« Les gens ont été très contents de trouver un site qui traite de leur sexualité. Sur le web francophone, on ne trouve pas grand chose pour s’informer, surtout de la part des personnes elles- mêmes. Sur cette question, on peut être très sérieux mais aussi s’amuser, dédramatiser ». Nade a ouvert le site C5C6CSex en souvenir d’un jeune homme touché par une Ataxie de Friedrich dont la détresse et les souffrances l’ont émue. « L’isolement, ne pas pouvoir nouer de relations, ne pas pouvoir faire l’amour, être amoureux, avoir une petite amie parce que l’on est figé dans un fauteuil roulant par une maladie qui bloque les cordes vocales, tout ça c’est tellement injuste ».
Alors que les anglo-saxons se « déboutonnent », quelques personnes handicapées motrices ayant même ouvert des sites Internet à caractère pornographique, en France la liberté sexuelle reste à conquérir : « nous sommes toujours sous le joug de la morale judéo- chrétienne. C’est là que ça coince. Le dévotisme [attirance sexuelle des valides pour des personnes handicapées NDLR] demeure hyper tabou alors qu’il est connu des anglo- saxons. Parler de l’aide sexuelle suscite chez nous des réactions outragées, en l’assimilant à de la prostitution ».
« Les lecteurs de C5C6CSex semblent surtout être des valides : ils ont posté 70% des messages du livre d’or. Il y a d’ailleurs une grande hypocrisie des gens quand ils affirment être tombés sur le site par hasard : pour y arriver il faut chercher ! C’est souvent le cas pour les hommes, qui n’expriment pas clairement leur fantasme de faire l’amour avec une femme handicapée. Ceux qui se risquent à le dire publiquement se font tomber dessus, même sur Paraquad« . Si cette liste de diffusion, spécialisée sur le thème de l’attirance sexuelle des valides pour les handicapés, connaît une forte activité (près de 1.800 membres et plus de cent messages par mois, principalement de « voyeurs »), le seul groupe dédié à la discussion entre personnes handicapées, Sexe-handicap, ne fonctionne pas : créé par un canadien, sa petite centaine de membres n’échange guère…
Nade poursuit: « Les personnes handicapées sont considérées comme incomplètes ou à moitié mortes. Il faut relever la tête, être fier de ce que l’on est, donner une bonne image de soi, prendre sa vie en mains ». Il y a très peu de séducteurs parmi les handicapés moteurs, souvent culpabilisés par leurs fantasmes: « Souvent, les parents mettent des bâtons dans les roues parce qu’ils n’ont pas les moyens ou le soutien nécessaire pour affronter la sexualité de leur enfant handicapé. Ils préfèrent l’ignorer. C’est un manque d’imagination de leur part ». La peur de la procréation, d’un risque de transmission du handicap lors de la naissance d’un bébé, sont également une explication de la peur d’affronter les besoins sexuels d’adolescents dont l’origine du handicap est génétique.
Nade n’est pas une sexologue diplômée mais cela ne l’empêche de proposer des conseils pratiques et techniques pour faire l’amour : « Cela correspond à un besoin. Pour rétablir une vérité, et surtout pour dédramatiser. Faire l’amour n’est pas réservé qu’aux personnes bien portantes ». Les informations qu’elle met en ligne sont puisées à l’aune de son expérience, de ses lectures, des contributions de quelques lecteurs. Sans bénéficier de l’aide ou de la critique des quelques sexologues spécialisés, dont l’une, dûment contactée, ne l’a jamais rappelée. La vie sexuelle des personnes handicapées serait- elle affaire de spécialistes ? Nade assure que non, et elle a bien raison !
Laurent Lejard, avril 2003.