Rien n’est vraiment facile pour les personnes tétraplégiques, et il faut à Romain Guérineau mobiliser tout son positivisme pour surmonter des obstacles dont on pourrait penser qu’ils n’existent plus dans la France de 2017… Agé de 31 ans, il vit dans la banlieue de Tours (Indre-et-Loire) et travaille au centre d’appel des pompiers du département. Avant l’accident de ski qui l’a rendu tétraplégique en janvier 2012 (rupture C6-C7), il était pompier professionnel, en intervention dans le Genevois, en Haute-Savoie. Depuis, il a récupéré de la mobilité dans les avant-bras mais a renoncé aux interventions chirurgicales qui aurait compensé l’absence de fonctionnalité des triceps : avec six mois d’immobilisation et rééducation par bras, il a privilégié la vie avec sa fille âgée de quatre ans et demi, qu’il garde en alternance avec son ex-épouse.
Romain travaille à temps-plein au centre d’appel des pompiers de Tours (le célèbre 18) par volonté et également besoin d’avoir un salaire qui lui permette de vivre décemment, et avec sa fille. En effet, faute d’assurance, le préjudice corporel consécutif à son accident n’a pas été indemnisé. Et ce n’est pas avec une pension d’invalidité et la maigre Prestation de Compensation du Handicap qu’il aurait été en mesure de payer le coût élevé de l’aménagement de son domicile. Alors, c’est grâce à l’entraide et la solidarité de ses collègues pompiers savoyards qu’il a pu retrouver son autonomie : ils avaient organisé des événements sportifs et de solidarité pour collecter des fonds qui ont couvert les dépenses élevées auxquelles les lésés médullaires doivent faire face. Leur outil, une association qu’ils ont créée, Contre-Appel, et qui poursuit ses actions en faveur d’autres personnes handicapées. Pour Romain, elle avait récolté 50.000€ qui ont servi à faire des travaux d’aménagement pour son logement, sa voiture, acheter de l’équipement sportif adapté. « J’ai couru avec les pompiers de Haute-Savoie pendant deux ans, et depuis avec ceux d’Indre-et-Loire. J’ai été reçu d’une manière extraordinaire, ce sont des amis qui viennent en Indre-et-Loire, et ici les gens sont contents. J’aime beaucoup rigoler, ils le comprennent, et j’ai de bonnes conditions de travail. Je suis quelqu’un de jovial, ouvert, je vois plutôt le verre à moitié plein que celui à moitié vide ! Humainement, je n’ai aucun souci, les gens sont tout le temps à me proposer un coup de main. » Même s’il a changé de statut, devenu agent administratif, pour les pompiers Romain est toujours l’un des leurs.
Alors oui, entraide et solidarité sont des vertus du corps des sapeurs-pompiers, mais quand il s’agit d’obtenir de la Solidarité Nationale les moyens, ne serait-ce que de se déplacer, c’est une toute autre affaire. « Un bon fauteuil roulant pour la vie quotidienne, c’est 5.000 à 6.000€. La Sécurité Sociale rembourse 558€ parce qu’il existe un fauteuil roulant à 558€. Mais qu’on me montre comment on peut vivre avec ! Je suis en train de me battre pour remplacer mon fauteuil, j’en suis pour l’instant de 2.700€ de ma poche. » Sur un prix de base de 3.900€ pour un engin basique s’ajoutent des « options » nécessaires qui font grimper la facture à 6.600€. « Le FIPHFP [Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique] a calculé son aide sur le prix de base, et accorde 500€. La mutuelle a versé 1.200€ et la MDPH 1.600€, l’ensemble couvre le prix du fauteuil « nu ». Ou plutôt couvrira, parce qu’après un an de procédure Romain n’a pas reçu tous ces financements : « Et je repars pour une année de procédure afin d’obtenir le financement du reste à charge par le Fonds départemental de compensation ! » Côté logement, il a également galéré : « Pour trouver un logement social adapté, on m’a tout proposé sauf de l’accessible ! C’est dans le secteur privé que j’ai trouvé une petite maison accessible. »
Sportif avant son accident, il a cherché ce qui pourrait lui convenir : « Il m’est apparu logique de reprendre le sport. J’ai tout de suite accroché sur l’athlétisme. Je fais du tennis de table, mais j’ai besoin de ressentir l’effort. Donc l’athlétisme et le vélo m’ont attiré. Je fais du handbike pour le plaisir, des courses et sorties de quelques heures, je participe en handbike au marathon de Tours. » A cet égard, Romain déplore que d’autres marathons et courses de fond n’acceptent les handisportifs qu’en fauteuil d’athlétisme, pas sur handbike. « Je gère mon corps, j’écoute les douleurs. Mais je pousse l’effort jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Ce sont les bras, le dos qui sont fatigués avant le coeur. Et je fais confiance à mon entraineur. De plus, le mental joue énormément. » Mais quand il a voulu s’équiper d’un fauteuil d’athlétisme réellement adapté à sa morphologie et ses moyens physiques, lui qui dès ses débuts en compétition a montré des capacités prometteuses, il a rencontré une nouvelle difficulté : « L’injustice est là : valide ou handicapé, on doit acheter son équipement. Là où on a un gros problème, c’est qu’avec le handicap on multiplie les prix par dix. Est-ce justifié, je ne suis pas sûr ! » Par dix, c’est peu dire : le fauteuil d’athlétisme qui lui conviendrait coûte 8.500€. « Je n’ai pas fait de dossier à la Maison Départementale des Personnes Handicapées, ça ne sert à rien, il n’y a aucune prise en charge pour ce matériel. Et comme c’est un fauteuil pour usage personnel, le club ne peut pas le financer. On aurait pu biaiser mais le fauteuil aurait dû être prêté à d’autres handisportifs. Je préside le Comité Départemental Handisport 37, on aide à monter les dossiers de financement du matériel auprès du Centre National pour le Développement du Sport [CNDS], on connaît bien la procédure. Mais pour un fauteuil individuel, ce n’est pas possible. »
Là encore, c’est l’entraide et la solidarité des pompiers qui sont la solution : « Ce sont des amis et des collègues qui m’ont dit de faire une cagnotte [appel à financement participatif sur Leetchi]. Moi je pensais plutôt m’adresser à des entreprises comme sponsors. J’ai été surpris par l’engagement des gens, compte-tenu des retours on pourra probablement commander le fauteuil d’athlétisme dès ce mois d’avril ! Comme il faut deux bons mois de fabrication, puis que je le prenne en mains, je serai prêt à courir pour la prochaine saison sportive. » Avec l’objectif de gravir les échelons de la compétition de sprint et de participer aux Jeux Paralympiques de Tokyo en 2020. De bien longs kilomètres à parcourir, que Romain Guérineau saura avaler grâce à tout ceux qui l’aident et croient en lui.
Laurent Lejard, avril 2017.