Parmi quelques 1.500 spectacles avignonnais, Lilia Benchabane a fait entendre sa particularité à quelques centaines de personnes : dans Attention handicapée méchante, elle évoque son quotidien, les mésaventures et avantages de sa déficience visuelle, et rejoint les préoccupations et les joies de spectateurs dont la vie est parsemée de péripéties similaires. Elle revient sur une expérience formatrice qui l’incite à se consacrer au seule en scène.
Question : Comment s’est passé votre stand up avignonnais ?
Lilia Benchabane : Il s’est plutôt bien passé. J’ai été très surprise de découvrir le public du festival d’Avignon. J’ai joué six dates exactement, c’était archi complet ! J’ai appris plein de choses à chaque montée sur scène, c’était six spectacles différents.
Question : Quels enseignements en tirez-vous ?
Lilia Benchabane : L’idée que chaque public est totalement différent à chaque fois qu’on monte sur scène. J’ai joué la première de mon spectacle au mois de mai, je suis allée directement à Avignon après, je ne savais pas tout ça. Parce que je n’avais pas l’expérience de mes collègues, par exemple, de jouer plusieurs fois leur spectacle. J’aime bien aller au contact des gens, chercher ceux qui au départ n’arrivent pas à entrer dans le truc, c’est ce que j’ai appris. Et à chaque fois j’essayais de modifier mon texte, la veille pour le lendemain. C’était trop bien parce que des gens étaient réceptifs, parfois pas, je n’avais pas de problème à me dire « cette blague est nulle, on la refera jamais ! » Le public d’Avignon m’a vraiment aidé à construire mon spectacle. Du coup je suis contente, pour la rentrée j’ai un spectacle un peu plus frais et je suis prête !
Question : Pourtant vous vous êtes produite à plusieurs reprises dans votre région des Hauts-de-France…
Lilia Benchabane : Je me suis toujours produite mais je n’avais joué mon spectacle que deux fois, à Lille et à Paris.
Question : Quelle différence faites-vous entre vos prestations précédentes et ce spectacle ?
Lilia Benchabane : Le thème, c’est moi : désolée ! [rires] Je raconte un peu ma vie, je parle de ma particularité, j’ai un handicap visuel. J’évoque les difficultés de ma vie quotidienne, pour arriver là où j’en suis aujourd’hui. Je pense que les gens se reconnaissent, ce n’est pas un spectacle qui parle de mon handicap pendant une heure. Je raconte ma vie et je parle de ma vision du monde, qui ressemble à aucune autre je pense. Au final, même si j’ai une particularité, on a tous des challenges dans la vie, on essaie tous d’avancer du mieux qu’on peut, on a tous des épreuves et c’est trop cool de se retrouver tous ensemble. Le spectacle permet d’installer le personnage, je prends le temps de discuter avec les gens, je m’assure que tout le monde soit à l’aise et on passe une heure ensemble.
Question : Dans votre histoire personnelle, qu’est-ce qui vous a conduit à vous donner en spectacle ?
Lilia Benchabane : En fait, j’ai mis très longtemps à accepter ma différence. Pendant des années c’était juste un déni, je refusais qu’on en parle, je refusais de répondre aux questions des gens. En arrivant au lycée, en gagnant en maturité, je me suis rendue compte que l’auto-dérision me rendait cool aux yeux de mes camarades de classe. C’est comme cela que j’ai écrit ma première blague, j’ai testé les premières sur mes camarades sans qu’ils le sachent, et c’est comme ça que je me suis retrouvée sur scène quelques mois plus tard. Ça a marché, je me suis dit qu’il y avait un petit truc, et au fur et à mesure grâce aux rencontres d’humoristes professionnels et leurs encouragements, je suis arrivée à ce spectacle.
Question : Au quotidien, quelles sont les conséquences de votre déficience visuelle, pour trouver votre chemin, ne pas dire Madame à un homme ?
Lilia Benchabane : Ça m’arrive de dire « bonjour Monsieur » à une dame, ou de discuter avec un monsieur dans le public alors que c’est une dame, c’est marrant pendant le spectacle ! Etre malvoyant n’est pas simple au quotidien, il y a des choses que je ne peux pas faire seule. Cela m’empêche de passer le permis de conduire et d’avoir une certaine indépendance mais je me débrouille pas mal avec les outils technologiques actuels. Je prends mon téléphone et je zoome avec la caméra pour voir au loin, on pouvait pas le faire il y a 15-20 ans. Parfois je confonds des gens mais je suis très à l’aise avec le fait d’être malvoyante et ce qui est génial c’est qu’avec ma communauté sur les réseaux sociaux qui s’agrandit, les gens le savent. Et il m’arrive d’aller dans un magasin et qu’on me propose de l’aide parce qu’on me connaît des réseaux sociaux.
Question : En dehors du spectacle, quelles sont vos activités, votre quotidien ?
Lilia Benchabane : Mon quotidien devient depuis cette année l’humour uniquement. Je passe mes journées à faire des chroniques, tourner des vidéos, je travaille sur le spectacle. J’ai été étudiante et terminé cette année un mastère en économie avec un mémoire de recherche économie et développement durable que je soutiens ce mois de septembre.
Question : L’économie et le développement durable ne sont pas spécialement marrants…
Lilia Benchabane : Ça n’a rien à voir avec l’humour, c’est ce qui est bien. J’aime bien l’économie, j’ai des passions à côté. Mais je veux faire de l’humour mon métier, c’est pour cela que je décide de ne pas me lancer à 100% dans la recherche, un doctorat ou un emploi en entreprise, parce que je veux me mettre à fond dans mon spectacle.
Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2022.
Retrouvez Lilia Benchabane à partir du 17 septembre et jusqu’au 17 décembre 2022 la plupart des samedis à 20 heures à La petite loge (2 Rue la Bruyère, 9e). Vous pouvez suivre son actualité sur Facebook et ses nouvelles vidéos via Instagram.