Marie Bete vit dans un village situé à 20 km de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Chaque matin, elle fait le ménage, prépare le petit déjeuner, puis fait la toilette des enfants. Cette étape terminée, elle se rend au Centre des Oeuvres de la Face Sacrée pour suivre les enfants, c’est dans cet établissement qu’elle a été rééduquée quand elle était adolescente, pour une poliomyélite. A la mi-journée, Marie revient à la maison et fait la cuisine. Le soir venu, elle peut aller visiter les plantations. Marie gagne 20.000 FCFA par mois (30,50€). Ses 30 ans passés, un important projet lui tient à coeur : « Je voudrais approfondir une formation; j’ai une folle envie de faire la haute couture ! Pour y parvenir, je souhaite retourner à l’école. » Mais compte-tenu de ses moyens financiers limités, Marie pense qu’il s’agit encore d’un rêve : « Je ne peux pas m’empresser pour me renseigner au sujet du coût de tout le nécessaire. Si un jour, une âme de bonne volonté me vient en aide, mon rêve deviendra réalité… » Elle n’a pour l’instant qu’un CAP d’Economie Sociale et Familiale, obtenu la même année que son premier enfant. Elle s’était bien inscrite à l’Institut Samba, à Yaoundé, mais a arrêté ses études en classe de Première. Elle avait trouvé un conjoint, qui malheureusement l’a quitté, d’où son retour au village.
En sa qualité de femme invalide, Marie connait son lot de difficultés auxquelles elle fait face au quotidien : « Mon conjoint m’a laissé avec trois enfants. Les moyens financiers sont limités pour leur assurer un bon encadrement. Je manque d’outils de travail pour le champ, il en est de même du matériel didactique. Je me déplace à peine parce que je n’ai pas de tricycle. Mon premier fils est au CM2, il ira au collège mais je ne sais pas ce que je ferais pour l’aider à mieux poursuivre ses études. » Même si sa famille ne l’aide pas suffisamment, Marie se sent épanouie au sein de la communauté : « Les relations sont bonnes. Je n’ai pas de regret de vivre hors de ma famille. »
Dans le domaine associatif, Marie est active au sein de la ligue de solidarité des femmes handicapées du Cameroun et en occupe le poste de Secrétaire Générale. Catholique, elle balaie d’un revers de la main tous les préjugés : « On estime que je suis une sorcière ! On me rejette çà et là. Mais je dois me mesurer à l’épreuve. » Le rêve de Marie, c’est de trouver un mari afin de fonder un grand foyer. Mais elle sait que c’est une mission difficile à cause de son handicap.
Egalement installée à Ekoko II, le village de Marie, Hélène Ngo Honla est handicapée moteur depuis l’âge de un an, toujours à cause de la poliomyélite, une maladie qu’elle considère comme la principale cause de ses malheurs : « Quand je suis née, comme me l’a signifié mon père qui vit encore, je me portais à merveille. J’avais une masse normale. Mais tout a commencé à se compliquer quand j’ai fait mes premiers pas. Malgré la médecine moderne, cette fâcheuse maladie a atteint mes deux pieds. Je me déplace difficilement. » Quoique devenue invalide, ses parents ont tout fait pour assurer la scolarité de leur fillette. Malheureusement, elle ne pouvait aller loin : « J’avais très envie d’obtenir de nombreux diplômes mais la maladie m’en a empêchée au point que je me suis arrêtée au Cours Elémentaire 2e année. » En outre, l’unité familiale s’est fragilisée à cause de la disparition inattendue de sa maman : « Je voyais le ciel s’abattre sur moi. Tous mes espoirs étaient perdus. Je pensais que la vie n’avait pas de sens ! »
On comprend bien qu’Hélène devait se battre corps et âme pour trouver les moyens de subsistance. Elle a donc pensé résoudre cette équation en confiant son coeur à un homme. Mais elle a été abusée. Ce sont ses deux fils qui font sa fierté aujourd’hui : « La seule chose qui puisse me satisfaire, c’est mes deux gosses qui accordent une attention particulière à mon endroit. » Quoi qu’ayant été délaissée à deux reprises, Hélène a enfin trouvé un conjoint qui l’aime : « Atangana est inévitablement un envoyé de Dieu ! » confie-t-elle. Cependant, la belle famille d’Hélène lui donne du fil à retordre : « Tout le monde se plaint du fait qu’Atangana ait pu accorder son penchant pour une femme invalide. Je suis regardée avec dédain. Personne ne peut m’apporter de l’aide. » Mais Hélène balaie tout ce qui lui arrive d’un revers de la main. Elle reçoit rarement la visite des membres de sa famille mais elle se réjouit de l’attention particulière que lui accorde la communauté : « Presque tous les jours, on me rend visite. On m’apporte des présents. » A présent, le seul rêve d’Hélène est d’exercer une activité lucrative : « Je voudrais faire du commerce. J’ai déjà élaboré un budget. Avec une enveloppe de 500.000 FCFA (1.400€), je pourrais m’acheter un moulin. J’aménagerais un espace et je m’implanterais pour exercer cette tâche. » Le projet est déjà prêt, restent les moyens, qui font défaut.
C’est le béribéri qui a handicapé les deux pieds de David Engoulou Engoulou alors qu’il avait dix ans. Mais cette maladie ne l’a pas empêché de poursuivre ses études et d’obtenir le Certificat d’Etudes Primaires. Grâce à ce diplôme, il a été recruté en 1976 comme enseignant à l’école de l’Eglise Presbytérienne Orthodoxe de Nkolmetet, un village situé à 70km de Yaoundé. C’est donc cette activité qu’il exerce depuis une trentaine d’années et qui lui permet de gagner 26.000 FCFA par mois (près de 40€). Mais il lui arrive d’accumuler les arriérés. Agé de 65 ans, David Engoulou Engoulou est obligé de faire les travaux champêtres les week-ends et pendant les congés. Il est veuf depuis plus de cinq ans, ce qui lui rend la tâche difficile pour prendre soin de sa fille et de son fils : « Chaque après-midi dès le retour des classes, je suis obligé de faire la cuisine. Il faut en même temps aller au champ pour faire le défrichage. » David agit donc sur plusieurs fronts et compte même en faire plus pour léguer au moins un héritage à ses deux enfants. Au plan familial, la distance est longue au point qu’il ne reçoit pas de visites. Mais il pense qu’il ne s’agit pas d’un total abandon : « Dans notre famille, je suis convaincu que tout le monde ne m’aime pas mais ce n’est pas une raison pour que mes frères et soeurs ne me rendent pas visite. »
Au chapitre des difficultés quotidiennes, David Engoulou Engoulou peut en égrainer un chapelet : « Je n’ai pas assez d’argent pour secourir ma petite famille, j’ai de la peine à me déplacer parce que je n’ai pas de tricycle. Il arrive parfois que je sois hué par mon entourage puisque je vis dans ma belle-famille ! » Afin de résoudre ses problèmes, David envisage monter un projet agricole : « Avec 500.000 FCFA, je pourrais me lancer dans l’agriculture vivrière. C’est vrai que je m’intéresse beaucoup plus à la culture du cacao. Je sais que tout ira mieux si j’ai les moyens financiers et matériels. » David est apprécié dans la communauté, il est régulier au culte les dimanches. Il croit aux traditions, c’est pourquoi il pense qu’il faut respecter ce qui appartient à autrui. Selon lui, « Le respect de la chose d’autrui garantit une longue vie sur terre, il en est de même pour la femme de son prochain. » Sa foi chrétienne l’amène ainsi à penser qu’il y a une autre vie dans l’au-delà…
Gérard Abada, juin 2011.