée d’écrire un scénario de film qui va profondément remettre en cause sa philosophie et sa relation à l’autre. Hélène Jousse revient sur ce qui l’a conduite à écrire la première biographie de langue française consacrée à Louis Braille.
Question : Qu’est-ce qui vous a amené à écrire cette biographie romancée ?
Hélène Jousse : Ce qui m’a poussée à écrire ce livre, c’est Louis Braille lui-même ! Un personnage que j’ai vu d’abord comme un petit garçon, tout comme mon héroïne la narratrice. C’est l’enfant Louis Braille qui m’a bouleversée. J’ai découvert sa vie grâce à un livre pour enfant que m’a tendu mon fils alors petit à l’époque [« Louis Braille l’enfant de la nuit » NDLR]. Je n’avais pas acheté le livre, je ne sais pas comment il est entré à la maison mais j’ai eu l’impression que Louis Braille venait à ma rencontre. Quand j’ai refermé le livre, j’étais tellement émue et aussi mal à l’aise de l’avoir ignorée que je me suis dit « il faut que j’écrive sur Louis Braille, que je partage cette émotion ». En cherchant d’autres ouvrages, j’ai découvert qu’il n’y avait rien, pas de biographie ni en français ni en anglais. Je suis allée au Panthéon où repose Louis Braille depuis le centenaire de sa mort : dans la librairie on trouve des livres sur tous les grands hommes qui sont en-dessous… et rien sur Louis Braille !
Question : On ne trouve effectivement qu’un seul ouvrage, traduit de l’américain.
Hélène Jousse : A l’époque, quand j’ai commencé à écrire, le Mellor n’existait pas [« Louis Braille : le génie au bout des doigts », par Michaël Mellor, traduit de l’américain par Claire Mulkai, Éditions du Patrimoine en 2008, épuisé NDLR], c’est plutôt un ouvrage documentaire qu’une biographie. Il a réuni des documents assez confidentiels, des lettres de Louis Braille qui écrivait avec un guide-mains. Moi, je voulais faire un récit, qui n’est pas romancé parce que tous les événements sont vrais. On connaît les faits mais on sait peu de chose sur leur déroulement parce que Louis Braille est mort jeune et totalement inconnu. On dispose d’un petit récit de François-René Pignier, le directeur de l’Institution Royale des Jeunes Aveugles avec lequel Louis Braille avait lié amitié, ce qui était étonnant vu l’écart de générations. Mais c’était la personnalité tellement lumineuse de Louis Braille qu’il attirait les gens, avec une grande modestie, une grande humilité. Ce qui m’a attirée, c’est autant son génie que ses qualités humaines, tellement désintéressé, généreux, tourné vers les autres. Et à la fois un héros très contemporain, je crois, je tiens à parler de lui aux adolescents. C’est un adolescent qui a inventé le braille, et le premier codeur : je dis aux adolescents que Louis Braille aurait été aujourd’hui un génie de l’intelligence artificielle ! La cellule braille est d’une grande intelligence autant que d’une grande simplicité, et un code génial qui permet en six points que la pulpe du doigt peut reconnaître de façon synthétique de donner tout l’alphabet, la ponctuation, les chiffres, etc.
Question : C’est le procédé qui a donné la lecture et l’écriture aux aveugles.
Hélène Jousse : Par chance, la famille Braille lisait. Dans les campagnes au début du XIXe siècle, une famille sur trois seulement avait accès à la lecture, la plupart était analphabète. La mère de Louis Braille, une femme extraordinaire très inventive dans sa manière de l’aider, lui lisait des histoires. Sinon jamais il n’aurait eu conscience de ce à côté de quoi il passait. Quand il a compris le trésor que les livres représentent, la liberté de penser qui ne peut pas se développer sans la lecture et l’écriture, l’indépendance, il s’est dit très jeune « je ferai lire les aveugles, je n’accepte pas que les aveugles restent dans cet obscurantisme ». Il n’avait que 12 ans quand il a commencé à chercher, qu’il a compris ce qu’il pourrait faire du système de lecture dans le noir par des points qu’apportait le capitane Barbier.
Question : Sous la poussée du numérique, le braille est en recul et ne concerne plus selon les pays que 8 à 12% des personnes non-voyantes, même parmi celles qui sont nées ou devenues précocement aveugles…
Hélène Jousse : C’est aussi l’une des raisons qui m’a poussée à écrire ce livre. C’est tout à fait dommage, et aussi dommageable pour les gens qui ne font pas l’effort de devenir braillistes. Je ne vais pas m’arrêter à ce livre, j’ai d’autres projets qui visent à faire prendre conscience aux aveugles, tout particulièrement aux jeunes, de l’intérêt de lire. C’est la même chose que pour nous : quelqu’un qui ne lit pas peut accéder aux histoires d’une autre manière, regarder des séries, écouter des CD. Mais la lecture permet à l’imaginaire de se mettre en branle de toute autre manière, rien ne la remplace, ni pour nous, ni pour les aveugles. La publication de mon livre m’a permis de plonger dans cet univers, je suis très admirative des gens que je rencontre. Louis Braille m’a éclairée sur moi et mon enfance. Comme ma narratrice, Louis Braille m’a transformée. Ce livre est une porte vers des personnes passionnantes et avec lesquelles j’ai envie de faire des choses !
Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2019.
« Les mains de Louis Braille« , par Hélène Jousse, éditions JC Lattès, 19€ en librairies, 13,99€ en ebook.