« Ça faisait longtemps que je voulais faire ce métier de guide-conférencière, explique Alyss Damour. Avant d’entamer des études supérieures, c’est la rencontre d’un guide parisien handicapé moteur, Frédéric, qui m’a motivée à m’engager dans cette voie. J’aime bien rencontrer les autres et partager mes connaissances. Frédéric m’a beaucoup apporté, il m’a fait partager sa passion. » Alyss s’est alors engagée dans des études d’histoire de l’art, jusqu’au mastère, puis obtenu sa licence professionnelle pour obtenir la carte de guide-conférencier.
Son premier emploi
La voici, à 26 ans, en poste au Réservoir, espace de découverte du canal du Midi à Saint-Ferréol, près de Revel (Haute-Garonne). Elle encadre un groupe, canne blanche à la main et masque inclusif sur le visage, sans que cela suscite de réactions particulières, d’autant qu’elle donne quelques conseils aux visiteurs pour aider à bien communiquer avec elle; sa vision résiduelle lui permet de repérer la lumière et quelques points qu’elle a mémorisés. Et la voilà qui présente le territoire du canal, sa création sous Louis XIV et les objectifs économiques recherchés. Elle se dirige dans le musée avec sa canne, s’installe devant une table restituant le relief et sur laquelle est projeté le bassin hydrologique du canal, des rigoles d’alimentation et les cours d’eau qui les alimentent. Bien que cette présentation soit visuelle, Alyss pointe du doigt les différents éléments pour expliquer le fonctionnement d’un système d’alimentation en eau bien plus complexe qu’on l’imaginait. Et elle présente le barrage de Saint-Ferréol, le plus ancien de France, élément clé de l’ingénierie hydraulique créée par Pierre-Paul Riquet et achevé en 1672. Elle évoque l’évolution de l’impact du canal du Midi, dont l’eau sert à 60% à l’irrigation agricole et 40% à la navigation. Puis explique la structure du barrage-remblai du lac de Saint-Ferréol, la construction du canal et la condition ouvrière des hommes, femmes et enfants, le trafic postal et le transport de passagers comme de marchandises, la faune et la flore, et répond sans faille aux questions des visiteurs. Professionnelle et efficace.
« On me pose très rarement de question sur ma déficience visuelle, reprend-elle. Chez les adultes, il y a une forme de pudeur sociale, ce sont essentiellement des enfants qui s’interrogent, des questions comme « c’est la canne qui voit pour toi ? », ils ont moins de limites. » Avant l’obtention de son diplôme en septembre 2020, elle avait effectué son stage professionnel en juin au Réservoir : « Cela n’a pas posé de problème, parce que mon stage portait sur un projet handicap, perçu comme un plus pour le musée. » Depuis son embauche diplôme en poche, elle assure les visites à l’espace découverte, et également en extérieur à la galerie des robinets et autour du bassin, et estime à plus d’un millier le nombre de visiteurs qu’elle a accueillis.
Vivre à Revel
Elle n’est pourtant pas de la région : « Je suis originaire de la Côte d’Azur, mes parents se sont installés dans le Gaillacois en 2001. J’ai été suivie par l’ASEI [importante association gestionnaire de la région toulousaine], j’ai travaillé en Écosse comme assistante de français en collège-lycée. » Une expérience qui lui a fait percevoir une nette différence : « En France, des visiteurs me donnent un pourboire pour mon courage, il n’y a pas de ça en Écosse; le handicap n’y est pas perçu de la même manière. En France, on me définit aveugle alors que je suis malvoyante, avec un aspect pitié et commisération. » Elle a fait le choix de s’installer avec son compagnon dans le centre de Revel, à trois kilomètres de son lieu de travail, une charmante bastide au patrimoine préservé : « Je m’arrange avec mes collègues pour venir. Vivre à Revel était la condition pour que je travaille au Réservoir. J’ai fait le choix de ma vie personnelle. »
Elle participe à la vie locale, bénévole au remarquable musée du bois et de la marqueterie (MUB) qui constitue une vitrine pour le lycée ébénisterie, l’un des plus réputés de France : « Je les accompagne sur les langues étrangères, l’anglais, l’espagnol et l’acquisition du label Tourisme et Handicap. La médiatrice est en train d’élaborer un atelier pluriel tactile sur le poids des essences de bois, leur fil, les odeurs, etc. Il devrait être opérationnel pour 2022 ou 2023. C’est long parce qu’il y a du matériel à acquérir et que le musée a peu de moyens. » Cet été, les élèves de CAP ont présenté leurs réalisations sur le thème des jeux olympiques et du Japon : battes de base-ball, bentos, carpes koï, de remarquables réalisations.
Au fil du temps, Alyss a évolué dans son projet professionnel : « Quand j’ai commencé mes études, je ne voulais surtout pas travailler dans le handicap, ne pas y être réduite. En Écosse, j’ai enseigné en zone d’éducation prioritaire. En France, j’ai accompagné un étudiant autiste. J’ai compris qu’il est important d’apporter mon expérience, mes connaissances, tout en travaillant en milieu ouvert. » C’est ce qu’elle réalise au quotidien, en mettant à profit un socle commun et des aspects spécifiques pour satisfaire les visiteurs : « La guide était malvoyante et ça ne change rien à la visite, c’est important de le montrer, et que le handicap n’est pas un obstacle. Mes parents ont toujours refusé qu’on m’oriente vers le milieu spécialisé, qui était proposé au moindre incident dans ma scolarité. Il m’a fallu un long cheminement pour accepter la canne blanche, m’afficher, faire cette médiation vers l’autre. »
Laurent Lejard, septembre 2021.