Avec ses 1,16 mètres, Florence Talbi est une « personne de petite taille », pour employer l’expression politiquement correcte. Si Florence ne trouve pas le terme « naine » détestable, elle préfère qu’on parle d’elle comme d’une « personne », tout simplement. Elle habite sur les coteaux de Montmartre, un quartier parisien dont les habitants ont conservé une grande convivialité: « J’aime bien Paris, on me salue avec un ‘bonjour ma p’tite dame’, on me demande des nouvelles des enfants ». Ses deux enfants, de taille classique, Florence les a voulu: « Quand on a un désir d’enfant et qu’on a la stabilité nécessaire, le handicap passe après. Il faut donner aux enfants la force de bouffer la vie ». Il lui a pourtant fallu du temps pour accompagner l’aînée à l’école, lors de sorties pour lesquelles des parents volontaires étaient sollicités. « Ma fille a fait le chemin, c’est elle qui m’a incité à venir, à participer aux réunions de parents ». Le regard des enfants a fait réfléchir Florence: « J’ai compris qu’ils avaient l’angoisse de ne pas grandir et que ma présence pouvait les perturber ».
Dans la ville. « Les difficultés d’accessibilité que je rencontre résultent souvent d’une mauvaise ergonomie, elles sont assez semblables à celles d’une personne sur fauteuil roulant. A l’hôpital où je travaille, je dois me servir d’une règle ou d’un stylo pour appuyer sur les boutons de l’ascenseur. C’est souvent pareil pour les digicodes, parfois j’appelle sur mon mobile la personne que je vais voir pour qu’elle vienne m’ouvrir ». Demander de l’aide l’énerve: « Il faut forcément être aimable et sympathique, remercier. J’ai horreur de me servir à manger dans un self- service parce qu’il faut que je demande tout, les bols et assiettes étant hors de portée. Je me contente d’un plat de résistance en tendant mon plateau pour que l’employé pose l’assiette dessus. On est en situation de faiblesse, de dépendance, et redevable! On devient nécessairement astucieux, en cherchant la solution accessible ce qui réduit aussi le choix. Je vais rarement à La Poste parce que les guichets sont trop hauts » Rappelons que les nombreux guichets bas des bureaux de poste parisiens ne sont pratiquement jamais mis en service.
« J’aime les fringues, mais mon choix est réduit. Mon chemisier est du 11 ans, mon pantalon a été fait sur mesure ». La petite taille lui revient cher dès qu’elle sort du rayon enfant et ce surcoût n’est pas compensé. Dans son appartement, les meubles sont bas : commode, placards de cuisine, aucun élément n’est fixé en hauteur. Elle en est à sa troisième voiture, qu’elle va faire aménager avec des commandes au volant semblables à celles qu’utilisent les paraplégiques: « C’est très coûteux et complexe. On est prisonniers d’un système de réseau : un équipementier me demande 500 euros de plus parce que je ne viens pas de la part d’un garage de sa connaissance! »
Une vie active. « Les marches ne me posent pas de problèmes, parce que je n’ai pas de complications dorsales, j’aime bien marcher, ça me déstresse ». Précisons que de nombreuses formes de nanisme génèrent des séquelles dorso- lombaires et des pincements de moelle épinière pouvant entraîner une paralysie. « Il faut lutter contre la prise de poids et faire de l’exercice pour rester souple ». Florence Talbi travaille depuis sa prime jeunesse, et dirige deux laboratoires médicaux d’un hôpital parisien. « Je suis entrée à l’Assistance Publique- Hôpitaux de Paris il y a 24 ans, comme technicienne de laboratoire. En suivant des cours du soir, j’ai obtenu un diplôme d’ingénieur au Conservatoire National des Arts et Métiers en 1987 ». A la différence de ses collègues, elle travaille toujours assise sur un tabouret et est grande utilisatrice de marche- pieds. « il faut convaincre, prouver face à un employeur. J’ai donné davantage de temps de présence au travail, je n’ai pas pris de temps partiel après la naissance de mon deuxième enfant »
« J’ai également refusé que l’on adapte mon bureau, pour ne pas en devenir prisonnière, sans possibilité d’accéder à une fonction supérieure parce que le transfert d’aménagements lourds pourrait constituer un obstacle. Un employeur n’aime pas qu’on le bassine avec des besoins particuliers, je le vis moi- même en dirigeant une vingtaine de personnes ». Le regard des autres se pose toujours sur elle mais « Je ne m’en rends plus compte, même si des gens parlent du ‘fils de la naine’ ou me désignent par rapport à ma taille. Ce sont ceux qui partagent ma vie qui doivent être forts ».
Laurent Lejard, novembre 2003.