Toucher son futur bébé, telle est la possibilité désormais offerte aux parents par l’évolution technologique. Si l’échographie en relief (ou 3D) existe depuis une vingtaine d’années, ce n’est que tout récemment qu’il est possible de restituer en volume ce qui n’était visible que sur un écran. L’instrument de cette innovation, c’est l’imprimante 3D, et ses créateurs deux médecins attentifs à leurs patients et leurs besoins. « L’échographie 3D est ancienne, je l’ai co-présentée en 1989 au congrès mondial de radiologie, précise Jean-Marc Levaillant, médecin spécialiste en échographie qui travaille dans le Val-de-Marne. Depuis, elle a été reprise par tous les constructeurs. On l’a adaptée en tactile avec le chirurgien Romain Nicot, parce qu’on avait l’habitude de fabriquer des volumes 3D pour la chirurgie du bec de lièvre ou l’asymétrie de la face. Les étudiants pouvaient tenir dans leurs mains ce qu’ils voyaient aussi sur écran. En rencontrant des futurs parents aveugles, j’ai trouvé stupide de continuer à décrire ce que je voyais sur l’échographie, avec la frustration de la femme ou de l’homme de ne pas voir et ressentir. Je me suis dit qu’on pouvait leur proposer une impression 3D. » Et il a commencé à les réaliser à 12 semaines puis 6 mois de grossesse : « On sollicite une émotion très importante chez nos patientes ‘moi aussi, je le vois !’ a lancé l’une d’elles. Elle voyait avec ses doigts les traits du foetus. »
Depuis son lancement il y un an, cinq couples ont bénéficié de cette échographie tactile. « Pour l’instant, poursuit le Docteur Levaillant, on limite la pratique au stade de la recherche, en collaboration avec l’hôpital privé Armand Brillard du groupe Ramsay Santé. On veut créer un réseau d’échographistes volontaires capables de fournir le fichier nécessaire à l’impression 3D. » Un procédé technique devenu relativement simple : les échographes 3D permettent d’enregistrer les images en relief sur un fichier informatique transférable sur une imprimante en relief, et l’évolution technologique a simplifié le post-processing qui nécessitait jusqu’en 2015 l’intervention d’un ingénieur. Toutefois, la phase d’impression dure encore plusieurs heures. Si le procédé est à la portée de tous, les deux praticiens espèrent qu’il ne deviendra pas un gadget à la mode et l’accompagnent d’une démarche éthique qu’expose Romain Nicot, chirurgien spécialisé dans la chirurgie maxillo-faciale à l’hôpital de Lille (Nord) : « On se disait avec Jean-Marc Levaillant qu’à 12 semaines de grossesse les mamans ne sentent pas forcément leur bébé bouger et que l’échographie leur montre l’enfant, ce que les aveugles ne peuvent pas voir. On a voulu réduire ce gap. On a travaillé avec l’association Sébastien Joachim Kick Blindness (SJKB) qui vise à améliorer la vie des personnes déficientes, avec sa psychologue, on a fait des tests, ça marche bien, les gens sont satisfaits. On a lancé avec Ramsay Santé, qui le finance, un projet de recherche pour évaluer la plus-value pour les parents déficients visuels, et pas du marketing. » Un réseau de praticiens est en cours de création, un protocole en phase d’étude chapeauté par un comité de protection des personnes : il s’agit d’apprécier le ressenti des patients constaté au moyen d’un bracelet connecté pour l’évaluer lors de la transmission orale puis le toucher de l’échographie tactile. Cette expérimentation n’engendre pas de surcoût pour les patients, le docteur Nicot estimant qu’une impression 3D coûterait 25€ environ.
Pour les deux docteurs, l’outil est réservé à certaines catégories de parents, déficients visuels ou dont l’enfant à naitre est atteint d’une malformation faciale ou cardiaque : « Ils auront entre les mains un objet qu’ils peuvent toucher pour mieux comprendre l’anatomie ou l’anomalie en cause, complète le docteur Nicot. C’est un peu du braille, un vecteur sensoriel pour lire une image en 3D avec son relief. » Pour sa partie, il veut utiliser l’échographie tactile pour faire de l’information prénatale sur les pathologies, les dépister, anticiper la prise en charge, informer la famille et pas forcément dans une perspective d’arrêt de la grossesse mais pour faire prendre conscience de la pathologie : « Il est parfois difficile de faire percevoir une malformation, les parents peuvent se faire des idées préconçues. Et ça peut être un outil pour le chirurgien, un modèle en 3D du coeur malformé par exemple, pour dialoguer avec les parents. Le tactile augmente la compréhension des choses, ce n’est pas un gadget. »
Une initiative saluée par l’association SJKB qui la popularise auprès du public concerné : « L’échographie tactile a été proposée par le docteur Levaillant à une amie qui m’en a parlé, commente son président, Sébastien Joachim. Pour elle, l’échographie était un moment de frustration parce qu’elle ne voyait qu’une tâche sur l’image, à cause de sa rétinite pigmentaire assez avancée. Avec l’échographie tactile, elle était super contente, très émue, parce que c’était une phase dans laquelle elle atteignait son statut de maman en rentrant en contact physique et sensoriel avec l’échographie 3D tactile. » Soutenir cette initiative entre parfaitement dans l’action de SJKB qui veut mettre un « coup de pied aux fesses » à la cécité : « Nous agissons pour donner de la visibilité à des projets importants tel que celui-ci. Il replace les personnes handicapées, déficientes visuelles, dans le protocole médical de suivi de santé de l’enfant et de la mère, et leur fait prendre une place normale dans la société. C’est une très belle invention, et elle montre l’exemple. Parfois, il suffit d’y penser et on trouve les moyens d’inclure les personnes handicapées visuelles. L’invention des docteurs Levaillant et Nicot est à la fois très simple et géniale. »
Laurent Lejard, janvier 2020.
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