Ce devait être un geste architectural du starchitecte Rudy Ricciotti mais en fait c’est un raté : la toute nouvelle Maison départementale du Gard qui abrite ses services sociaux depuis 14 mois, dont la Maison Départementale des Personnes Handicapées, n’assure pas aux agents de bonnes conditions de travail. La faute à une conception en open space qui les contraint à recevoir les administrés au milieu des autres, sans bureau ou salle permettant de s’isoler pour évoquer des situations personnelles parfois très sensibles. On y traite l’aide aux personnes âgées et à l’autonomie, l’animation et le développement social des territoires, l’enfance et la petite enfance, l’éducation jeunesse, etc. En tout, 500 agents du conseil départemental ont rejoint cette Maison à façade sérigraphiée de piles de jeans. Mais derrière le concept « jeans denim Nîmes », un immeuble qui n’est pas accessible de plain-pied parce que construit en entresol au-dessus d’un parking partiellement enterré et desservi par un élévateur fauteuil roulant extérieur dont on connaît trop bien les risques récurrents de panne.
Pour le pharmacien départemental Mahdjoub Amri, qui est malvoyant et se déplace avec grandes difficultés, le constat est pire encore : il ne peut parvenir sans être aidé à entrer dans le bâtiment, arriver à son bureau et même se rendre aux toilettes. De plus, le stock de médicaments qu’il doit gérer est entreposé dans un bureau dans lequel travaillent d’autres employés, sans porte verrouillée, avec le réfrigérateur à vaccins dans la pièce. « On est dans l’illégalité, déplore-t-il. L’Agence Régionale de Santé demande que les vaccins et les médicaments soient entreposés dans des locaux fermant à clé. » Le pharmacien départemental a en effet la charge d’acquérir, gérer et répartir les produits de santé aux centres de planification et d’éducation familiale (CPEF) et de protection maternelle et infantile (PMI). Il organise également prévention et contraception dans les CPEF. Des tâches que remplit parfaitement Mahdjoub Amri depuis 10 ans, dont 9 sans souci d’accessibilité, jusqu’à son transfert en janvier 2020 dans la nouvelle Maison départementale : « En octobre 2019, je devais déjà rejoindre le nouveau bâtiment. J’ai eu un choc, rien n’était adapté à mon handicap. Le 26 janvier 2020, j’ai exercé un premier droit de retrait en invoquant l’inadaptation au handicap et le défaut de respect des exigences de l’ARS : le bureau ne ferme pas à clé, le réfrigérateur des vaccins est installé dans un bureau ou travaillent d’autres employés. » De plus, il estimait que les locaux étaient dangereux pour lui : « Je suis transporté par le service adapté Handigo de la ville de Nîmes, il me dépose au sous-sol. Je dois être aidé par le conducteur ou mon assistant pour ouvrir la porte, puis on badge et on pousse la porte, et il y a une marche. Ensuite un sas et un ascenseur, et après je sais toucher les boutons, j’appuie sur le 1er, je sors puis je suis obligé de me coller contre l’ascenseur pour attraper une rampe, je suis tombé une fois. Et il faut que je rebadge à gauche alors que la porte est à droite, on y arrive pas avec un handicap ! Dès que je pousse cette porte, j’essaie d’entrer sans tomber, puis je prends une rampe qui est à 90 cm du sol, je la longe jusqu’à une porte coupe-feu à pousser, et à droite il y a mon bureau. En janvier 2020, lors de mon premier droit de retrait, l’ergonome du département a mesuré le temps passé de mon bureau à la réserve : 45 minutes, comme pour rejoindre les toilettes. »
Dans son combat, il a été épaulé par le syndicat CGT du Conseil Départemental. « On l’accompagne depuis un an dans cette situation ubuesque, avec les élus du Comité d’hygiène, de sécurité et conditions de travail, précise Claire Morvant, élue du CHSCT et représentante du personnel. Le nouveau bâtiment n’est pas accessible, Mahdjoub Amri se bagarre pour obtenir un poste de travail. Les portes sont très lourdes, il rencontre des problèmes d’accessibilité entre le taxi PMR et son bureau avec un parcours complexe, sa situation n’a pas été anticipée. Une seconde solution avait été actée le 15 décembre dernier, au CPEF Diderot ou l’accessibilité est bonne. Mais la directrice est partie, l’administration a finalement dit non, un revirement de situation sur une solution écrite. » Ni Mahdjoub Amri ni la CGT n’ont accepté qu’il bascule en télétravail intégral : « Ce n’est pas sa demande et cela ne permet pas de travailler en équipe. Et Mahdjoub Amri souhaite être sur son lieu de travail. C’est un emploi stratégique dans cette période. » S’il n’est pas amené à travailler sur les vaccins contre le coronavirus Covid-19, le contexte de crise sanitaire mobilise le pharmacien départemental.
Finalement, en mobilisant la presse locale, une solution positive vient d’être décidée. « J’ai vu la présidente du Conseil Départemental ce vendredi matin [26 février], apprécie Mahdjoub Amri. Françoise Laurent-Perrigot est très humaine et à l’écoute. Elle n’accepte pas qu’un agent puisse souffrir au travail. Elle a compris mon envie de reprendre le travail, et m’a dit que des locaux me sont affectés dans l’ancien collège Diderot [transformé en CPEF]. » C’est l’affaire de quelques semaines, le temps de procéder à quelques travaux et aménagements nécessaires. « Je suis très content, conclut Mahdjoub Amri. Mais il a fallu plus d’un an et la mobilisation syndicale pour y arriver. »
Laurent Lejard, mars 2021.