Tous trois sont actuellement affectés aux services de l’administration centrale du Ministère de l’agriculture, à Paris, près de la gare Montparnasse. Jean Olivier Serra, dont le handicap moteur altère et réduit la marche, travaille depuis quelques années dans le secteur protection sociale du ministère : « J’étais davantage confronté au public lorsque j’étais en début de carrière, explique-t-il. Je suis issu de l’enseignement agricole, puis j’ai travaillé comme conseiller technique à l’élevage dans une Chambre d’Agriculture, au contact des exploitants. Ma recherche d’emploi n’a été ni longue ni difficile. Mais lorsque j’étais jeune diplômé et que je cherchais mon premier emploi, j’ai eu un entretien avec le président d’une Chambre d’Agriculture du sud-ouest : j’avais à peine passé la porte de son bureau que mon interlocuteur s’interrogeait sur ma capacité à travailler ! J’ai abrégé l’entretien. Cela se passait à la fin des années 80, les mentalités évoluent lentement. Ce sont mes grands-parents agriculteurs qui ont contribué à déterminer mon orientation professionnelle, confirmée pendant les années de collège durant lesquelles j’avais l’impression de n’être qu’un numéro. Cela m’a conduit à m’orienter vers l’enseignement agricole, un milieu plus ouvert, pas seulement du fait de la nature et des grands espaces, mais aussi par la plus grande ouverture d’esprit des professionnels. Le directeur du lycée agricole qui m’a accueilli s’est simplement inquiété de mon devenir professionnel, parce qu’il y a des matériels potentiellement dangereux, des animaux à manipuler. Je n’ai jamais ressenti une quelconque réserve de qui que ce soit vis-à-vis de mon handicap, simplement parfois de l’étonnement. Mais quand on répond aux attentes, le handicap est oublié. Le milieu agricole n’est pas moins réceptif que les autres. Il faut faire preuve d’adaptation ».
Philippe Amiranoff vit, quant à lui, avec un handicap moteur qu’il estime moindre, une paralysie de la jambe droite qui présente des séquelles proches d’une polio et qui se font davantage sentir depuis qu’il a passé le cap de la trentaine. Il travaille sur le milieu forestier, en administration et contentieux juridique. » Durant mes 20 premières années de carrière, le choix de travailler au grand air me convenait bien. J’allais sur le terrain, j’arrivais à gérer mes déplacements en forêt, le plus dur a toujours été les descentes. Compte tenu de l’état des terrains forestiers, notamment après la tempête de Noël 1999, les déplacements pouvaient être difficiles. Avec une ou deux cannes, j’y arrive, ça ralentit un peu les autres. Maintenant, je suis beaucoup plus sédentaire depuis mon affectation au service Forêt et bois de l’administration centrale du ministère. Maintenant, je vois moins de professionnels, mais je n’ai aucun ressenti négatif ».
Enfin, Bruno Banas travaille à la direction générale de la forêt et des affaires rurales : « Je suis en fauteuil roulant depuis 1985, raconte-t-il, l’année de mes 22 ans, du fait des séquelles d’une méningite. Deux ans après, j’ai repris mes études au sein de l’école d’ingénieurs du ministère de l’agriculture dans laquelle je les avais débutées; j’ai été très bien accueilli par l’administration et la direction de l’école dont j’ai pu affronter l’inaccessibilité grâce à l’aide de mes camarades. Le stage que j’ai suivi dans un centre d’essais de machines agricoles a été encadré par un professionnel qui a bien compris mes besoins. Au début, je visais les travaux ruraux, des postes basés dans les Directions Départementales de l’Agriculture qui consistent à élaborer et conduire des aménagements ruraux. Suite à mon stage, je suis resté dans l’entreprise qui n’accueillait, le Cemagref d’Antony (Hauts de Seine). Actuellement, je travaille au sein de l’administration centrale du ministère, dans un service qui définit la politique de sécurité et la prévention des accidents liés aux matériels agricoles. Je me suis également intéressé aux adaptations des tracteurs pour les agriculteurs à mobilité réduite, adaptations qui se font encore en dehors de toute réglementation, et j’ai récemment pu organiser un forum sur ce thème lors d’un salon professionnel. Au niveau professionnel, mon handicap n’est pas un problème, et il y a toujours des gens prêts à aider ».
Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2007.