L’hiver 2002, un groupe d’une dizaine de personnes handicapées motrices et polyhandicapées dépendantes ont fait irruption sur le devant de l’actualité, bousculant les habitudes du dialogue feutré entre l’Etat et les associations. Face à la volonté de Marcel Nuss, simple citoyen, d’entamer une grève de la faim pour protester contre la quasi absence de financement des personnels d’aide à domicile, le Secrétariat d’Etat aux personnes handicapées avait concédé le lancement d’un programme expérimental devant intégrer une centaine de personnes à la fin de l’année 2002 (lire ce Top de mars 2002).
Retard au démarrage. Plus de six mois après, le plan d’urgence se met enfin en place. Les élections qui se sont succédées durant le printemps, puis les vacances d’été, ont généré flous et retards. La Secrétaire d’Etat aux personnes handicapées issue des élections de juin 2002 poursuit toutefois l’action engagée par son prédécesseur, Ségolène Royal. Marie- Thérèse Boisseau a réaffirmé la « mise en place d’un dispositif de soutien à domicile des personnes handicapées et plus particulièrement des personnes très lourdement handicapées » dans un communiqué daté du 16 octobre 2002, sans toutefois donner de chiffres quant au nombre de personnes concernées. Madame Boisseau annonce également que 200 places en SSIAD (Service de soins infirmiers à domicile) sont prévues « à titre dérogatoire » : encore faut- il qu’elles soient disponibles sur le terrain.
C’est l’expérience qu’a faite Monique Marestin. Ségolène Royal lui avait écrit dès mars dernier pour lui proposer une place dans le SSIAD de son département (Pyrénées- Atlantiques). En fait, toutes les places étaient affectées et Monique Marestin est restée sans solution. Actuellement, elle a trois trimestres de retard de paiement des charges sociales (Urssaf) pour son personnel d’aide à domicile. Son état de santé s’est dégradé, elle est malade depuis plusieurs mois, désabusée : « je ne sais plus quoi répondre aux personnes qui m’appellent. Dans les Pyrénées Atlantiques, j’estime à une cinquantaine les personnes dépendantes pour leur autonomie vitale et à 200 celles qui sont dans une situation difficile »
Marcel Nuss, quant à lui, a dû multiplier les courriers, fax et appels téléphoniques pour trouver des interlocuteurs à Paris comme dans sa région, faire accorder leurs déclarations, leurs procédures. Sa situation est presque normalisée : les conditions d’emploi et de financement de son personnel d’aide à domicile sont conformes à la réglementation, le dispositif est en place. Il manque encore une partie du financement, 8.000 euros, que l’Etat (en l’occurrence la Direction Générale de l’Action Sociale auprès du Ministère de la Santé et des Personnes Handicapées) refuse de prendre en charge, renvoyant le demandeur dans les bras du Département du Bas- Rhin. Là- bas, le président du Conseil Général a opposé un refus net, « par principe » affirme Marcel Nuss qui ajoute que quelques départements ont accepté de s’engager sur la voie du cofinancement. Se dirige- t-on vers une nouvelle inégalité ? Dans une enquête parue en octobre 2001, le mensuel Faire Face (APF) mettait en évidence les disparités de traitement des personnes handicapées d’un département à l’autre.
Collectif et Coordination. Les acteurs du mouvement du 11 mars se sont, depuis, organisés. Ils bénéficient du soutien de grandes structures : Association des Paralysés de France (présente dès le début) et Handicap International. L’Association Française contre les Myopathies s’en est écarté « temporairement » estime Marcel Nuss. Cheville ouvrière du mouvement, il constitue une coordination dénommée Handicap et Autonomie. Elle ne sera pas une association de plus mais un regroupement d’organisations, de professionnels, de sociologues (les premiers adhérents sont les sociologues Henri- Jacques Sticker et Nicole Diederich) et de personnes handicapées directement concernées. La coordination, dont l’objectif essentiel est « de remettre des propositions de dispositifs et d’actions concrètes aux pouvoirs publics en matière de compensation du handicap, notamment en aides humaines », sera officiellement constituée le 7 novembre prochain, lors d’une réunion à Paris suivie d’une conférence de presse. Ses autres membres sont Handi’cap Citoyen (Calvados), le Groupement Français des Personnes Handicapées (GFPH), l’Association des Locked- in- Syndrom, le Collectif de Recherches « situations de Handicap, Education, Sociétés », l’Union nationale des associations des parents et amis des personnes handicapées (Unapei), le Groupement d’Intégration des Handicapés Physiques (GIHP). Côté personnes, on trouve Mireille Stickel, Jean- Pierre Ringler, Jean- Marc Brien, Marie- Christine Agon, Yves Lacroix, Carine Cadet, Eve Gardien, Thierry Beauvais et Martine Lattron.
Mireille Stickel sera probablement « l’activiste » de la coordination et elle crée actuellement une association pour cela, le Collectif pour l’Autonomie Sociale. Il n’accueillera que les personnes handicapées en situation de dépendance vitale et ceux qui partagent leur vie. « Les deux mouvements sont complémentaires » précise Marcel Nuss. « Le Collectif regroupe les personnes qui ne se retrouvent plus dans les associations nationales. Il existe également parce qu’il est composé de personnes déterminées ». C’est lui qui organisera le cas échéant des actions directes et dures. Du genre de l’appel à l’euthanasie, comme l’a récemment fait l’alsacienne Sonia Rupp: la publicité médiatique donnée à sa situation de grande dépendance et d’absence d’aide humaine a fait évoluer sa condition à très grande vitesse. Municipalité et citoyens prennent des initiatives en sa faveur.
Quant au très médiatique Philippe Streiff, qui avait menacé de rendre sa Légion d’Honneur en février dernier, sa situation a nettement évolué. Sur un plan personnel, il bénéficie du volume financier de 28.800 euros pour payer ses aides à domicile, conformément à l’accord du 11 mars. Mais Philippe Streiff, qui fut l’acteur le plus « visible » du mouvement, se retrouve propulsé en pole position de l’action en faveur des personnes en situation de dépendance vitale: nommé conseiller du Délégué interministériel aux personnes handicapées, sa marge de manoeuvre est étroite entre une bonne volonté affirmée et les restrictions des budgets sociaux. Les 5.000 personnes en situation de dépendance vitale et les 537.000 qui ont besoin d’une aide dans les actes essentiels de la vie observeront sans doute son action à la loupe…
Laurent Lejard, octobre 2002.