Âgé de 44 ans, Stéphane Kerangoarec est né infirme moteur cérébral; il a toujours vécu près de Lorient, dans le Morbihan. En ayant acquis une éthique de la vie qu’il a commencée à présenter dans un livre en cours d’écriture. Une philosophie ancrée dans son milieu familial, et plus précisément une relation étroite avec un père ouvrier : « Mon père m’a donné le goût de l’effort, la volonté de vaincre le handicap, explique-t-il. À l’époque, le travail était très valorisé dans le monde ouvrier, mon père m’a transmis cette éducation ». C’est dans ce cadre que s’inscrit la conquête de son autonomie, à l’âge de 13 ans, celui de ses premiers pas : « Je ne sais pas si les enfants marcheurs à 13 mois ont le souvenir de leurs premiers pas, écrit-il dans son livre. Moi j’ai cette chance. Quel bonheur de se rapprocher de la normalité, quelle impression de liberté, d’autonomie de puissance, de pouvoir même! Pour moi l’humanité, s’est tenue plus longtemps à quatre pattes, c’est tout. Enfin je pouvais, comme un homme, comme mon père, pisser debout, affirmant ainsi à tous l’émergence de ma masculinité ! »
Autre grand moment de sa vie, la découverte de l’amour : « Quand on est en centre de rééducation fonctionnelle, et jeune, on n’a pas la même perception de la découverte de l’autre. On est en milieu clos, la rééducation prime, les rapports affectifs viennent assez tardivement par rapport aux autres jeunes. Mais on a un coeur, un sexe, on découvre par soi-même qu’on a les mêmes besoins que les autres. À l’adolescence, quand on pouvait choper un décolleté… » Stéphane a rencontré pour la première fois l’amour à l’âge de 24 ans, avec une jeune femme valide qui lui a d’abord fait découvrir ce sentiment, puis la sexualité.
Il a passé son enfance et son adolescence, de 3 à 19 ans, au centre de rééducation fonctionnelle de Kerpape, à 5 km de chez ses parents, tout en étant interne. Pour ses 22 ans, en 1987, Stéphane est entré en Centre d’Aide par le Travail. Il y était ouvrier, fabricant des pare-battages pour bateaux, des pièces automobiles, des bouchons de flacons de parfum, des sommiers à lattes. « Avoir un emploi, écrit-il, c’était décrocher une raison d’être socialement, avoir des raisons de se lever le matin, bref approcher la vie de tout le monde, une vie d’ouvrier, pas très exaltante soit, mais j’y ai gagné une reconnaissance vis-à-vis de ma famille. Tous ceux, professionnels ou non, qui m’y avaient conduit s’en trouvaient remerciés ».
Mais sa désillusion fut aussi grande que ses espoirs : « Après quelques mois, déjà las des efforts liés à une production en usine, très mal reconnue, ma vision des choses s’échappait de l’idéal. Des conditions de travail difficiles, un manque d’humanité de la part des cadres, une non-reconnaissance des efforts dans un contexte médico-social rendent le constat particulièrement inacceptable. Les revendications syndicales ont bientôt pris la place de l’enthousiasme du débutant que j’étais. C’est ainsi que j’ai pu découvrir qu’un travailleur exerçant dans le cadre d’un Etablissement et Service d’Aide au Travail n’était pas autorisé à participer au conseil d’établissement. Quelle surprise ! Travailleur méritant, travailleur diminué, travailleur bafoué ne pouvant même pas s’exprimer, citoyen non reconnu mais travailleur quand même. Je revendique pour tous ceux-là le droit à la parole, le droit a une reconnaissance statutaire valorisante, à une retraite digne des efforts qu’ils ont fournis toute leur vie de travailleur. Porteur d’un handicap ne doit pas être synonyme de porteur d’une honte ».
Depuis 2005, il réalise l’initiation au multimédia de personnes handicapées dans une Maison d’Accueil Spécialisé, et il a changé d’ESAT : « Il faut accepter que l’on ne soit pas ce qu’on voudrait être, poursuit-il. J’étais très remonté contre le système des CAT : pas de prime d’ancienneté, de comité d’entreprise ni de droit syndical, etc. Maintenant, dans l’établissement où je travaille, parce que l’équipe dirigeante l’a voulu, on a une ancienneté, une mutuelle, les mêmes avantages que dans une entreprise adaptée ».
Stéphane vit dans sa propre maison, dont il tient à conserver l’intimité sous un voile pudique. Mais il a un projet ambitieux : faire publier par un grand éditeur le livre sur lequel il estime avoir encore près d’un an et demi de travail. Pour donner un coup de poing sur la table, en parlant de la politique sociale. Un ouvrage qu’il voudrait remettre en mains propres au président de la République, une tâche qu’il sait déjà très difficile…
Laurent Lejard, janvier 2010.
Stéphane Kerangoarec espère vivement vos réactions et réflexions par mél…