Alors que la famille du trentenaire Vincent Lambert, en état neuro-végétatif depuis un accident, se déchire en justice et devant l’opinion autour de son euthanasie demandée par certains parents contre la volonté d’autres, une pièce de théâtre s’efforce de dépassionner le débat en le replaçant dans la sphère intime. Le jeune Amédée, tout juste 20 ans, en est le protagoniste à cause d’une rencontre accidentelle avec un camion : entièrement paralysé et privé de la parole, il va demander à mourir. Pour l’écrire, l’auteur, Côme de Bellescize, s’est inspiré de la fin de vie de Vincent Humbert. Interprète d’Amédée depuis sa création en 2012, Benjamin Wangermée exprime les enjeux d’une pièce qui éclaire un lourd débat de société.
Question : La pièce Amédée se retrouve en pleine actualité. Vous participiez à la création en mai 2012, quelles sont vos impressions lors de cette reprise ?
Benjamin Wangermée : C’était effectivement assez étonnant de voir que c’est un sujet d’actualité qui revient sur le devant de la scène très régulièrement. Et cela a été le cas à la création il y a trois ans au Théâtre de la Tempête (Paris). Ça ne m’a pas étonné parce que de toute façon ce qu’explique la pièce c’est que c’est un sujet complexe. Chaque cas est très particulier, très singulier, il est très compliqué de légiférer sur ce sujet-là, sur ce problème de société. Effectivement c’est plutôt agréable en tant qu’acteur et participant de ce projet de sentir qu’on met le doigt sur un sujet qui revient sur le devant de la scène parce qu’il y a une décision de justice. Du coup, cela nous responsabilise plus sur le message qu’on veut porter, sur les questions qu’on pose par le biais de cette pièce, cela nous permet de défendre cette pièce avec encore plus de coeur et d’importance.
Question: Justement, quel est le message?
Benjamin Wangermée: Ce n’est pas une pièce qui prend parti une seconde pour telle ou telle position. Effectivement, je trouve que comme toutes les grandes oeuvres qui me touchent et me plaisent, elle me fait poser des questions. Et ça met en avant la complexité de ce genre de situations qui sont, je le répète, tout le temps très différentes. Moi, j’étais attentionné sur une chose pendant le travail de répétition, et Côme aussi, le metteur en scène et auteur, sur le fait qu’il ne fallait pas qu’on délivre de réponse, qu’il ne fallait pas prendre parti. C’est vrai que cette pièce met en avant des figures, des postures qui ont des positions très tranchées mais elle les font dialoguer, leur donne une égale importance. On peut avoir un avis très tranché selon les parcours, selon les vies, selon ce que l’on a pu rencontrer sur ce sujet, c’est tout à fait normal. Cette pièce sert à remettre le sujet sur la table, mais elle ne délivre pas de réponse, elle met en avant la complexité.
Question: La réponse, c’est chaque personne concernée, ce n’est pas la société ?
Benjamin Wangermée : En fait, il faudrait trouver une solution pour que la société s’empare de ce problème. Mais cela met en avant le fait que légiférer dans une loi générale, ça a été le cas en Belgique et en Suisse, il y a quand même eu des dérives par rapport à certaines lois créées pour régler ce problème de société. Mais c’est pour alerter le public sur un problème qui pourrait arriver si on légifère de façon trop hâtive, trop précise ou stricte.
Question : Le choix de fin de vie est éminemment individuel ?
Benjamin Wangermée : Oui. C’est vrai que la pièce, même si des gens ne le perçoivent pas dans la manière dont on le met en scène, dont on le joue, se termine par un instinct de survie malgré tout, à la toute fin. Il y a cette euthanasie qui est faite sur Amédée, mais il y a cet instinct de survie qui je pense existe chez n’importe qui, même quand on fait le choix de mourir. Ça arrive effectivement en contrepoint sur quelque chose qui n’est… c’est compliqué de répondre de façon très précise parce que la pièce ne faisant que poser des questions, elle met vraiment en avant la grande complexité de ce sujet et le fait qu’il il y a des gens qui à juste titre peuvent avoir un avis très tranché. On remet peut-être un peu en question sans prendre parti le fait que c’est un sujet qui ne peut pas amener de réponse logique et franche.
Question : Les réactions des spectateurs, mais aussi des professionnels du sanitaire et du médico-social, sont-elles plutôt tranchées, teintées d’incompréhension… ou de compréhension ?
Benjamin Wangermée : Des spectateurs sont étonnés, un peu mal à l’aise parce que la pièce ne prend pas parti pour l’euthanasie alors qu’ils y sont favorables. J’ai pu le comprendre, parce qu’ils avaient directement vécu des situations où des proches n’en pouvaient plus, souffraient considérablement de maladie, et désiraient cette fin de vie. Que cela remette un peu en question un avis tranché peut mettre mal à l’aise. Au contraire, d’autres spectateurs étaient très attachés, touchés par le fait que la pièce ne donne pas de réponse très franche. Au Théâtre 13 à Paris, lorsqu’on l’avait reprise, il y a eu des débats, des interventions de médecins confrontés à ces situations et c’était assez passionnant parce qu’ils étaient attachés et très heureux d’assister à une pièce qui effectivement met en valeur la complexité de leur quotidien, de leur travail, de l’accompagnement. Travaillant dans des services gériatriques, ils mettaient en avant le fait qu’il y ait de grandes améliorations à faire dans ces services pour ne pas donner envie à leurs patients de partir, et qu’effectivement il y a des choses à faire, vraiment. Et c’est là que c’est un problème de société, là où elle doit se rassembler, c’est peut-être utopique, essayer de dresser un cadre de vie plus beau pour ne pas donner envie de partir…
Question : Dans votre travail de comédien, qu’est-ce que ce rôle nouveau a amené à faire, à trouver, est-ce que vous êtes encore en recherche ?
Benjamin Wangermée : Tout a fait. On a joué la pièce à des périodes différentes, donc on la digère, les choses se reposent, on arrive à trouver d’autres aspects, le travail sur l’immobilité aussi, sur la représentation de la tétraplégie. Ce qui m’intéressait en tant que comédien et par rapport à ce que j’avais envie de montrer, c’était de faire entendre toute ma partition où je n’ai pas de texte, par les yeux, dans une immobilité qui est suggérée. La tétraplégie n’est pas reproduite de façon très réaliste parce qu’à mon goût ce n’est pas intéressant et qu’il faut trouver des petits décalages, il faut la suggérer, la reproduction réaliste ne m’intéressait pas du tout. Mais par l’immobilité, par le silence, essayer de travailler sur l’écoute et sur cet emprisonnement intérieur qui existe quoi qu’il arrive, malgré tous les moments qui amènent de l’espoir à Amédée, le maintiennent en vie et en joie, c’est peut-être un mot fort, mais en tout cas qui maintiennent la flamme. Tous ces moments-là, c’est assez passionnant en tant qu’acteur de travailler dessus, sur du silence et de l’immobilité.
Propos recueillis par Laurent Lejard, août 2015.