C’est un grand honneur pour moi d’avoir été conviée à cette première Conférence Nationale du Handicap et ainsi participer par mon humble témoignage à l’amélioration de la Loi du 11 février 2005. Cette grande loi intitulée « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » suscite de grandes espérances pour les personnes les plus lourdement handicapées ou pour leur famille, quelles que soient leurs déficiences : physiques, psychiques ou mentales. Or, depuis l’application de cette loi, il s’avère que les grands espoirs se transforment en désillusion. Certes, si des améliorations sont apportées notamment au niveau des heures d’aides humaines pour les personnes les plus dépendantes physiquement, le résultat global et les espoirs suscités par cette loi restent illusoires.
Dans le Pas-de-Calais, notamment, la déception est grande car la Maison Départementale des Personnes Handicapées n’applique pas les textes dans l’esprit de la loi par souci d’économie financière. Cette M.D.P.H a été l’une des dernières à se mettre en place, ce délai montre une inégalité de traitement par rapport à d’autres départements en France. Les disparités sur le territoire français sont, de ce fait, évidentes.
Je vais résumer brièvement ma situation familiale : mon frère aîné, âgé de 49 ans, et moi-même, 43 ans, demeurons dans la même maison. Mon frère est aussi dépendant physiquement que moi, nous sommes tous deux trachéotomisés et sous assistance respiratoire permanente. Nous vivons avec notre mère, âgée de 73 ans et qui, elle même, est devenue dépendante du fait de son âge et de la fatigue accumulée et occasionnée par notre prise en charge tout au long de sa vie.
Lors de la première évaluation de Prestation de Compensation du Handicap pour le volet « Aides humaines » en juin 2007, mon frère et moi avons remis à l’équipe d’évaluation, constituée d’un médecin et d’une ergothérapeute, des documents expliquant nos besoins respectifs, le descriptif d’une journée « type » pouvant justifier une prise en charge en « Aides humaines » de 24h/24 et divers écrits sur notre mode de vie présent et, pour ma part, un projet de vie envisagé dans un proche avenir, c’est-à-dire, en janvier 2009, « vivre autonome dans un appartement adapté ».
Nous avons donc rédigé chacun notre « projet de vie » car nous avons des choix de vie différents, des goûts différents, des aspirations différentes. Nous avons expliqué également qu’il nous fallait l’aide simultanée de deux personnes pour certains actes ou soins, ponctuellement à certains moments de la journée, à hauteur de deux heures par jour, une seule aide ne pouvant tout assumer. Nous avons évoqué le fait que nous avions besoin de deux personnes, lors de nos déplacements : une aide qui conduise le véhicule et une autre pouvant intervenir immédiatement si un quelconque problème survenait : défaillance du respirateur, tubulure qui se débranche, réalisation d’une aspiration endo-trachéale afin de dégager les voies respiratoires… Nous avons également sollicité l’accompagnement par une aide humaine pendant les hospitalisations. Nous avons demandé, la prise en charge par deux personnes pendant trois semaines par an pour partir en vacances, comme la plupart des gens s’en octroient.
Les réponses apportées à nos demandes respectives de besoins en « aides humaines » ne nous ont pas satisfaites : la M.D.P.H a dénié nos projets de vie, les évaluations de nos demandes de P.C.H ont été prises en compte du point de vue « environnemental ». Cela signifie que, du point de vue « individuel », l’évaluation du médecin de la M.D.P.H ne prend pas en compte nos besoins personnels et individuels au sens strict du terme. Par conséquent, mon frère et moi ne pouvons être « séparés » dès lors que nous sommes déclarés vivant sous le même toit. Je ne conçois pas qu’en tant qu’adultes, nous devrions être obligés financièrement l’un envers l’autre pour notre prise en charge, à cause de notre handicap. Pour la M.D.P.H du Pas-de-Calais, le fait que nous vivions ensemble, en tant que frère et soeur, signifie que nous sommes liés, jour et nuit, à cohabiter ensemble dans le même lieu de vie !
Les initiales de « P.C.H » veulent dire « Prestation de Compensation du Handicap ». Ce texte a été voté par l’Etat français pour compenser un handicap. Nous souhaiterions pouvoir aller en vacances séparément, ou partir nous dépayser quelques jours, occasionnellement, l’un sans la présence de l’autre. Cela ne nous est pas permis, avec le système actuel, je regrette de devoir le dire. Par ailleurs, notre vie sociale n’a pas été prise en compte.
Seule une P.C.H budgétisée annuellement, adaptée aux besoins de la personne, pourrait réduire un peu cette inégalité car nous pourrions adapter nos activités selon nos besoins qui sont variables selon les mois. Pour nous, personnes lourdement handicapées, l’article 1 de la déclaration universelle des droits de l’Homme « les hommes naissent libres et égaux… » n’est que des mots. Pour nous, cet article ne s’applique pas. Pour nous, personnes handicapées, la réalité au quotidien est toute autre : nous sommes bien conscients de nos droits et de nos devoirs mais il est évident qu’en France les droits des « personnes en situation de handicap » sont bafoués.
Dans notre situation familiale, il serait souhaitable que la M.D.P.H du Pas-de-Calais accorde le H 24 et même au-delà, et surveille l’effectivité des dépenses engagées plutôt que de nous contraindre arbitrairement par une restriction d’heures qui est contraire à l’esprit de la Loi du 11 février 2005, et restreint notre liberté individuelle.
Les décideurs (en l’occurrence, les médecins) ne peuvent décider par leur seule interprétation arbitraire et point de vue subjectif des besoins réels des personnes ! Ces professionnels devraient tenter de se rendre compte des difficultés du quotidien des usagers. Deux heures de visite par un médecin ne peuvent suffire à comprendre la réalité des besoins. Quelles sont les conséquences de leur handicap et mode de vie, sur leur vie quotidienne ? Peut-on occulter les demandes légitimes comme le fait constamment la M.D.P.H ? Peut-on dénier ainsi le projet de vie d’une personne ? Les personnes sont entendues mais pas écoutées. Peut-on accepter d’être relégué au rang de sous-citoyens ? Pourquoi les délais de recours gracieux sont-ils si longs lorsque les décisions des plans de Compensation sont inadaptées ? Pourquoi les personnes handicapées doivent elles constamment se battre contre l’Administration et justifier leurs besoins ? Pourquoi faut-il se battre constamment pour accéder à des droits légitimes ? La Loi du 11 Février 2005 est somme toute bien faite, il ne s’agit que de l’appliquer.
Il faut prioritairement faire évoluer les mentalités des décideurs au niveau des M.D.P.H et dans toutes les administrations de l’Etat. Il est indispensable que la représentativité des personnes handicapées soit effective dans les Commissions des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées au sein des M.D.P.H, plutôt que de nous ignorer. Il faut que les droits des Personnes handicapées soient connus et reconnus. Dans les C.D.A.P.H, les personnes handicapées se sentent coupables de devoir justifier leurs besoins alors que la M.D.P.H se doit de leur proposer une P.C.H adaptée pour une vie digne. Elles ne sont cependant coupables de rien sauf d’avoir eu moins de chance que d’autres personnes dites « valides » ! Les personnes handicapées méritent et doivent trouver leur place, et surtout être considérées en tant que citoyen à part entière.
Blandine Accary, juin 2008.