Le positionnement de l’Association des Paralysés de France (A.P.F) sur la viabilité du projet de loi est dual : d’un côté elle en critique la philosophie, de l’autre elle avance ses revendications. « La loi manque de souffle et de portée » estime Patrice Tripoteau, chargé des actions nationales à l’A.P.F. Et de préciser : « Nous avons consulté nos adhérents, ils insistent pour que soit établi un revenu minimum d’existence égal au salaire minimum, le Smic, pour les personnes qui sont inaptes au travail ». Ce revenu, calculé sur les seules ressources du bénéficiaire, pourrait être constitué de l’allocation adulte handicapé à son niveau actuel avec une majoration au titre de la compensation. L’A.P.F accepte l’idée que des charges (tels l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation, la redevance télévision) puissent être payées sur ce revenu. Pour les autres personnes handicapées à 80%, l’A.P.F se contenterait d’un maintien de l’Allocation Adulte Handicapée à son niveau actuel. « La prestation compensation doit être attribuée sans limite d’âge, c’est une question de principe, complète Patrice Tripoteau. Elle doit s’inscrire dans une solidarité nationale, pas d’aide sociale, et donc être attribuée sans conditions de ressources. On fait le parallèle avec l’assurance maladie : on ne demande pas aux assurés de présenter leur fiche de paye pour être remboursés ».
L’A.P.F est toutefois prête à négocier le montant des ressources pouvant être retenues pour calculer la prestation compensation. Elle s’estime d’ailleurs satisfaite par le champ de la compensation, dont le dispositif couvre selon elle tous les besoins en aides techniques, humaines ou animalières. Noyée par Marie- Thérèse Boisseau dans le concept de « compensation collective », l’accessibilité est un cheval de bataille de l’A.P.F : « Pour nous, l’accessibilité n’est pas la compensation parce qu’il ne faut pas inclure de budget spécifique, dans la construction d’un immeuble par exemple. Le principal point de litige, c’est la mise en accessibilité de l’existant : on ne peut accepter que des dérogations d’ordre technique, en privilégiant les sites de proximité plutôt que les lieux- phares ». Il faut comprendre par là que l’A.P.F est prête à négocier sur le principe de la dérogation à la mise en accessibilité et accepte l’idée que des sites ou bâtiments, par exemple à caractère historique, demeurent inaccessibles.
L’Association Française contre les Myopathies (A.F.M) est quant à elle l’un des membres du « front du refus » qui regroupe près d’une trentaine d’organisations (lire en bas de page). « Le premier grief est que les politiques n’ont pas fondé la loi sur la notion de situation de handicap, qui est pourtant la norme établie par l’Organisation Mondiale de la Santé, affirme Jean- Claude Cunin, chargé de la revendication à l’A.F.M. Cela traduit un refus de traiter l’interaction entre l’environnement au sens large et les personnes handicapées ». L’A.F.M déplore également que l’obtention d’une aide nécessite encore des formalités extraordinaires : « On refuse les grilles et les cases prévues, on n’est pas sauvé de la simple adaptation de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie aux personnes handicapées. Pour l’A.F.M, l’évaluation des besoins de la personne doit prendre à la fois en compte son environnement et ses aspirations ». Dans son esprit, il s’agit de donner à ceux qui veulent évoluer ou changer de mode de vie les moyens de le réaliser : « Les dépenses doivent être financées à l’euro près, comme pour les soins ». L’A.F.M rejette l’idée d’une participation financière du bénéficiaire : « On pourrait discuter sur les ressources des personnes si la compensation est une vraie solidarité nationale ». Jean- Claude Cunin évoque le principe social de l’aide du plus aisé en faveur du moins aisé. En matière d’accessibilité, l’A.F.M rejette le principe de la dérogation : « On connaît bien ce jeu très français qui consiste à délivrer des dérogations de complaisance. L’accessibilité doit également inclure le maintien en bon état de fonctionnement des équipements : la société handicapante l’est davantage pour les handicapés moteurs qui ne peuvent franchir les marches qu’on leur oppose ».
L’empilement législatif actuel (loi Boisseau-Montchamp, décentralisation, réforme de la Sécurité Sociale, loi dépendance) laisse nos interlocuteurs désemparés. Pour Jean- Claude Cunin, c’est « le b… » : « C’est pour cela que le projet de loi d’égalité des droits et des chances est bourré de décrets. Alors qu’il faut se donner du temps et une logique de travail ».
« Le débat sur l’Assurance Maladie influencera celui de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, constate Patrice Tripoteau. On est dans une situation d’analyse complexe, en n’ayant pas tous les éléments. Les personnes attendent des réponses parce qu’elles sont en grande difficulté. Dès janvier 2005, il y aura un budget, des moyens supplémentaires pour elles. Maintenant, comment ça marchera… »
Ce que l’on peut appeler le front du refus comportait 25 organisations au 1er juin 2004 : Association Française contre les Myopathies, Association Laïque pour l’Education, la Formation, la Prévention et l’Autonomie, Association Nationale des Transports Educatifs de l’Enseignement Public, Association Nationale pour l’Education de Chiens d’Assistance pour Handicapés, Association Nationale des Parents d’Enfants Aveugles, Association Nationale pour l’Intégration des Personnes Handicapées Moteurs, Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés, Approche, Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active, Charcot Marie Tooth France, Comète France, Délégués Départementaux de l’Education Nationale, Entraide Universitaire, Fédération des Associations Gestionnaires et des Etablissements de Réadaptation pour Handicapés, Fédération des Associations pour l’Insertion des personnes porteuses d’une Trisomie 21, Fédération des Conseils de Parents d’Elèves des écoles Publiques, Groupement Français des Personnes Handicapées, Handicap International, Jeunesse en Plein Air, Ligue de l’Enseignement, Mutuelle Générale de l’Education Nationale, Fédération générale des Pupilles de l’Enseignement, Union Nationale des Associations Laïques Gestionnaires, Union Nationale des Syndicats Autonomes, Union Nationale pour l’Insertion Sociale des Déficients Auditifs. Il convient de noter que quatre d’entre elles (A.F.M, Fait 21, Unisda, Apajh) participent aux groupes de travail mis en place par la Secrétaire d’Etat aux personnes handicapées et chargés d’améliorer le projet de loi.
Laurent Lejard, juin 2004.