Un galéjeur né : Adda Abdelli a littéralement crevé l’écran dès les premiers épisodes de Vestiaires, une série de saynètes qui se déroulent dans une piscine municipale fréquentée par des nageurs handicapés en tous genres. Adda Abdelli en est le co-créateur, avec Fabrice Chanut, chargé de communication au club handisport de Marseille. Il incarne Romy, un polio qui se déplace en fauteuil roulant et « branche » tout le monde. Faconde méridionale d’un beur de Marseille qui s’est risqué au one man show, mais également volonté de montrer à tous que les personnes handicapées peuvent se moquer des handicaps, et d’abord d’elles-mêmes, sans tabou. « Pendant une période, raconte Adda Abdelli, il y avait au club un nageur non-voyant, on lui faisait des blagues, on l’envoyait dans de fausses directions, je lui faisais croire que ma voiture était une Ferrari ! Et lui, il avait de belles réparties. Ce qui nous unit, c’est l’humour, ça fonctionne comme ça, on vanne entre nous. Avec Fabrice, ça nous a donné l’idée d’écrire des saynètes, des situations vécues, d’autres exagérées. Elles auraient pu rester des chroniques de bar. On a écrit une dizaine de sketches, qui ont plu aux copains, les ont fait rire. Fabrice était en relation avec le festival international du film d’Aubagne, on les a présentés en 2007 dans le cadre de son Kiosque qui montre des créations amateurs, et des producteurs les ont vus. On a reçu un coup de fil d’une Québécoise qui les avait présentés au festival, puis on a rencontré quatre producteurs dont Philippe Bronstein, qui nous a dit qu’il gardait le projet sous le coude. Il nous a rappelé avec une coproductrice, ils étaient d’accord pour réaliser un pilote de six épisodes ! La directrice des programmes de France 2 a absolument voulu les diffuser, on a écrit d’autres épisodes et la première série a été mise à l’antenne en 2011. Puis on a écrit une deuxième saison de 40 épisodes qui ont été programmés juste avant le journal télévisé de 20 heures, et France 2 nous a commandé une saison 3 diffusée pendant l’automne 2013. »
Qu’est-ce qui pouvait bien prédestiner Adda Abdelli à devenir un maître de l’handi-humour ? Probablement son immersion dans le monde des enfants et des jeunes handicapés. Né en Algérie il y a 46 ans, il est arrivé à Marseille à l’âge de 9 ans pour être soigné et subir des interventions chirurgicales. Sa scolarité, il l’a effectuée dans l’unique école publique spécialisée de France, celle de La Grotte-Rolland, qui était également ouverte aux enfants valides et a définitivement fermé en juillet 2011 (au nom de l’intégration), installée à proximité d’un Centre d’Aide par le Travail dans un quartier très éloigné du centre de Marseille, à la Madrague-Montredon. Adda Abdelli conserve un excellent souvenir de cette période au contact d’enfants en tous genres : « C’étaient les plus belles années de ma vie, j’étais assez autonome, j’ai même été Scout de France, un musulman au milieu des cathos ! » Et au terme de cette scolarité sanctionnée par un diplôme d’aide-comptable, formation assurée par l’école, un peu comme sur des rails il a été embauché par la Ville de Marseille où il travaille comme comptable, un métier qu’il exerce toujours, lucide malgré le succès de Vestiaires : « Ça met du beurre dans les épinards, mais on n’est pas devenu riches ! D’autant qu’on a réduit notre temps de travail salarié pour écrire. »
L’avenir ? « Je m’occupe de mes trois enfants, qui ont 15,13 et 2 ans et 1/2 », sourit-il. Comme il se déplace en béquilles dans une ville dont le métro est totalement inaccessible, il réfléchit avec des copains sur des actions possibles. Et il se souvient que lors d’une réunion d’information au moment de la construction de la première ligne du métro de Marseille, dans les années 1970, le père de l’une de ses amies handicapées avait été expulsé parce qu’il avait protesté contre l’absence d’accessibilité…
C’est aussi contre ces attitudes qu’Adda Abdelli veut agir, en tant que scénariste, sans forcer sur le militantisme : « Vestiaires est dans la visibilité. Comme Philippe Croizon, qui fait avancer les choses. Et si la petite notoriété que j’ai peut servir, pourquoi pas ? » Notamment dans le domaine de l’accès à une vie affective, lui qui a été comblé en la matière : « La pénurie d’affection, c’est ça qu’il faut voir. J’ai vécu avec des gars qui avaient des handicaps très lourds, à l’âge où on commence à s’intéresser aux filles, ils n’avaient rien. Moi, même si les béquilles repoussaient les filles, j’avais la parole et l’humour ! »
Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2014.