On ne connaîtra pas le nom du héros de Cahin-caha : pour tous il s’appelle La Tremblote. Mais pour Anne Lenner, il a le visage d’un jeune homme qu’elle a connu. Son roman est puisé dans sa réalité à laquelle s’ajoutent d’autres histoires et anecdotes : « J’ai besoin d’être en empathie avec un personnage, commente Anne Lenner. Le roman a commencé par un coup de coeur; j’ai passé du temps à rêver l’histoire avant de l’écrire ».
L’auteure nous présente un adolescent atteint d’une maladie neurodégénérative qui n’est pas nommée, et dont les séquelles sont proches d’une importante infirmité motrice cérébrale : La Tremblote, élève dans un établissement spécialisé dans lequel il s’est créé son monde, ne marche plus; il a des difficultés à diriger son fauteuil électrique. Sa mère le protège autant qu’elle peut, sa soeur l’ignore et se réfugie dans l’automutilation et la drogue. La Tremblote ne voit que ses problèmes, ne juge le monde qu’à l’aune de son vécu et ne s’intéresse pas aux autres. Jusqu’à un incident grave avec une bande de loubards de son établissement, dont il est le souffre-douleur. La mort se refusant à lui, sa planche de salut sera un séjour à la campagne, dans un centre de vacances qu’on lui décrit comme idyllique. Mais l’autonomie et la liberté se conquièrent, nécessitent de grands efforts et de s’ouvrir aux autres, La Tremblote l’apprendra dans ce centre où chaque pensionnaire habitué à être servi devra aider les autres et contribuer aux tâches ménagères, apprendre à se parler pour se dire autre chose que des banalités, commencer à donner un sens à sa vie.
« Cahin-caha est un roman initiatique, explique Anne Lenner. Le héros a un regard limité sur le monde, les autres, parce que la maladie le condamne à brève échéance. Il n’a pas envie de regarder les autres personnes handicapées qu’il côtoie quotidiennement, ni d’affronter le regard des autres personnes. Son évolution ne se fera pas sans heurts ». Anne Lenner a construit son roman comme un patchwork d’histoires racontées, tel ce personnage que la police croit ivre alors que sa marche est hasardeuse du fait de son handicap, un incident que la presse internationale rapporte régulièrement.
« Les lecteurs se sont sentis touchés par ce roman. J’ai voulu parler du regard lors de l’adolescence. Il permet de désamorcer un certain nombre de réticences vis-à-vis des personnes handicapées : j’ai l’impression qu’on ne voit pas la personne, mais le fauteuil roulant, l’emballage. On se fait une montagne pour pas grand-chose. Le handicap ne définit pas la personne, il est amplement secondaire. Mais on a beaucoup de chose à changer en France »…
Laurent Lejard, avril 2006.
Cahin-caha, par Anne Lenner, Éditions Le Dilettante, 15€, en librairies.