Question : Vous venez d’être récompensé par deux organismes français pour un projet sur l’accessibilité des personnes handicapées, lauréat parmi d’autres candidats provenant de pays du Maghreb et du Proche-Orient dans le cadre de Safirlab. Que voulez-vous créer ?
Arbi Chouikh : C’est une plateforme cartographique d’identification de l’accessibilité pour les personnes en fauteuil roulant, dans laquelle elles exposeront leur expérience en fonction d’un bref questionnaire. La carte recensera les lieux ouverts au public avec un code couleur : vert parfaitement accessible, orange partiellement accessible, rouge inaccessible. Chaque lieu sera présenté en photographie, avec des hashtags. L’objectif est d’informer mais aussi de faire évoluer l’accessibilité et sa prise de conscience, mettre en évidence des modèles, des destinations.
Question : Comment vous est venue cette idée ?
Arbi Chouikh : C’est la suite de la réalisation en 2013 de deux guides d’accessibilité de villes assez proches de Tunis, La Manouba et Menzel Bourguiba. J’avais participé là-bas au projet Ville pour tous, financé par Handicap International. J’ai commencé à réfléchir cette année à une réalisation plus concrète, en utilisant mes connaissances en informatique.
Question : Vous êtes vous-même handicapé moteur…
Arbi Chouikh : C’est un handicap de naissance, je marche avec des béquilles. Etre handicapé me fait m’intéresser à l’accessibilité, pour faire quelque chose de réalisable.
Question : Justement, quel est l’état de l’accessibilité en Tunisie ? Elle semble correcte dans les zones touristiques mais qu’en est-il ailleurs ?
Arbi Chouikh : La situation est très différente entre le nord, les zones côtières et le sud. Cela repose sur les infrastructures. La zone montagneuse est peu accessible, ainsi que les services publics. Il y a un manque de sensibilité du gouvernement, on pense peu aux personnes handicapées quand on construit. Pourtant l’accessibilité existe depuis un décret de 2006, la ratification par la Tunisie de la convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées et leur inclusion, dans la Constitution, de 2014. Le problème, c’est l’application de ces dispositions. La Tunisie s’est engagée à aménager les lieux publics mais la société civile, les associations doivent toujours élaborer des plaidoyers pour convaincre. L’accessibilité ne doit pas seulement concerner le tourisme, mais aussi l’école, la santé, les salles de spectacles, etc.
Question : Vous-même rencontrez des difficultés d’accès ?
Arbi Chouikh : Même les montagnes me sont accessibles avec mes béquilles, depuis tout petit je me suis adapté ! Et les Tunisiens te demandent toujours si tu as besoin d’aide quand tu es un peu en difficulté. Mais je veux être autonome. Par contre, c’est très compliqué pour les chaises roulantes. Parfois, il y a une rampe, mais avec un escalier devant…
Question : Pour réaliser votre plate-forme, avez-vous observé les autres réalisations ?
Arbi Chouikh : Je connais Wheelmap, qui ne permet que de donner son avis. Pour I Wheel Share, l’application est très similaire mais moi je vais classifier les services en fonction de leur accessibilité. Je veux davantage détailler, et pas seulement indiquer « ce n’est pas accessible », pour avoir plus d’exactitude, et préciser les différents services. J’espère que mon application sera prête dans six mois, d’abord sur les deux villes de La Manouba et Menzel Bourguiba, puis le reste de la Tunisie, et ensuite on tentera d’essaimer dans le monde. A terme, mon grand objectif est de développer une plate-forme interactive sur tout ce qui concerne les personnes handicapées, en intégrant la vie quotidienne.
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2016.