Guy Kinziger a manifestement la bougeotte et des idées plein la tête. Vous aurez probablement aperçu ce prof de physique- chimie, lors de la retransmission télévisée de la montée des marches lors du Festival du Cinéma de Cannes : le photographe en fauteuil roulant, au pied de l’escalier, c’est lui. Un paraplégique en smoking montré du doigt : c’est sa démarche artistique. Depuis quatre ans, Guy Kinziger fait poser devant son appareil les stars du cinéma le bras tendu, le doigt posé sur l’objectif. Le résultat est surprenant, qui donne une image différente de ces vedettes mitraillées des milliers de fois chaque jour. Des actrices et des acteurs habitués à être saisis à hauteur d’oeil doivent s’incliner légèrement, se mettre à la portée d’un « assis » qui capte ce moment incongru, décalé, ce « regard particulier » comme le lui a dit un jour Emmanuelle Béart.
La photographie a longtemps été une activité parallèle pour ce touche- à- tout. Cela fait plus de vingt ans que Guy Kinziger, originaire de Nice, est paraplégique depuis un accident de la circulation. De son aventurier de père, il a hérité un éclectisme qui lui permet d’être mécano, opticien, professeur de physique, photographe, retoucheur d’images, chasseur d’éclipses (il a traqué, en Autriche, celle de 1999) et surtout grand voyageur (quatre tours du monde!). Il a notamment traversé la Chine, en 1992, « en utilisant tous les moyens de transport, usant six trains de pneumatiques sur le fauteuil, j’ai vu un pays qui n’existe plus comme ça » dit- il de cet Empire du Milieu qui se livre au capitalisme sauvage après un socialisme autoritaire. Les 3.500 clichés qu’il a réalisé ne sont pas encore tous répertoriés et classés, Guy a enchaîné très vite sur autre chose.
« Officiellement, je suis enseignant sous contrat: personne ne voulait aller à Seyne- les- Alpes! Moi j’habite tout près de cette petite ville des Alpes de Haute- Provence ». L’année de son accident, il était le plus jeune moniteur de ski de France, âgé alors de 16 ans. Un sport qu’il poursuit en ski assis, sur Uniski et skwal en dehors du circuit officiel. Guy Kinziger a un goût marqué pour les sports individuels et « fun », la glisse, la plongée, l’apnée, le planeur…
« L’intégration, c’est se fusionner au monde normal » estime- t-il. C’est ce qu’il a réussi en s’imposant parmi la meute des photographes qui couvrent le Festival de Cannes. « La première fois que j’y suis allé, en 1998, je me suis débrouillé pour assister à une projection de gala. Lors de la sortie des vedettes, je me suis retrouvé sur mon fauteuil, coincé dans le passage, Kim Basinger est passée à quelques centimètres de moi, j’ai fait la photo. Ce jour- là, j’ai compris le truc; quelques jours plus tard, le chef du service photo du Festival m’a proposé une accréditation, depuis je travaille avec le même statut que mes collègues ». Au fil des années, Guy Kinziger a acquis une technique sure, teste chaque année des nouveaux matériels prêtés par les grands fabricants d’appareils photos, il a gagné sa place au pied des marches, parmi un cénacle de photographes qui travaillent pour les plus grandes agences. Guy, lui, peaufine sa série du « doigt pointé », mise au point après bien des tâtonnements.
« Une photo se prépare avec l’attaché de presse de la star, il faut l’appeler pour qu’elle se rappelle de moi, savoir la placer, régler la lumière, recommencer, ajuster la position si nécessaire, tout cela en quelques secondes pour réaliser sur le vif une prise de vue de qualité studio ». Avec gag à l’appui, tel Roman Polanski pointant l’objectif photographique pour dire à Guy: « c’est mieux sans le cache » ! Si le fauteuil roulant l’a un peu aidé à s’imposer, il lui a surtout amené l’idée de sa série qui ne pouvait être réalisée qu’en étant assis.
Guy Kinziger pense approcher du but : « j’ai suffisamment de photographies pour une petite exposition, pas assez encore pour un livre, je me donne une année ». Tout en cherchant un éditeur qui acceptera ce regard différent d’un photographe paraplégique sur les étoiles de notre époque.
Laurent Lejard, juin 2003.