Question : « Croire sans voir », c’est un récit autobiographique ?
Vincent Michel : C’est un récit qui raconte mon parcours de vie marqué par un élément central, la cécité. C’est le déroulé d’une vie d’aveugle en commençant par la petite enfance et en terminant par les engagements professionnels et les convictions profondes en matière politique, sociétale, de foi. C’est un désir personnel de faire le point sur ma vie, de récapituler mon vécu. Certains le font par une démarche analytique, d’autres écrivent, j’ai éprouvé le désir de coucher sur le papier les grands moments de ma vie, d’en chercher le fil conducteur, et de laisser à mes enfants et petits-enfants un témoignage de ce que j’ai vécu. C’est aussi une façon de réfléchir à la question du handicap et comment on le supporte, comment on le vit, on l’assume. Et ce que l’on a envie de mettre en place pour que le poids du handicap soit le moins lourd possible.
Question : La plus grande partie du livre est consacrée à l’enfance, la famille, le mas où vous viviez, la vigne, et le reste est composé de moments, d’expériences professionnelles, comme si l’adulte avait plus de difficultés à s’exprimer que l’enfant…
Vincent Michel : Je crois que ce qui a été important dans ma vie, si j’ai pu assumer le handicap visuel comme je l’ai fait, est très largement lié à l’environnement de la petite enfance. Notamment l’éveil sensoriel que m’a permis le monde rural, paysan, accompagné par les parents, les grands-parents, les frères, la soeur. Et au fait que j’ai vraiment pu découvrir le monde du bout des doigts et avec les autres sens, j’avais envisagé de titrer ce livre « Carrefour des quatre sens ». Les autres points mériteraient d’autres ouvrages plus approfondis que dans ce récit autobiographique. On ne peut pas résumer ses convictions, ses engagements politiques en 30 pages, elles méritent d’être étayées, argumentées. C’est pareil en matière de foi.
Question : Vous croyez en Dieu mais avec une certaine diversité d’expériences de la religion catholique, ses aspects de clarté et de noirceur. Comment vous vivez votre foi dans l’église d’aujourd’hui avec ses prélats ouverts et d’autres conservateurs voire réactionnaires ?
Vincent Michel : Je crois que l’Église du Christ est toujours à construire. Ce qu’il nous a laissé est toujours à faire advenir. Cette Église est celle des Frères de Saint-Gabriel, de cet aumônier pervers de l’Institut des jeunes aveugles de Marseille [IRSAM, établissement laïcisé depuis NDLR.]
Question : Un pédophile refoulé… ou pas ?
Vincent Michel : J’ai entendu des choses. Un pédophile refoulé, certainement. Un pédophile actif, c’est tout à fait possible. Dans cet établissement il y a avait aussi un de mes frères, dix ans plus âgé, ma famille était honorablement connue, et je pense que ce prêtre s’est tenu à carreaux avec moi. Mais c’était un sale bonhomme, voilà ! L’Église comme l’humanité est faite d’ombre et de lumière. L’église du Pape François me plait plus que celles des Frères de Saint-Gabriel. Dans mon livre j’ai cité des religieuses, des prêtres que je connais et que je côtoie toujours. J’ai parlé de chrétiens authentiques qui ont été pour moi des sources de foi et qui font que ces rencontres de femmes et d’hommes, de clercs et de laïcs, je dis aujourd’hui faire partie des croyants, je suis profondément attaché au message évangélique. Et je crois que dans la période que nous vivons, très matérialiste, une parole qui s’adresse d’abord à l’homme, qui ne propose pas des systèmes mais des manières d’être avec l’autre, avec notre prochain, avec celui que nous allons croiser dans la rue, c’est une parole qui a tout son sens, toute sa pertinence et qui est une parole de résurrection.
Question : L’ombre et la lumière, vous les avez également rencontrées dans votre engagement politique au Parti Socialiste, avec de belles personnes mais aussi la trahison des idéaux…
Vincent Michel : C’est pour cela que si j’écris que je suis socialiste contre vents et marées, je ne suis plus encarté au Parti Socialiste. Peut-être le serais-je à nouveau demain, mais effectivement le socialisme de Manuel Valls n’est pas celui de Jean Jaurès, de Pierre Mendès-France, de Michel Rocard, même si Valls se réclamait de lui; mais beaucoup de gens se réclament de Rocard sans l’avoir lu, et surtout compris sa pratique politique.
Question : Michel Rocard s’est pourtant laissé séduire par Nicolas Sarkozy.
Vincent Michel : Séduire ? Je ne sais pas s’il s’est laissé séduire. Rocard n’a jamais approuvé Sarkozy, quand même.
Question : Mais il a travaillé pour lui.
Vincent Michel : Rocard a travaillé pour la République. Il a d’abord été un haut-fonctionnaire, inspecteur des finances, et si la République par le biais de celui qu’elle a choisi comme Président lui confie une mission et si dans cette mission il peut être utile, alors il s’est rendu utile à la France. Sur le plan des idées, Rocard n’a jamais adhéré au sarkozysme. Mais pour revenir à votre question, oui j’ai été déçu par la présidence de François Hollande. Je fais une différence entre Hollande et Valls mais Hollande, par son incapacité à trancher, à diriger, à prendre des positions fortes, est certainement de ceux qui ont fait le plus de mal à l’idée socialiste. Qui est et reste une idée généreuse, centrée autour de la promotion et de la responsabilisation de l’Homme. C’est tout à fait exact, au Parti Socialiste j’ai vu le pire et le meilleur.
Question : Actuellement, les associations sont progressivement mises à l’écart de la politique du handicap pour lequel elles sont le sous-traitant de l’action de l’Etat et on constate que l’action en faveur des personnes handicapées n’est plus co-élaborée. Comment vivez-vous cette mise à l’écart au profit de personnalités et d’experts ?
Vincent Michel : Oui, les vrais gens ! Je le vis mal. C’est bien le signe qu’avant le coranavirus on était plongé dans une société technocratique où la vérité révélée vient d’en haut, qu’au fond on est là pour dire : « que vous avez raison, que ce que vous avez décidé est bien, et nous disons nous qui sommes les vrais gens que vous avez raison », et que roulez jeunesse circulez il n’y a plus rien à voir ! C’est un glissement qui a débuté pendant la présidence Sarkozy, bien qu’il y ait eu à ses côtés des gens attentifs. On a beaucoup moqué Roselyne Bachelot mais il y avait encore un personnel politique à l’écoute du monde associatif et des uns et des autres. Cela s’est poursuivi sous le mandat d’Hollande, MarisolTouraine n’était pas une grande dame de la concertation. Et maintenant avec Emmanuel Macron, avec Jupiter, on franchit un pas supplémentaire et on est monté sur les hauteurs de l’Olympe d’où la lumière jaillit… Peut-être qu’avec ce qui vient de se produire [l’épidémie de coronavirus et le confinement NDLR], on remettra les choses à plat. Quand on voit comment on a pu travailler sur les deux grandes lois du handicap de 1975 et de 2005, elles avaient été, si ce n’est co-construites, en tous cas largement débattues. Les voix associatives avaient pu être entendues. Quand on était reçus à l’Elysée sous Chirac, on était parfaitement bien reçus et entendus. Parce que cet homme avait la conviction qu’il y avait dans la sagesse populaire quelque chose à capter et prendre en considération. C’était une autre approche de l’humain, que l’on a perdu aujourd’hui.
Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2020.
Croire sans voir, par Vincent Michel, Éditions du Cerf, 18€ en librairies. Version braille intégral ou abrégé réalisée par leCTEB, 45€ pour les particuliers, 85€ pour les bibliothèques et professionnels.